Tim Darcy : “Dans l’art, tout est une question d’énergie”

INTERVIEW – Tim Darcy, pour son premier album solo, est passé par la Route du Rock. On en a profité pour interviewer cet artiste incroyable, entre vrai poète et crooner caché.

On n’avait jamais parlé de Tim Darcy sur Rocknfool avant ce merveilleux week-end à Saint-Malo, dans le cadre de l’édition hiver de la Route du Rock 2017. Échappé de son groupe canadien Ought, il a pourtant sorti Saturday Night, un album solo incroyablement intéressant et d’une classe indéniable. On a eu la chance de le rencontrer avant son concert pour en savoir plus sur cet artiste, qui s’avère être aussi élégant et passionnant que son disque.

tim darcy saturday night

Rocknfool : Peux-tu nous présenter ta musique en quelques mots  ?

Tim Darcy : Je joue dans un groupe appelé Ought, un projet collaboratif avec 3 amis que j’ai rencontré à l’école. On a joué beaucoup de styles de musique différents, et c’est marrant de voir qu’au final tout ça s’est traduit par un son plutôt rock, très brut et déconstruit, que beaucoup de personnes qualifient de post punk, par comparaison avec Talking Heads ou Sonic Youth.
Avant cela, j’ai écrit beaucoup de musique, seul, pendant des années, donc mon album solo est clairement influencé par le temps passé avec Ought mais le projet principal était de me reconnecter avec les différents types de songwriting. J’ai puisé dans pas mal de choses mais j’aime beaucoup la musique folk, et tous les types de musique en fait, mais surtout la musique rock intimiste. Comme Sonic Youth, Cat Power, les histoires très personnelles et ce genre de choses…

Donc tu cites Cat Power et la musique mélancolique. Est-ce que ce sont tes principales influences ou est-ce qu’il y en a d’autres actuellement ?

Pas des artistes actuels, mais j’écoute beaucoup de musique mélancolique d’artistes plus anciens, évidemment, comme Roy Orbinson, The Staple Singers,…

Pourquoi avoir choisi de mettre Ought sur pause pour ton album ? Est-ce que ça a été un problème pour le groupe ? Est-ce que c’était quelque chose dont tu avais vraiment besoin ?

C’est un mélange, j’en avais vraiment besoin et en même temps le timing était parfait. Chacun d’entre nous travaille sur quelque chose de différent en ce moment. Tout s’est fait très naturellement. On a travaillé non stop pendant 3 ans avec Ought, alors je crois que tout le monde avait besoin d’une petite pause, et ça a été la parfaite occasion pour moi.

Ton album est très court, et pourtant c’est un peu comme un voyage sur une journée : il commence avec un son très rock pour finir avec quelque chose de beaucoup plus intime et calme. La première partie plutôt faite pour le jour, et la seconde à écouter de nuit. Est-ce que c’était quelque chose de réfléchi ou est-ce que c’est arrivé comme cela ?

Non, pas vraiment… Ce qu’il s’est passé, c’est que des amis à moi basés à Toronto m’ont contacté à Montréal. Ils m’ont proposé de faire quelques enregistrements, m’ont dit qu’on aurait accès à un studio gratuitement le soir et les week-ends. J’étais avec Ought, à travailler sur le 2e album. Mais dès qu’ils me l’ont proposé, j’ai sauté sur l’occasion parce que j’avais ce désir d’enregistrer en solo. Même un titre ou deux, juste pour sortir ça de moi, tu vois ? J’avais des chansons enregistrées dans ma chambre, mais je n’avais jamais rien enregistré correctement avec d’autres personnes. Donc quand l’occasion s’est présentée, j’y suis allé.

Une fois qu’on avait commencé, tout sonnait si bien, et se passait si bien. J’ai travaillé avec ces personnes super, comme Charlotte, qui est devenue la batteuse du groupe en live. Il y a eu une vraie alchimie entre elle à la batterie et moi à la guitare, et pareil avec Amy (Fort) et Ross (Gillard), qui ont produit l’album. Ils ont amené une énergie vraiment créative à tout cela. On n’avait pas d’échéance à respecter, donc on a eu l’opportunité d’explorer pas mal de pistes. Les choses sonnaient si bien que j’ai continué à venir enregistrer 2 autres chansons. Quand on en a eu 4, il était devenu évident qu’il fallait qu’on mette ça sur un album. Sur une période de 6 mois, j’y suis donc retourné 4 ou 5 fois et on a fait cet album.

Tim Darcy
Tim Darcy @ L’Antipode, Route du rock hiver #12

Une grande partie de la presse vous compare, toi et ton album, à Lou Reed et au Velvet Underground. Mais toi, que penses-tu avoir de différent de toutes ces boîtes dans lesquelles on essaye de te mettre sans cesse ?

Bonne question ! C’est intéressant au regard de là où les labels veulent te placer. Je pense que c’est une idée assez puissante, parce que, surtout en tant que personne plus jeune, tu peux te sentir (et je me serais sûrement senti) très influencé par les choses auxquelles on te compare. Je pense que c’est tout à fait naturel d’explorer les choses de cette manière, il n’y a rien de mal à cela. Je comprends complètement qu’on se raccroche à ce qu’on connaît quand on essaie de décrire un nouvel artiste. Mais la meilleure partie de ta question, c’est de me demander à moi de parler de ça.

C’est drôle mais ce qui m’étonne le plus, c’est quand les gens qualifient ce que je fais de déprimant. Encore une fois je peux le comprendre, mais j’adore surtout la musique mélancolique. Le challenge que je veux me donner, c’est d’aller toujours plus loin dans mon art, être plus vulnérable, mais surtout plus à l’écoute de mon songwriting. Je crois qu’il y a une sorte de poésie qui coule dans ma musique, surtout dans l’album solo. Mais je te dirais surtout qu’il faut écouter l’ensemble de l’album, parce que si tu écoutes juste un single, ça ne lui rend pas vraiment justice.

J’ai lu que tes paroles étaient en fait tes poèmes. Est-ce que tu vois la musique comme quelque chose de plus grand, qui doit mêler d’autres formes d’art comme la poésie ?

Quelques chansons du disque commencent comme des poèmes. Mais pour moi, la musique et la poésie sont deux formes d’art très différentes. Je pense qu’elles sont intimement connectées, mais quand je m’assois et que j’écris un poème, chose que je fais depuis très longtemps, je ne le pense pas en tant que chanson. Je tire un sentiment très différent de l’écriture de chacune de ces deux formes. Il y a quelque chose de très apaisant dans l’écriture d’un poème, à être guidé et contraint uniquement par les mots. Alors qu’avec la musique, on peut apporter tellement d’autres éléments… Mais effectivement il y a quelques titres, comme Saint-Germain, qui ont commencé comme poèmes et que j’ai remanié en chanson.

Comment mettre la même énergie sur scène que sur l’album, quand celui-ci est très contemplatif, comme sur “What’d you release” ?

Ça a été le grand défi quand j’ai préparé cette tournée. La majeure partie de ma carrière se résume à moi, seul dans ma chambre à écrire des chansons, puis dans Ought qui s’est construit à partir de rien avec des amis. On a eu notre diplôme, on a sorti un album, on est partis en tournée immédiatement et on a enchaîné les dates quasi non-stop.

J’ai été sur beaucoup de scènes, surtout pour lire des poèmes. Mais je n’ai jamais vraiment pu imaginer ce que ce serait d’avoir un groupe autour de chansons plus contemplatives, parce que dans l’art tout est vraiment une question d’énergie. Du coup, c’était une appréhension. Mais le désir de le faire était tellement grand, parce que je sentais que si j’attendais trop longtemps, alors je perdrais cet aspect de moi, qui représente vraiment mon plus profond niveau de songwriting.
J’ai beaucoup appris à participer à un groupe comme Ought mais pour répondre à ta question, ce trio actuel sur scène est tellement gratifiant ! C’est tellement parfait, parce que je sais qu’on peut à la fois jouer des chansons très rock, mais aussi enchaîner avec une version de “What’d You Release” avec simplement Rachel au violon et moi au chant. Parfois on le fait à 3 mais toujours en version très intime. Je voudrais ne jamais perdre ça. Etre capable de parvenir à ce résultat sur scène a vraiment été génial et très valorisant.

Est-ce qu’il y a un second album solo prévu ou est-ce que c’était juste un exercice unique ?

Oh non ! Je viens d’emménager dans un nouvel appartement, et je l’adore, je m’y sens vraiment bien. J’y ai un petit endroit pour travailler et j’y suis du coup très productif, comme je ne l’avais pas été depuis longtemps. Et j’ai eu quelques moments plus calmes, donc j’ai déjà de nouvelles chansons que je rajoute au set. Nouvelles chansons qui seront très probablement sur un futur album.

Merci à Tim Darcy.

Propos recueillis par Morgane Milesi et Sabine Bouchoul lors de la Route du Rock 2017, édition hiver, à L’Antipode (Rennes)
Photos (c) Morgane Milesi.
Saturday Night, février 2017 chez Jagjaguwar. Facebook.

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