Hindi Zhara : « Je veux rappeler aux gens qu’il y a toujours des ponts à construire et pas des murs »
ENTRETIEN – Dans le cadre de l’Institut du Monde Arabe Hors les Murs, Hindi Zahra est en concert à la Cigale le 20 mai. Elle nous en dit plus sur cet événement et sur la suite de sa jolie carrière.
On a mis du temps avant de pouvoir papoter avec Hindi Zhara au téléphone. Et pour cause, au moment du phoner, mi-avril, l’artiste était en plein déménagement. On lui pardonne largement les décalages de créneau tant la chanteuse franco-marocaine nous a envoutés même à l’autre bout du fil. C’est dans le cadre de son concert à la Cigale le 20 mai, organisé par l’Institut du Monde Arabe, qu’on a souhaité parler avec la chanteuse, auteure des magnifiques albums Handmade (2010) et Homeland (2015). De quoi patienter avant la sortie d’un nouveau disque sur lequel elle est en train de plancher.
Tu joues à la Cigale le 20 mai dans le cadre de l’Institut du Monde Arabe Hors les Murs. Tu as hâte ?
Oui, très. Ce qui est heureux dans cette date, c’est que quand j’ai commencé ma tournée parisienne, j’ai eu beaucoup de propositions pour jouer sur des scènes nouvelles, un peu plus hypes, mais moi j’ai toujours été habituée à la Cigale. Je l’avais déjà faite en 2010 et je pense que ça m’a porté bonheur. C’est une salle à laquelle je suis attachée. Elle est multi-facettes. Le fait qu’on ait fini la tournée, et qu’on la boucle quelque part avec cette date, c’est génial.
Vas-tu proposer un set spécial pour ce concert ?
Je vais concocter quelque chose de particulier parce j’ai une setlist modulable qui s’adapte à différents publics. Aussi, j’ai invité Mehdi Nassouli, un jeune artiste marocain qui fait un travail exceptionnel sur le répertoire traditionnel, dont la musique gnawa et le châabi. Pour moi il représente vraiment la culture marocaine.
« C’est la scène qui m’a emmenée là où je suis. »
Tu partages l’affiche avec Labbess. Un artiste que tu affectionnes ?
C’est une amie marocaine qui me les a faits découvrir l’année dernière. C’est super beau. J’en avais parlé à tous ceux qui me demandaient ce qu’il y avait de nouveau au Maghreb et notamment en Algérie parce qu’on n’a pas de renouveau en fait Cheb Khaled, Cheb Mami et Souad Massi. Je pense que c’est un peu la relève.
La scène, c’est ton terrain de jeu préféré ?
C’est la scène qui m’a emmenée là où je suis. J’ai commencé à jouer de façon professionnelle en 2007 et mon premier album, Handmade, est sorti en 2010 donc pendant trois ans j’ai joué dans des clubs, des bars et des festivals. J’ai un profond lien avec le public, même si on ne se connait pas. C’est dans ma culture en tant que marocaine. La musique live a toujours accompagné les moments importants des gens. Pour moi, la scène est aussi un vecteur de stress, mais il faut le combattre le trac pour mieux amener les gens vers soi. Au final, c’est magique. Le bonheur de ma dernière tournée c’est d’être arrivée dans des théâtres ou des festivals où les gens me découvraient et de m’être dit à la fin que je n’avais pas tout donné pour rien. C’est mon vrai cadeau. Ça prouve que les gens ont eu des émotions, s’approprier mes mots, mes mélodies. C’est magnifique.
Ta musique est riche de multiples influences, du blues au jazz en passant par la folk et la musique traditionnelle. Un reflet de ton métissage ?
Je suis de culture et de nationalité marocaine. C’est un pays très intéressant rien que géographiquement. Il est en Méditerranée, au nord de l’Afrique, au sud de l’Europe et à l’Est de l’Amérique. Par ailleurs, on y parle le darija, un créole qui tient autant du berbère, de l’arabe, du français, du portugais que de l’espagnol. C’est ce que j’ai envie de transfigurer par la musique. Je veux rappeler aux gens qu’il y a toujours des ponts à construire et pas des murs.
C’est aussi pour ça que tu chantes en plusieurs langues ?
Les gens sont étonnés de m’entendre chanter en anglais et en berbère dans un même morceau. Quand on me demande pourquoi je fais ça, je réponds, « mais pourquoi pas ? ». Je pense que c’est une richesse. Les enfants qui apprennent plusieurs langues sont souvent plus intelligents, dans le sens où ils comprennent des concepts grammaticaux différents, donc des concepts intellectuels différents. Par exemple, en France, que certains bretons veuillent parler leur langue régionale en plus du français, je trouve ça génial. En tant qu’individu, on est de toute façon une multitude de choses donc pourquoi pas multiplier les langues. On ne peut pas évoluer dans ce monde si on ne parle pas anglais ou n’importe quelle autre langue qui nous permette de nous mettre en relation avec les autres. J’ai l’impression qu’être multiple et ouvert c’est être dans le temps et un peu en avance sur ce qui va arriver. Avec internet, toutes les cultures sont ouvertes aux autres, on est dans un temps d’échange comme ça. Je veux montrer la possibilité de la cohabitation.
As-tu un processus de composition défini ?
Il n’y a pas si longtemps, j’ai regardé un documentaire sur David Bowie, sur comment il écrivait et je fais plus ou moins la même chose, mais je ne savais pas que c’était le cas. Je suis autodidacte face à la création. Bien sûr j’ai appris comment amener la structure d’une chanson, mais pour l’écriture et la création, je pose une idée : ça peut être deux phrases par ci, deux phrases par là… et à un moment, tout va s’emboîter. Après, quand j’ai trouvé une mélodie ou un riff, c’est la mélodie qui va choisir le texte. C’est la musique qui scinde le tout, qui donne la directive. Les gens s’accrochent énormément à la mélodie. J’ai grandi comme ça. L’amour que j’ai pour la musique, c’est la mélodie. Elle reste dans la tête, c’est elle qui nous fait voyager. je la garde toujours maîtresse de l’histoire.
« Les chansons tristes sont celles qui guérissent le plus de la tristesse. »
Il y a un certaine mélancolie dans tes morceaux. Penses-tu que les chansons tristes sont les meilleures ?
J’ai le blues. Disons que pour moi, les chansons tristes sont celles qui guérissent le plus de la tristesse. Les musiques up tempo parlent au corps, et soignent le corps parce qu’elles le font danser. Mais pour ce qui est plus profond, très émotionnel, les chansons tristes prennent la relève. Le blues m’a beaucoup soignée et m’a permis de pleurer, d’exprimer quelque chose qui était caché au fond. La joie est beaucoup plus facilement exprimable. Disons qu’il y a toujours le tabou de la tristesse. Il faut toujours soit cacher ses émotions, soit être agréable. La musique est un bon moyen d’aller chercher les émotions tristes. Même le jazz vient du blues. Et quand on entend Billie Holiday, on entend la tristesse du blues. Ça m’a toujours fait du bien donc je perpétue la tradition.
Tu es aussi peintre et actrice. Deux arts qui nourrissent ta musique ?
La peinture, c’est la forme, les couleurs, le geste et le silence. C’est le reflet du miroir inverse de la musique selon moi. Je l’appelle la méditation active. Le cinéma, c’est autre chose. Je ne suis pas vraiment une actrice professionnelle. J’ai été surtout bien dirigée, mais j’ai découvert un art très puissant qui demande un travail et une énergie considérables et qui engendre énormément de pression car beaucoup de gens comptent sur vous. Maintenant je comprends pourquoi les acteurs sont adulés. Mais je serais prête à le refaire.
Es-tu en train de préparer un nouvel album ?
Ça me démange un peu à vrai dire. Depuis la fin de la tournée, en septembre dernier, j’ai commencé à écrire. J’ai amorcé la composition. J’ai déménagé à Bruxelles pour être dans une phase de création totale.