“Tout commence toujours dans ma chambre, seul” : Nick Hakim raconte la genèse de Green Twins
INTERVIEW – En mai sortait Green Twins, le 1er LP du New Yorkais Nick Hakim après le très acclamé EP Where Will We Go. On a rencontré l’artiste pour tout savoir de la création de l’album, de ses projets et de ses influences.
De passage au Point Ephémère en avril dernier, Nick Hakim venait présenter son album Green Twins sur scène avec son groupe. L’occasion pour nous de savoir comment il vivait cette nouvelle étape dans sa carrière, et de te donner envie d’aller le découvrir à ton tour en novembre prochain.
Rocknfool – Green Twins sortira en France dans moins d’un mois maintenant (il est sorti le 19 mai, ndlr). Comment vous sentez-vous ? Stressé ?
Nick Hakim – Bien ! Excité, surtout. Cet album est ce qu’il est, on l’a fait et on ne peut plus rien en changer, on doit juste accepter ça. Il reflète une certaine partie de ma vie, avec les gens qui y ont contribué. C’est comme ça, c’est tout ! (rires)
Where Will We Go, votre précédent disque, est sorti il y a maintenant trois ans. Que s’est-il passé entre lui et Green Twins ?
Je vivais à New York, et j’ai beaucoup joué, beaucoup écrit. J’ai enregistré beaucoup de sessions et enregistré énormément à la maison. J’ai aussi commencé à travailler avec ATO Records (label actuel de Nick Hakim, ndlr). Ils sont vraiment géniaux, je les adore ! En résumé, j’ai surtout travaillé sur cet album Green Twins.
Des chansons de Green Twins étaient pourtant déjà dans votre set il y a trois ans. Est-ce qu’on y trouve d’autres chansons plus récentes ?
Non, à vrai dire, elles sont toutes de cette période. J’ai écrit beaucoup de chansons les trois dernières années, mais on a juste pris celles qui faisaient sens pour construire un album cohérent. Mais je fais beaucoup plus de titres que ce qu’on retrouve sur album ensuite.
“Je suis quelqu’un qui prend beaucoup de temps parfois pour finir quelque chose.”
Les chansons de Where Will We Go étaient également des titres beaucoup plus anciens que vous avez sortis par la suite.
Oui, c’est vrai, je les aussi écrites deux, voire trois ans avant la sortie du disque.
Est-ce que c’est spécifique de votre processus créatif ? Une manière de clore des chapitres bien définis que de sortir un disque ?
J’ai l’impression d’être toujours en train d’écrire, sans vraiment y penser. Je ne sais pas… (Il réfléchit) Clore un chapitre, je vois ce que tu veux dire… J’ai seulement réalisé deux projets, et chacun d’entre eux a pris du temps à se mettre en place. Je suis quelqu’un qui prend beaucoup de temps parfois pour finir quelque chose. Alors oui, ça fait du bien de les sortir au grand jour, de les partager avec le public, de les jouer sur scène. Les trois dernières années, on a passé pas mal de temps à jouer des titres de Green Twins. Même quand j’étais passé en Europe, je jouais déjà une poignée de chansons de Green Twins, mêlées à d’autres que je n’ai pas sorties…
Est-ce que vous continuez à jouer des anciens titres ou est-ce que c’est trop difficile ou désagréable de les rejouer ?
Ça a été difficile à un moment. Pendant un temps, je détestais rejouer certaines de ces chansons, mais en fait maintenant je trouve ça plutôt cool. Je réalise que les gens ont souvent envie de les réentendre en live. Celles qu’on a choisi de rejouer, je les aime beaucoup, donc ça fait du bien. Et puis on est passé par des phases où on a retravaillé les arrangements, donc certains des plus anciens titres sont aujourd’hui très différents.
Est-ce qu’aujourd’hui vous jouez toujours en groupe ? Parce que la dernière fois que je vous ai vus à Paris (Espace B, avril 2014), vous étiez seul…
Oui, ça c’est parce que je n’avais pas les moyens d’amener tout le groupe en tournée avec moi.
Donc les chansons ont toujours été faites pour être jouées en groupe, en fait ?
Oui ! Je suis entouré d’un groupe de musiciens avec qui j’adore jouer. On travaille ensemble depuis six ans, presque sept en fait, et j’ai une totale confiance en eux. Donc j’ai toujours eu un groupe live, même quand je faisais des trucs solo à côté. Durant les 18 derniers mois, j’ai d’ailleurs fait pas mal de concerts seul, à New York, à Los Angeles ou d’autres villes aux USA. Mais j’ai tenté des choses différentes, je ne jouais pas de guitare, j’avais juste un enregistreur…
Je reviens sur ce que vous avez dit plus tôt, que vous écriviez de nombreuses chansons, tout le temps. Comment choisissez-vous celles qui iront ensuite sur l’album ?
Ça a quelque chose à voir avec l’ordre des chansons et aussi les meilleures chansons. Il y a des chansons que j’écris qui, je pense, sont vraiment stupides, qui sont là dans le seul but de créer. Ces chansons, je n’ai pas vraiment envie que les gens les entendent ! (rires) J’ai des chansons vraiment bizarres, avec des beats et une voix distordue par dessus, tu vois !
J’ai des choses aussi qui pourraient rentrer dans un nouveau projet. J’ai des sons sur lesquels je travaille seul, et aussi avec d’autres personnes… Il y a pas mal de musique, mais c’est trop tôt pour envisager de sortir quoi que ce soit.
Vous parlez toujours de vos albums comme des “projets”. Est-ce volontaire, est-ce une façon d’envisager votre carrière comme n’étant pas linéaire, mais plutôt par étapes, avec un début, une fin, et on passe au projet suivant ?
J’écris juste en fonction de ce qui se passe au moment où je le fais. Je ne sais pas, c’est juste mon approche je suppose. Je traverse des phases, et parfois je ne suis même pas conscient que ça va mener à quelque chose de concret. J’écris, je fais des choses et parfois ça commence à faire sens, en fonction des outils que j’utilise ou de la production. J’ai pas mal d’instruments chez moi et je suis toujours en train d’expérimenter différents moyens d’enregistrer, etc. J’apprends beaucoup et j’essaye constamment de devenir un meilleur ingénieur du son, et ça se reflète aussi dans mon écriture. Et puis je suis aussi entouré de quelques studios incroyables, qui sont gérés par des personnes avec qui je m’entends très bien, des amis qui m’aident à enregistrer. J’ai une bonne communauté d’amis à New York, d’ingénieurs du son, de musiciens, d’artistes visuels, c’est assez spécial. C’est sûrement pour ça que je parle de “projets” constamment.
“Après les EPs, je savais que je voulais faire quelque chose de complètement différent.”
Qu’est-ce qui est différent entre vos deux projets dans ce cas ?
Mon âge, j’ai commencé l’enregistrement des EPs (Where Will We Go, ndlr) quand j’avais 20 ans. Les gens qui m’entourent aussi. Et puis l’enregistrement. Pour les EPs, on a enregistré la majorité des titres en conditions de live, et ils reflètent la façon dont on les a répétés. On les jouait à la maison, dans mon appartement, de manière très calme à cause des voisins. Parfois le batteur jouait même avec ses mains !
Le nouvel album est très différent parce que c’est plus énergique. Il y a plus de batterie, de synthés, et j’utilise des sons à la guitare que je n’utilisais pas avant. C’était vraiment une découverte pour moi.
Après les EPs, j’étais très fier de ce que j’avais fait, mais je savais que je voulais faire quelque chose de complètement différent ensuite. Donc la plus grande différence est certainement dans la façon dont tout ça a été enregistré. Je veux dire, tout commence toujours dans ma chambre, seul. Mais c’est quand j’amène ensuite les démos au studio qu’on commence à changer tout ça.
Vous vivez à New York à Brooklyn, vous venez de Washington D.C…
J’ai vécu à Brooklyn, mais techniquement j’habite maintenant dans le Queens.
Pensez-vous rester là-bas ou pourriez-vous déménager à L.A. ? (référence aux paroles de la chanson “Green Twins”, ndlr)
(rires) Je ne pense pas pouvoir vivre à L.A. Je ne veux pas dire du mal de cette ville, j’y suis passé seulement brièvement, sans jamais y rester. Et plus j’y vais, plus j’apprécie la ville. Mais je ne l’aimais pas au début. En tout cas pour l’instant, je ne me vois pas déménager à L.A., je me vois plutôt rester à New York. J’ai de la famille à D.C, New York, Boston, Philadelphie… Alors mon chez moi, c’est plutôt la côte Est.
Un ami musicien me disait un jour qu’il détestait se sentir “confortable” dans une ville, qu’il avait besoin alors de partir ailleurs pour créer quelque chose de neuf…
Je comprends tout à fait ! Je pourrais complètement bouger ailleurs mais pour un mois. J’ai passé un mois à Montréal par exemple. Mais c’était en février, il faisait si froid ! Mais j’ai écrit pas mal de choses pour cet album là-bas. Juste sortir de New York, être seul avec moi-même pour un temps… Je pense faire la même chose à L.A. pour un mois. Mais je ne veux pas vivre là-bas, juste sentir la ville et rentrer à la maison, à New York !
Tout le monde parle de Curtis Mayfield et Marvin Gaye comme influences vous concernant. Mais qu’écoutez-vous en ce moment ? Toujours ce genre d’artistes ou d’autres ?
Oui, j’écoute toujours beaucoup ces artistes, ces grands classiques des années 1960-1970, de la soul music. Mais j’aime beaucoup de choses différentes. En ce moment, si je devais en choisir, hum… J’ai une playlist que je peux te montrer, parce que parfois c’est difficile de choisir quelque chose sans rien regarder. (Il sort son portable) Alors qu’est-ce que j’ai écouté récemment ? J’aime beaucoup le dernier Kendrick Lamar, qui est incroyable. Captain Beefhart and The Magic Band. Robert Wyatt. Et beaucoup de musique brésilienne, comme Milton Nascimento…
Vos parents viennent du Pérou et du Chili, vous écoutez de la musique brésilienne… L’Amérique latine est-elle une grande influence pour vous ?
Oui, complètement. Ça fait partie de ce que j’ai écouté en grandissant. J’ai baigné dans beaucoup de musiques latines différentes.
Essayez-vous d’inclure ses sonorités dans votre musique ? Est-ce ce à quoi il faut s’attendre pour le prochain projet ?
J’ai pas mal d’amis à New York qui viennent des pays latinos, qui sont de la première génération, et avec qui j’essaye de composer de temps en temps. On a parlé d’écrire en espagnol ensemble avec mon ami Gabriel Garzón Montano. Et il y a aussi ce groupe appelé Buscabulla, ils sont vraiment géniaux, n’hésite pas à écouter !
► En concert à Paris le 1er novembre pour Pitchfork Avant-Garde, et le 19 novembre au Zénith.
Propos recueillis par Morgane Milesi au Point Ephémère (Paris), en avril 2017.
Photos (c) Morgane Milesi.
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