Johnny Flynn : “Je suis intéressé par une musique authentique”
INTERVIEW – C’est l’un des meilleurs artistes folk au monde. À l’occasion de son concert au Café de la Danse, on a pu discuter avec l’incroyable Johnny Flynn.
On me donne rendez-vous au Café de la Danse, quelques heures avant le concert. J’y vais pour rencontrer l’un des artistes que j’admire le plus sur la planète. J’ai les pétoches, je ne te le cache pas. Pourtant, lorsque j’attends Johnny Flynn devant sa loge, l’homme que je rencontre est fidèle à la projection imaginaire que je m’en étais faite. Très courtois, doux et absolument passionnant. On s’installe dans la petite pièce attenante tandis qu’à côté, les balances se poursuivent. Johnny Flynn ne veut pas être dérangé, et s’assure que la porte branlante soit bien fermée avec un fer à repasser puis une chaise. Il choisit tous ses mots avec précaution et parle calmement, avec une assurance déconcertante. J’aurais aimé parler encore des heures avec ce fabuleux artiste qui jongle entre cinéma, série et musique avec aisance et talent indéniable.
Rocknfool : Country Mile est sorti en 2013, Sillion ton dernier album cette année, soit quatre ans après. Ça ne t’a pas manqué d’être un musicien ?
Johnny Flynn : Euh, oui ! (rires) En un mot, oui. Ça fait vraiment si longtemps que ça ? C’est vrai que ça m’a manqué de ne pas jouer de la musique et de ne pas être avec mes musiciens en tournée. Mais j’ai toujours continué la musique, ne serait-ce que chercher des idées, composer… travailler de différentes façon avec la musique pour des séries ou des films. Pendant cette période j’ai été acteur, et j’ai aussi deux enfants en bas âge. Avec tout ça, je ne voulais pas me mettre trop de pression pour faire un nouvel album, car sinon je l’aurais fait de manière précipitée. J’attendais d’avoir du matériel dans lequel je crois beaucoup, avec quelque chose à dire. Pour que je puisse me dire que ça y est, j’ai quelque chose, c’est l’album.
N’as-tu pas peur de devenir bipolaire en alternant cinéma et musique constamment ?
Alors c’est une façon intéressante de le dire (sourire), mais pour être honnête, certainement un peu. Ça n’a pas été simple pour moi de remettre les pieds dedans. Tu sais il y a une sorte de confiance en soi nécessaire pour les deux, et quand je fais quelques mois l’un puis quelques mois l’autre, ça me prend du temps à m’y remettre entièrement. J’espère m’améliorer dans l’investissement de mes différentes activités artistiques. Pour ça, il faut progresser dans sa technique, même si tu as d’ores et déjà beaucoup d’intuitions dans ce que tu fais. Car ce qui permet aux intuitions de devenir réalité c’est justement l’apprentissage de la technique. Je me vois comme quelqu’un de manuel, qui ne peut que progresser.
“Le plus important ce n’est pas l’individuel ou l’écrivain, ce sont les histoires que l’on raconte”
Tu parviens à connecter certains aspects de tes deux métiers ?
Complètement oui. Je n’ai pas de rôles définis dans les séries ou les films que je tourne. Je suis plus intéressé par la façon dont ces rôles sont écrits, les traits de caractère de cet humain que j’interprète, que je célèbre et que j’explore. C’est important pour moi de garder l’esprit ouvert, de ne pas seulement me concentrer sur une sorte de rôle. Et je crois que c’est de cette façon-là également que mon songwriting fonctionne. Il faut que ces deux choses marchent ensemble pour obtenir une sorte de fluidité dans mes histoires. Car le plus important ce n’est pas l’individuel ou l’écrivain, ce sont les histoires que l’on raconte à travers des rôles ou des chansons. Ces histoires qui nous traversent, comment on les interprète, ce qu’on ressent… c’est ça qui m’intéresse. C’est ça qui me plaît dans mes chansons, comme dans mes rôles.
Peux-tu me dire ce qu’il va se passer dans la saison 3 de Lovesick (Johnny Flynn joue le rôle de Dylan, diffusion sur Netflix ndlr) ?
(sourire). La saison va bientôt sortir je crois… Je ne veux pas trop en dévoiler mais en gros… (réfléchit)… si je t’en dis trop ça va ruiner toute l’histoire… mais c’est vraiment bien !
Es-tu capable d’écrire tes chansons à n’importe quel moment ou est-ce que tu te programmes des créneaux spéciaux dans ton emploi du temps ?
Je suis toujours intéressé par ce que les gens peuvent répondre à cette question, à propos de la façon qu’à chacun de travailler. J’aimerais pouvoir… me dire, cette semaine, tous les jours entre 10h et 12h, tu écris (sourire). Mais ça ne marche pas vraiment comme ça. Sauf quand tu es au studio, car tu réserves des créneaux de travail pour travailler sur des chansons déjà écrites… Pour écrire les premiers brouillons, ça se passe plutôt dans les creux que je trouve entre deux activités. Souvent c’est un bi-produit entre moi qui fait autre chose comme répéter une pièce, qui se transforme en une prise de note, comme un journal… ou lorsque je suis dans un bus et que j’ai mon carnet avec moi, soudainement je me déconnecte de la réalité et j’expérimente quelque chose que je vais essayer de capturer dans l’une de mes histoires ou l’un de mes poèmes. Après j’ai souvent une idée de musique qui peut fonctionner avec. Mais effectivement, c’est très rare que je m’asseye et que je me mette à travailler derechef – mais si je réussissais, j’aurais sans doute beaucoup plus de chansons ! Je ne pense pas que pour moi, ça soit une méthode très performante. J’ai déjà essayé quelques fois des exercices d’écriture sur un thème donné pendant une heure… ça peut fonctionner. Mais je suis plus intéressé par une forme de musique authentique qui serait produite par l’expérience, par les mots, à une période de ta vie, plutôt qu’une musique écrite dans une sorte de moment forcé.
Dis-moi si je me trompe, mais j’ai trouvé que tes chansons dans Sillion étaient un mélange entre de la musique spirituelle, solennelle, médiévale et des chants de marins. Puis j’ai lu que pour cet album tu avais écouté beaucoup de rock des années 1960…
J’enregistre cet album depuis un bout de temps entre deux projets et c’est marrant de repenser aux références originales que j’ai pu avoir au fil du temps. Je crois qu’au début, j’étais parti sur quelque chose d’assez épuré… quelque chose dans le style du rock-garage des années 1960… J’ai toujours été inspiré par la musique soul des années 1960, mais aussi par les premières chansons r’n’b… En fait j’essaie de toujours rester alerte face à tout ce que je peux entendre. Si une chanson me plaît, j’essaie tout de suite de comprendre quel est cet élément qui m’a plu. Même si je l’utiliserais d’une façon complètement différente dans ma musique. Je n’aime pas trop me positionner dans une case musicale précise, dans un cadre donné, c’est juste tout plein de références différentes.
C’est drôle que tu aies d’abord pensé à faire quelque chose d’épuré, car le résultat ne l’est pas du tout !
Non, je sais ! (rires) Je crois que c’était ma première volonté… Puis quand tu es au studio, tu te dis, “ah je pourrais aussi mettre des cordes ici, et aussi ajouter ça par là…” En plus, on est un groupe, et on joue chacun plusieurs instruments… et on a un vaste réseau d’amis qui jouent aussi plein de choses intéressantes. C’est excitant de se dire “on pourrait appeler untel pour qu’il vienne jouer du saxophone”… et c’est vrai que je m’excite un peu trop après un certain temps. Bien que j’aie tendance à ajouter plein d’instruments, après je suis à la recherche d’espace, et j’en viens à couper certaines parties. Ce que je recherche quand je fais un album, c’est la perfection en terme de “j’ai tous les instruments que je voulais”, et “je n’ai rien laissé qui ne devrait pas y être”. Car je passe beaucoup de temps à travailler toutes les couches et toutes les textures pour créer un album que j’aurais moi-même envie d’écouter.
“Les rimes ne sont pas la seule façon d’écrire des chansons, c’est un moyen pour faire un lien entre plusieurs idées”
Tu es l’un des derniers songwriters que j’écoute qui fait encore des rimes dans ses paroles. C’est quelque chose auquel tu es attaché comme les poètes autrefois ?
Je ne crois pas que les rimes soient la seule façon d’écrire des chansons. Mais, d’une certaine façon, c’est un moyen de faire un lien abstrait entre plusieurs idées, entre plusieurs pensées… Je ne lis pas beaucoup de poésie écrite seulement en rimes, car les poètes que j’aime, comme T.S. Eliot, ont arrêté de faire des rimes au XIXe siècle… Cela n’empêche pas d’avoir un certain sens du rythme. J’aime bien utiliser quelques rimes mais pas que, j’aime aussi jouer avec le rythme des mots. J’aime beaucoup explorer différentes techniques poétiques pour mes textes. Mais je ne prétends pas être bon, je m’amuse seulement.
Ton artwork pour Sillion est très intriguant. D’où t’es venue l’idée de ces animaux figurines d’animaux un peu particulières ?
C’est une collaboration avec plusieurs personnes. Mon amie Rosie crée des figurines en terre, c’est avant tout une très bonne amie, mais également une artiste que j’admire beaucoup. Elle fait de tout, mais souvent elle modèle des animaux abstraits à partir de céramique. Je les aime beaucoup, ils ont une espèce de sauvagerie originale, un bout d’âme humaine, de joie, de tristesse, de rage ou de noirceur… Et j’ai bien aimé l’idée d’associer un animal à chaque chanson, en les photographiant dans un décor chacun, qui contextualiserait la chanson. Mon amie Hanna a donc pris les photos et ma femme a créé les petits décors. Pour celui de l’album, on voulait un animal qui reflète bien le sens du mot Sillion, qui est le nom pour l’action de la charrue qui laboure la terre… et il y a de ça dans cette photographie de l’album avec cette créature abstraite… Voilà l’histoire !
J’ai vu que les gens aimaient beaucoup “Raising the Dead” ou “Heart Sunk Hank”, mais ma chanson préférée sur ton dernier album c’est “The Landlord”. Tu peux me raconter son histoire ?
Oh vraiment ? Bien sûr. Cette chanson est en fait un vieux poème qui existait. Je l’avais en tête depuis des années. Mon ami James m’a demandé d’écrire un peu de poésie ou de texte sur l’une de ses pièces électroniques qu’il avait faites, et je crois que c’est lui qui est à l’origine du titre “The Landlord”… Bref, après j’ai retrouvé ce vieux poème dans un carnet à moi et je me suis dit que ça ferait une bonne chanson. C’est une espèce d’aventure épique, comme une odyssée, avec une forêt de ronces, des souffles de l’enfer à la Dante… Bizarrement il y avait aussi des chansons appartenant au genre Blaxploitation que j’aimais beaucoup, entre funk et soul, un peu psyché américaine des années 1970… et j’ai trouvé ça rigolo d’écrire une chanson circulaire et répétitive qui retracerait cette longue histoire.
“Je vois les pianos comme des animaux de compagnie que toute la famille aime”
Tu as dit dans une interview que le songwriting était une forme d’écriture de journal, un moyen pour toi de gérer la réalité. Donc je me demandais, est-ce que ton piano s’est réellement soulevé avant de rendre l’âme ? (référence à sa chanson “The Night My Piano Upped and Died” ndlr)
(rires). Non. J’ai toujours eu des relations proches avec les pianos. Je les vois presque comme des animaux de compagnie, comme le chien de la famille que tout le monde aime. La famille de ma femme avait un piano dans leur maison. Un jour je voulais en jouer et je me suis rendu compte qu’il n’était plus là. Je me souviens avoir demandé à ma belle-mère : “mais où est passé le piano ?”, ce à quoi elle m’a répondu : “on n’en voulait plus, on s’en est débarrassé”… “Vous… vous… en êtes débarrassé ?” Je ne pouvais pas y croire, j’y étais attaché. Car le piano est vraiment le cœur et l’âme d’une maison, sans doute car j’ai toujours grandi avec un piano pas loin. Je pensais d’ailleurs que tout le monde en avait un… mais apparemment pas vraiment ! (sourire). Cette chanson avait vraiment pour but de personnifier un piano dans une histoire abstraite… À Londres les gens donnent leur piano si tu viens le chercher. Si je pouvais, je les récupérerais tous.
Pour finir, tu as une chanson qui s’appelle “In Your Pockets”. Qu’y-a-t-il dans les tiennes ?
Normalement j’ai toujours quelques pièces… là ce sont des pièces de trois ou quatre pays (il continue à regarder dans ses poches), que je ne peux pas vraiment utiliser… Il y a aussi toute une collection de médiators (au moins 10 ndlr), j’utilise toujours les noirs, mais j’en achète partout où je vais car je les perds constamment et j’aime bien en avoir beaucoup. Une ou deux fois ça m’est arrivé de me retrouver sur scène avec rien dans mes poches, je ne pouvais pas jouer… J’ai aussi un ticket de métro. J’avais pendant un certain temps une carte avec un bullet charm sur lequel était écrit une vieille phrase du XIIe siècle qui t’aidait à t’auto-révéler ta vraie nature divine. Mais je connais cette phrase par cœur maintenant, donc j’ai donné la carte à quelqu’un à Cologne en tournée qui pouvait en avoir besoin. Ma veste est aussi souvent remplie de plein de bazar que mes enfants laissent traîner, et que je ramasse. Pendant deux semaines, j’ai gardé des dents de vampire en plastique que mon fils avait eu pour Halloween.
Propos recueillis par Emma Shindo (Paris, 3 novembre 2017)
Photo : Emma Shindo
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