Agnes Obel ou la sublimation de la redondance
CHRONIQUE D’ALBUM – Depuis sa sortie, Citizen Of Glass, le troisième album d’Agnes Obel, fait l’unanimité. Décrit par les critiques, comme “somptueux” ou “captivant”, la réalité est plus complexe qu’elle n’y parait.
Soyons honnêtes, entre le nouvel album de Soprano, Green Day, Agnes Obel, Julien Doré ou Vincent Delerm, je choisis sans hésitation Citizen Of Glass. Dès sa première écoute, j’ai été charmé par ce son nordique si particulier. Mais les années passant, on évolue. Si nous sommes normalement constitués, on continue d’écouter les mêmes styles musicaux. Mais nos oreilles, quant à elles, évoluent quelque peu et aiment se faire surprendre.
“Familiar”, le faux single de l’album
Certes, l’évolution de certains artistes peut être un frein. Prenons un exemple récent : 22, A Million de Justin Vernon. Le vocodeur (trop présent) donnait l’impression d’écouter un second Volcano Choir plutôt qu’un troisième Bon Iver. Malgré tout, l’évolution a parfois du bon. Rappelez-vous (ou non) de Nina Kinert. Après avoir sorti deux albums folk très simplistes, la Suédoise avait tout changé dans la continuité. Le résultat ? Red Leader Dream, le meilleur album de sa carrière ! Le son moderne, complexe et dream-pop apportait un vent de fraîcheur dans la musique nordique.
“Familiar », premier single de Citizen Of Glass, apportait cette fraîcheur. J’en parlais longuement au mois de juin, alors que le clip venait d’être publié. Le son informatique du single détonnait par rapport aux classiques “Dorian”, “Aventine” ou “Fuel To Fire”. J’avais été totalement conquis par cette sonorité dream-pop qui était passée dans un MacBook pour être plus moderne. “Familiar” aurait pu faire entrer Agnes Obel dans une autre catégorie. Celle des chanteuses internationales, qui pourraient composer la B.O d’un James Bond. Malheureusement, ce single cache une abondante redondance de l’artiste. On prend les mêmes ingrédients et on recommence.
Agnes Obel en mode Pomme C, Pomme V
Impossible pour moi de savoir, quand je mélange Aventine et Citizen Of Glass, si un titre provient d’un album ou d’un autre. Tout est très bien produit, écrit, composé. L’album est sublime. Mais il ne semble être qu’une face B du précédent. On retrouve le titre instrumental (“Tokka” VS. “Red Virgin Soil”), la chanson qui répète en boucle son titre (“Doria” VS. “Stone”), ou encore le titre de 5 minutes commençant par un long instrumental, avant de s’envoler (“The Curse” VS. “Trojan Horses”).
Rien ne semble avoir changé en 3 ans. Quand bien même l’artiste insiste sur sa vie berlinoise et la genèse de l’album (les révélations d’Edward Snowden et la surveillance informatique constante), “Citizen of Glass” ne nous le fait pas paraître. Ce que Nina Kinert avait réussi avec son troisième enregistrement (s’inspirant de Star Wars), Agnes Obel le rate avec son album s’inspirant d’une société ultra-numérique dans laquelle la vie privée n’existe plus. L’Homme est comme un citoyen de glace, que l’on peut briser à tout instant via ses mails, son téléphone, son ordinateur. Mais la cassure n’est pas transposée en musique.
L’émotion, dans tout ça ?
Encore une fois, soyons honnêtes. Les quelques larmes, que nous avions sorties lors du précédent opus, se font ici beaucoup plus rares. Je retiendrai cependant “It’s Happening Again” ou “Mary”, qui font le job. Le reste de l’album ne me transcende pas. L’impression de “déjà entendu” empêche l’émotion.
Si l’émotion est un sentiment personnel, elle ne fonctionne (à mon humble avis) que sur la sensation de nouveauté ou nostalgie. “Ma petite entreprise » de Bashung ou “Les mots bleus » de Christophe arrivent encore à m’émouvoir, car je ressens cette nostalgie du siècle dernier. À l’inverse, si “People Help The People” de Cherry Ghost me faisait pleurer, la version de Birdy m’émeut moins, car elle n’est qu’une simple redite.
Vous me direz que j’ai choisi des exemples précis et que j’y ai mis de la mauvaise volonté. Vous aurez peut-être raison. Prenons alors le cas Julien Doré ! Quand “Paris-Seychelle” me donnait des frissons en 2013, son alter ego, “Le Lac », me donne des maux de tête. Une mélodie, rythmique et construction musicale identiques, à 3 ans d’intervalle, et voilà que les émotions sont parties.
Il en va de même avec Citizen of Glass d’Agnes Obel. Nous avons vieilli de 3 ans, mais la musique est restée en 2013. Il y a alors une sorte d’asynchronisme entre nous et l’album. Et je ne peux m’empêcher de dire, au fond de moi : “Et si cet album était sorti en 2013, qu’en aurais-je pensé ?”. Probablement en aurais-je fait l’éloge, mais rien n’est moins sûr. Car, comme le disait Oscar Wilde, “Le seul charme du passé, c’est qu’il est le passé”.
► Citizen of Glass, sortie le 21 octobre 2016.
En concert le 20 novembre à Lyon (Cité Internationale) et le 22 novembre à Paris (Casino de Paris).