Depeche Mode : enjoy the violence
CHRONIQUE – Pour Spirit, quatorzième album d’une longue carrière, Depeche Mode signe un album protestataire et révolutionnaire. Une messe noire sur fond gris acier.
J’ai toujours considéré que Depeche Mode permettait de prendre la température d’une époque. La musique du groupe est, peut-être pas au premier abord certes, en quelques sortes le thermomètre de la société. La politique, la critique de la société, ses revers sont là, en filigranes. Dans une chanson, poétisée et à plusieurs niveaux de lecture, ou sur une pochette d’album, Dave Gahan et Martin Gore livrent le fond de leur pensée, sans jamais passer (voire même prétendre) pour un groupe militant. Ça, c’était avant.
Avec Spirit, Depeche Mode prend les armes, ses armes : la musique, et livre un album de protest songs. La révolution est en marche. D’ailleurs, la pochette de Spirit l’évoque, sans équivoque. On y voit des silhouettes brandissant des drapeaux. À une époque où le populisme, le nationalisme, le protectionnisme sont des tentations qui gagnent de plus en plus les peuples. À une époque où les États-Unis ont choisi un populiste pour Président, où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, on peut se dire que l’heure commence à être grave. Dave Gahan, qui s’exprime dans les Inrocks, déclare : “Je n’aime pas trop m’aventurer sur le terrain de la politique, mais en ce moment, c’est difficile de se retenir“.
Appel à la Révolution
C’est dans ce climat délétère que Depeche Mode, réagissant à l’actualité nauséabonde, a décidé de prendre stylos, papier, guitares et synthé pour cracher ce qu’ils ont sur leur cœur. Dans Rolling Stone, Martin Gore expliquait “je sais que pour certaines personnes, cela peut ressembler à des propos de rockstars nanties qui vivent dans leurs grandes villas de Santa Barbara sans se soucier du reste de la planète, et c’est vrai que nous avons de la chance. Mais cela ne veut pas dire qu’on se fiche de ce qu’il se passe dans le monde. Ça me touche vraiment.” Et ça s’entend.
Avec “Where’s The Revolution”, le premier single issu de Spirit, le groupe a donné la couleur : il nous somme de nous réveiller, d’ouvrir les yeux, de réfléchir et de ne pas se laisser dicter sa conduite par les autres : “who’s making your decisions, you or your religion? Your government, your countries, you patriotic junkies?”. Le reste de l’album est dans la veine. Dès l’ouverture, avec “Going Backwards”, Depeche Mode part d’un triste constat : “We can track in all the satellites seeing all in plain sight, Watch men die in real time, But we have nothing inside, We feel nothing inside“. On ne sent plus rien, parce que déconnecter de la réalité ?
Depeche Mode tape sur le capitalisme (“Poorman”), sur la lâcheté des peuples (“We are all charged with treason and there’s no one left to hear” – “The Worst Crime”). Et la conclusion est sèche sur la chanson de fermeture : “We’re fucked” (“Fail”). La solution serait-elle dans “Scum” ? “Pull the Trigger ?”. Réflexion lâchée par Dave Gahan, dans une chanson dont on ne sait pas vraiment si elle parle de révolte. Ou de suicide. Entre deux titres révolutionnaires, Depeche Mode aborde son autre sujet favori, le sexe dans deux chansons lancinantes à la sensualité exacerbée (“You Move”, “Poison Heart”).
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No Fail
Musicalement, Depeche Mode, ne révolutionne rien. En réalité, ils jouent toujours sur ses sons froids, voire même glaciale à la Kraftwerk. Il mise sur le dépouillement des mélodies pour un album anxiogène à l’ambiance générale volontairement sombre et inquiétante. On retrouve la marque de Depeche Mode dans les beats à la fois menaçants et entêtants. Dans les rythmiques toujours aussi lourdes et dans la guitare clinique.
On pourrait chercher le tube, mais il n’y en a pas. Le groupe a depuis longtemps laissé tomber la recherche à tout prix du titre radiophonique qui soulèverait les stades. Pas de tubes, en revanche, on retrouve Martin Gore au chant sur deux titres (“Eternal” et le poignant “Fail”), et Dave Gahan à la co-écriture de quatre morceaux. Preuve, désormais, qu’il a définitivement dépassé ses démons intérieurs et que l’écriture est aujourd’hui, une manière d’exorciser d’autres tourments. “Words like violence, break the silence“, chantait Depeche Mode. C’est exactement ce qu’ils mettent en pratique dans Spirit.