Zen Bamboo : “On n’a jamais fait d’album, et ça nous pèse”
INTERVIEW – Discussion avec les Québécois de Zen Bamboo, quelques heures avant le lancement de leur dernier EP à Montréal. L’occasion d’en savoir plus sur leur premier album à venir.
Ce vendredi 16 novembre est à marquer d’une petite croix de la couleur de ton choix, dans le calendrier de l’année 2018. C’est le concert de lancement, et de clôture, du dernier EP de Zen Bamboo dans le cadre de M pour Montréal. Mais c’est aussi le jour de la première grosse tempête de neige sur Montréal. Coïncidence nulle tu me diras, mais il n’empêche que c’est arrivé au même moment.
Il neige donc quand je me rends prudemment à la Vitrola. Ça fait un certain temps que je veux discuter avec Zen Bamboo, pour lesquels j’ai eu un énorme crush en début d’année. Et à la suite de la sortie de Retour aux sources, leur 4e et dernier EP de la série, l’occasion s’est présentée. Entre le premier et le tout dernier, les quatre garçons, originaires de Saint-Lambert, sur la rive sud de Montréal, ont eu le temps de signer chez Simone Records, à leurs conditions.
Ils débarquent au compte-goutte dans leur loge de la Vitrola. Xavier (basse), Simon (chant/guitare), Charles-Antoine (batterie) puis Léo (guitare). Ça parle terrasse, polaire, guitare, et extinction de voix avant de se mettre en place pour l’interview, calés dans des canapés qui n’en sont pas à leur première jeunesse. Le dictaphone est posé sur une enceinte au milieu de la pièce, et Simon a sa guitare sur les genoux. Il joue des mélodies en fond, ce qui ne facilitera pas ma tâche au moment de dérusher cette interview.
“Les titres d’albums c’est pour faire joli.”
Leur tout dernier EP s’appelle Retour aux sources. Forcément, je leur demande si la boucle est enfin bouclée après Juveniles, Plus mature, plus assumé et Carrière solo. “On a commencé par s’inaugurer avec Juvéniles qu’on avait fait dans le garage de ma mère, c’était comme l’accouchement” commence Simon. “Le garage était comme notre deuxième utérus. Et maintenant il faut qu’on se clôture. C’était important que ça soit symétrique”.
“On poursuit dans l’analogie de l’utérus, puisque c’est maintenant le moment où l’on monte dans le garage de notre mère symbolique” poursuit-il, pince sans rire. “Avec les trois précédents titres, ce titre-là avait du sens” ajoute Léo plus terre à terre. “On ne savait pas ce qui allait arriver, on savait juste qu’il y allait avoir quatre EP car on l’avait annoncé au début. À chaque fois c’était le petit jeu de savoir quel allait être le titre du prochain” explique Xavier à son tour.
“Les titres c’est juste pour faire joli, c’est l’emballage. On aurait pu les appeler A, B, C, D aussi mais c’était un peu moins substantiel” conclut Simon. C’est donc une page qui se tourne, un début de la fin, ou un début du début ? “La fin du début” me corrige Léo. “On passe à autre chose” conclut Xavier.
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“Tout le monde s’en fout des EP.”
Les quatre garçons travaillent depuis quelques temps à leur premier album. Simon fait le point : “On a juste vraiment hâte de commencer l’album, on a déjà tout composé. Il nous faut juste un espace et qu’on se mette au travail. On n’a jamais fait d’album encore et ça nous pèse. On a l’argent qu’il faut et le temps qu’il faut, donc on va le prendre. On ne se l’est jamais donné, on était toujours à la bourre.”
Cette fois-ci, Zen Bamboo feront comme les autres, après avoir été jusqu’au bout de leur idée de départ, leur série de quatre mini-albums, leurs Volumes. “Le processus de l’album normal, on le suit et rien d’autre. On n’est pas encore entré en studio. On a juste fait le travail de pré-production” précise Léo. Cette fois-ci ils veulent “suivre les normes” déclare Simon, car “les gens font tous des albums, puis ils font un lancement… Nous on ne peut pas dire qu’on a fait un album, ni un lancement, car tout le monde s’en fout des EP”. Désenchantement ou réalisme de l’omni-présence des plateformes de streaming, non-lucrative pour les artistes, dans une industrie du disque en plein déclin ? Pas facile pour les jeunes groupes de s’en sortir sans faire d’EP, mais compliqué, voire quasiment impossible économiquement, de commencer par un album.
“Faire cet album sera une activité relax, comme du tricot ou de la broderie.”
Selon eux, faire cet album en parallèle de leurs études va être une “activité relax, comme du tricot ou de la broderie” dixit Simon, maître des métaphores savoureuses. “Là ce qu’on faisait c’était la plonge en cuisine, et on est exténué. Donc on va trouver une job dans une ferme où les journées sont longues, mais lentes, avec un calme qui s’installe peu à peu dans ton cœur. Un simple coucher de soleil peut dès lors t’arracher un soupir de béatitude. J’ai envie de passer un an au complet à travailler sur la même affaire et pas un ou deux mois sur un EP.” Et puis, “artistiquement c’est plaisant 10 nouvelles chansons” résume Charles-Antoine, “si tu considères les quatre EP comme un album, c’est un deuxième album que l’on fait là”.
Ils devront néanmoins jongler avec leurs études, les quatre Québécois étant parallèlement tous à l’université, à temps-plein (Simon en littérature comparée, Léo en arts visuels, Xavier en Computer Arts et Charles-Antoine en cinéma). Et ça, Simon tient à le signaler : “C’est quelque chose qui nous rend admirables, et ce n’est jamais mis en avant car ça n’a pas de rapport avec notre musique.” Voilà une bonne vérité de rétablie.
“Au début on n’était pas très bon en musique.”
Leur année 2019 sera donc consacrée à leurs études, et à leur album, qu’ils prendront le temps de faire consciencieusement. Finalement, ils reconnaissent que sortir ces quatre EP était un moyen de retarder l’échéance de l’album. “On était pressé de sortir de quoi aussi, on n’avait rien d’enregistré” avoue Xavier. “Il faut juste faire un premier album meilleur que les EP… Chaque fois qu’on retournait en studio c’était comme si on refaisait un autre album, on essayait vraiment de se perfectionner” renchérit Léo.
Finalement, ces EP étaient un bon exercice. “Au début on n’était pas très bon en musique, mais maintenant on est rendu assez bon pour faire un album” tranche Simon. “On a appris de nos erreurs, et on a fait du mieux qu’on pouvait” glisse Charles-Antoine. “On avait le sens de la scène, mais pas le sens de la production. C’est important pour enregistrer un album, tu ne peux pas juste jouer tes tounes. Il y a des trucs qui ont changé, on se prend plus au sérieux et on a un peu plus de souci de la production. Mais au final on est encore les quatre mêmes personnes qui ont du plaisir à jouer ensemble” rajoute Léo.
Musicalement, il faut donc s’attendre à du rock’n’roll en bonne et due forme. Mais pas que. À Simon de préciser ce point : “on dit qu’on veut faire danser les gens, qu’il y ait une intensité physique et une histoire émotive. Souvent, j’ai eu l’impression qu’on faisait ou l’un ou l’autre. Ou ça s’adressait au cœur, ou ça s’adressait aux hanches. Il faut que ça soit les deux.”
“C’est dédaigneux de ne pas accepter quelque chose de kitsch, qui est simple et beau.”
Une question me taraude depuis un bout de temps au sujet de l’aspect ironique et kitsch de leur projet : de leur nom de groupe à leurs pochettes d’EP, cela peut surprendre. Interloquer, intéresser ou dissuader à tort. “Je ne crois pas qu’on ait déjà parlé de kitsch dans aucun brainstorm” commence Léo.
Simon s’arrête de jouer et prend la parole à son tour. “On fait ce qu’on fait à l’instinct. Parfois nos instincts sont kitschs c’est sûr. La plupart des gens ont des instincts kitschs, sauf qu’après ça, ils se rattrapent. Nous, on se surveille peut-être pas assez. Céline Dion c’est du kitsch négatif mais c’est hot quand même par exemple. Je pense que c’est dédaigneux de ne pas accepter quelque chose de simple et beau, qui est négatif pour l’art. Nous on essaie des affaires plutôt gênantes pour les connaisseurs, mais on n’en a rien à cirer. On fait ce qui nous intéresse et ce qui nous fait tripper. C’est de ça dont je suis dédaigneux : cet élitisme esthétique ennuyant là. C’est mesquin. Mais nous ne sommes pas mesquins, donc, parfois on est kitschs.” Amen.
Le kitsch c’est la vie. Et le projet de Zen Bamboo est aussi bon qu’un album de Céline Dion écrit par Jean-Jacques Goldman, croisé avec une bonne dose de méchants riffs sur guitares désaturées, de rythmiques enragées, de jolies mélodies et de paroles intelligemment désabusées. Un mix batard explosif. Et c’est de la balle.
En concert ce soir (7 décembre) à la Maison de la culture Maisonneuve avec Babylones, dans le cadre de Relève la relève.
Propos recueillis par Emma Shindo (Montréal, 16 novembre 2018).
Crédit photo : Anne-Marie Baribeau