Interview d’Howlin’ Jaws : “Le studio, ça devient très vite addictif”
INTERVIEW – Un 2e album acclamé, une tournée qui va les amener loin… Il était temps qu’on aille poser les vraies questions à Howlin’ Jaws.
Avec Half Asleep, Half Awake, Howlin’ Jaws a démontré son immense talent à faire vivre un rock réjouissant et ambitieux en France. Leur secret ? Sans aucun doute leur amitié indéfectible qui les fait continuer à jouer et créer ensemble depuis leur plus tendre enfance. S’ils sont dans tous les magazines depuis la sortie de ce 2e album, nous on a décidé de prendre Lucas (guitare), Djivan (chant et basse) et Baptiste (batterie) un peu par surprise avec une interview d’Howlin’ Jaws qui les force à des choix cornéliens. Et qui nous permet de revenir sur les étapes clés de cette formation qu’on a toujours autant plaisir à retrouver, et sur leur vie entre scène et studio.
L’interview d’Howlin’ Jaws, le “choix de Sophie”
Johnny Burnette ou Howlin’ Wolf ?
Lucas : Johnny Burnette.
Baptiste : Johnny Burnette.
Djivan : Howlin Wolf, on ne peut pas ne pas lui en donner un quand même !
Lucas : Les deux, ce serait la réponse la plus logique en fait, mais c’est vrai que pour moi Johnny Burnette, ça a été une énorme claque dans la gueule.
Djivan : Il nous a un peu fait aimé le rock’n’roll.
Baptiste : Mais Howlin’ Wolf aussi !
Vous l’avez découvert quand, Johnny Burnette ?
Baptiste : Très tôt !
Djivan : Chez ma grand-mère, il y avait ses vieux vinyles, on a mis ça et c’était “Wow ok !”
Baptiste : Il avait ce côté punk, qu’on aimait beaucoup à ce moment-là, et en même temps ce côté rockabilly avec cet univers, cheveux gominés, bottes de moto, les ourlets sur les pantalons et ça nous faisait un peu rêver. On s’est dit qu’on avait vraiment trouvé un truc qui nous correspondait.
Djivan : Surtout que ce n’était pas trop à la mode !
Lucas : Oui, quand tu as 17-18 ans, ça devient ton obsession. Et pour les amis guitaristes qui nous lisent, il a fait pas mal d’enregistrements avec un gratteux qui s’appelle Grady Martin et c’est ultra stylé ce qu’il fait.
Baptiste : Il a fait beaucoup de morceaux de country, de rockabilly dans les années 1950-1960.
Lucas : Il est partout, il est sur un album sur deux de 1950 à 1980 quoi.
Djivan : C’est simple, si c’est bien, c’est lui !
Et donc Howlin’ Wolf, c’était juste votre inspiration pour le nom ?
Djivan : Non, non, on adore aussi l’écouter, et puis tout ce qui est sorti de Chess Records… Je suis très très fan de blues, et Lucas aussi.
Lucas : Mais ça a surtout été notre découverte du mot “howling”, on a trouvé ça trop stylé et c’était une très très bonne idée parce que c’est imprononçable en français !
The Beatles ou The Kinks ?
Djivan : C’est dur tes questions !
Baptiste : Les Kinks.
Lucas : Les Beatles. C’est comme au McDo, tu prends un Big Mac, c’est tout.
Baptiste : Justement, moi je prends toujours le deuxième, l’outsider !
Djivan : Allez je vais dire les Kinks aussi. Je suis archi fan des Beatles mais j’aime bien le côté un peu prolo et punk des Kinks qu’ils ont au début.
Sixties ou seventies ?
En chœur : Oh la la ! C’est dur !
Baptiste qui montre ses bottes : Bah voilà ! Bon après c’est une question de période. Là je vais te dire seventies mais dans deux semaines je suis capable de te dire sixties.
Lucas : Moi c’est 2070 !
Djivan : Je dirais sixties, juste pour les mélodies et le délire de ces années-là. Mais j’aime bien les deux.
Lucas : Pas eighties en tout cas !
Mais qui dit eighties ? Pas beaucoup de gens !
Lucas : Plein de gens ! Il y a une tonne de groupes qui pleurnichent avec des synthés, ça me soûle ! “J’aime pas la vie, tu tu tu” (imite les touches d’un synthé). Mais il y a des trucs bien en vrai, comme dans toutes les décennies, mais ce n’est pas mon truc.
Baptiste : Moi je vais répondre 1978, quand c’est pas encore les eighties mais que ça commence à être un peu ringard ! Gerry Rafferty, c’est mon kif en ce moment !
Par rapport à vos albums, on voit que vous évoluez un peu selon cette chronologie aussi dans les influences. Et donc… Strange Effects (le 1er album) ou Half Asleep, Half Awake (le 2e) ?
Djivan : Half Asleep, Half Awake !
Lucas : Bah le prochain ! Dont on n’a pas encore le nom d’ailleurs.
Djivan : Moi je dirais le dernier, il est plus en phase avec ce qu’on est maintenant.
Baptiste : Tout le monde préfère son dernier-né non ? Big up aux aînés !
Howlin’ Jaws et le contrôle artistique
Et par rapport aux pochettes et aux clips faits pour les deux albums, vous êtes plutôt do it yourself ou intelligence artificielle ?
En chœur : Les deux !
Baptiste : En fait l’intelligence artificielle, c’était un peu pour continuer cet esprit do it yourself. On est un peu des control freaks en fait, que ce soit pour les clips ou les pochettes. Pour le 2e album, on voulait être en contrôle total de la pochette, et même si Lucas est graphiste, on voulait s’éloigner de la pochette classique.
Lucas : Les flemmards (rires).
Djivan : On voulait être en contrôle et à la fois pas du tout, et c’est aussi pour ça qu’on a choisi l’IA.
En fait, la question nous ramène à choisir entre contrôle et lâcher-prise finalement…
Djivan : En fait c’est les deux, on aime bien faire ça nous-mêmes.
Lucas : Oui, c’est vrai qu’on est dans le contrôle de tout. Les clips, on fait tout, tous seuls maintenant.
Le contrôle, parce que c’est votre personnalité ou…
Djivan : Parce qu’on n’a pas d’argent ! (rires)
Lucas : Oui, c’est un mélange entre pas d’argent, plein d’idées… “On n’a pas de pétrole mais on a des idées” ! Et en fait on se marre trop à faire ça tous seuls.
Baptiste : Et on essaie de toujours se mettre à fond dans ce qu’on fait, des clips, même des posts sur Instagram, on peut se prendre la tête des jours entiers. Quand on délègue ça totalement à une personne, c’est rare qu’on arrive à faire confiance. On reste un peu au-dessus de l’épaule. On a réussi à le faire avec quelques personnes, mais il faut vraiment qu’il y ait une connexion artistique qui se fasse. Mais comme c’est rare de trouver des gens avec qui tu es en phase totalement, on fait beaucoup les choses nous-mêmes.
Djivan : Et comme on touche un peu à tout… Moi je fais du montage, Lucas du graphisme, Baptiste fait du mix… Quand on fait un truc et qu’un mec nous file un montage, que c’est pas calé sur la drum comme tu veux, que la guitare est décalée, tu es en mode “tu veux pas refaire ça ? et ça ?”. Si c’est moi qui le fait, au moins j’ai ce que je veux directement à la fin. C’est souvent sur du détail, mais si tu fais pas l’extra-step, moi je vais le faire, je vais aller jusqu’au bout.
Et donc, qu’est-ce que vous déléguez actuellement ? Parce que plus vous grandissez, plus il va falloir déléguer non ?
Baptiste : Bah oui et non en fait. Je parle uniquement de l’artistique là. Le gros truc qu’on a délégué, c’est la production de l’album à Liam Watson. Avec lui, on s’est mis dans ses mains. Quand je te parlais de confiance et de connexion, on faisait vraiment confiance en ses idées, en ses choix. On a travaillé main dans la main, on n’a pas été control freak avec lui. C’était plus l’inverse ! Donc là-dessus, on a délégué. On n’est pas encore au stade où on veut être en total contrôle sur le son parce qu’avoir une personne tierce qui rentre dans le jeu, c’est hyper intéressant pour nous. Ça nous permet d’avoir du lâcher prise dans la musique, et dans la composition et l’enregistrement, c’est hyper important, et ça s’entend vraiment.
Djivan : Et comme on compose tout à trois, parfois on tourne en rond, on n’arrive pas forcément à trouver le truc décisif. Donc c’est vrai que quelqu’un en qui on peut avoir confiance, qui peut nous donner une direction, c’est toujours cool.
Entre scène et studio, leur cœur balance
Alors justement, studio ou scène ?
Lucas : C’est ultra dur ton truc ! Fallait nous prévenir que ce serait “tu préfères ton père ou ta mère ?”. Franchement c’est impossible de répondre !
Parce que vous avez mis du temps quand même à sortir un premier album…
Lucas : Oui, c’est vrai qu’à la base c’est plutôt scène mais on kiffe trop le studio.
Baptiste : Et maintenant qu’on a un studio et qu’on peut passer autant de temps qu’on veut en répète, et en composition, et enregistrer des petits bouts, ça devient addictif le studio, très vite. Tu comprends les groupes qui ont complètement arrêté la scène pour ne faire que du studio, parce qu’en fait c’est ça qui reste. Mais en même temps, la scène, on prend tellement notre pied…
Lucas : Je pense que c’est la relation entre les deux qui est intéressante en fait.
Djivan : Oui carrément.
Lucas : Ce que tu fais en studio est à la fois destiné à la scène, et en même temps c’est complètement un autre produit, et nous on aime bien s’amuser à conjuguer les deux. Pas faire un album pour la scène, on s’est défait de ces limites là, mais par contre on projette quand même. En festival devant 2 000 personnes, est-ce que j’ai envie de jouer plutôt ça ou plutôt ça ? C’est une relation intéressante.
Djivan : Cet album, on l’a pensé pour quand on allait le jouer, mais on ajoute des instruments, des pianos, des orgues, plein de guitares, pour le studio. Et on le recompose ensuite quand on doit l’adapter à la scène. Mais c’est une continuité du boulot.
Baptiste : Et c’est une volonté aussi d’arriver sur scène et de proposer aux gens qui ont écouté l’album et qui l’ont aimé une autre interprétation. Tu n’as pas forcément envie de réécouter la même chose. On s’écoutait un live d’Elvis là dans le camion en venant, et il réinterprète complètement ses chansons, et c’est génial d’entendre ses vieux tubes retravaillés. Nous, c’est un truc qui nous plaît. Et c’est aussi pour ça qu’on a des chansons du 1er EP et du 1er album dans le set. On les transforme.
Djivan : Bon après c’est personnel, mais moi ça me fait vachement chier les groupes qui jouent avec les bandes, qui ressortent un truc comme sur le disque. C’est relou. Et puis le live c’est vivant, avec toutes les imperfections que ça apporte. Moi c’est ça que j’aime bien. Sur le fil !
Paris ou Londres ?
Tous : Paris.
Parce que c’est la maison ?
Lucas : Parce que c’est la plus belle ville du monde !
Djivan : Paris, si tu connais, c’est de la balle.
Baptiste : C’était génial d’aller à Londres pour enregistrer, c’était super de ne pas être à la maison. Tu es vraiment focus, tu n’as aucune distraction. On sortait du studio, on buvait 2-3 verres, on mangeait et notre temps libre c’était préparer la journée du lendemain. Pas de vaisselle, pas de problème du quotidien, donc c’était super de ne pas être à Paris pour enregistrer. On va essayer de ne pas être à Paris pour le prochain album. Et si on réenregistre à Paris, on se prendra un hôtel ! (rires). Mais une autre culture et une autre ambiance, c’est chouette.
Et en terme de scène, rock notamment ?
Djivan : On n’a pas assez traîné pour connaître la scène londonienne, mais il y beaucoup de groupes cool.
Baptiste : Ils ont une culture rock plus présente.
Lucas : Je discutais avec un pote, le bassiste d’un mec qui s’appelle Laurie Wright, des Londoniens, et je lui disais “Londres, capitale rock”. Il disait qu’en vrai, pas tant que ça. Il y a plein de clubs qui ont fermé comme partout à cause du Covid. Et les groupes sont moins aidés qu’en France. Donc il n’y a plus tant de groupes que ça, en rock. Donc Paris, encore.
Baptiste : Même Paris, on a perdu pas mal de clubs. C’est très difficile pour ceux encore ouverts de continuer à proposer de la musique vivante actuelle, du rock ou autre. Et avec ce qu’il se passe politiquement en ce moment, il y a des risques que ça s’empire… Donc si vous voulez soutenir vos salles, allez voir des concerts !
Djivan : De toute façon, scène rock parisienne ou londonienne… Nous on est à Paris, donc c’est forcément mieux là où on est ! (rires)
Zénith avec les Black Keys (ils ont fait leur première partie en mai dernier, ndlr) ou Seattle à venir (date annoncée au Freakout pour cet automne) ?
Djivan : C’est différent, mais je pense Seattle. Ca va être archi-cool. C’est vraiment l’inverse. Le Zénith c’était trop bien hein. Mais Seattle ça va être bien dingue, c’est que des petits clubs partout, tu joues partout, c’est la teuf partout.
Baptiste : Moi je dirais Zénith. J’ai envie de faire des zéniths moi, ça y est ! Plus de club, objectif le zénith Howlin’ Jaws ! (rires). Nan vraiment, c’est super d’être devant autant de personnes, même en première partie où les gens sont moins chauds parce qu’ils ne sont pas venus te voir.
Djivan : Là, ils étaient archi-chauds quand même !
Baptiste : Oui c’est vrai, et il y avait des gens qui nous connaissaient et étaient contents de nous revoir. Quand t’es sur scène et que t’as 4000 personnes qui t’applaudissent, ça te fait un frisson.
“On ne se projette pas à plus de 2 semaines”
Théâtre ou cinéma ? (Ils ont fait la bande son de la pièce Electre des bas-fonds)
Lucas : Netflix ?
Djivan : Bah moi je vais dire théâtre, parce que j’ai grandi dedans. Mais musicalement, le cinéma c’est plus intéressant en ce moment. Le théâtre a été longtemps délaissé malheureusement.
Et est-ce que faire la bande-son d’Electre vous a donné envie d’aller voir côté cinéma ?
Tous : Oui, carrément !
Lucas : Ça a donné envie de refaire ça au théâtre aussi.
Baptiste : Là on a le studio en plus, donc on aura le loisir d’éventuellement composer, travailler avec des réalisateurs. Et moi le lien musique et image, c’est un truc qui m’a toujours intéressé. Il y a aussi un truc chouette avec le théâtre. Ce n’est pas “tu enregistres une fois et c’est plié, ça passe une fois et c’est plié”. Au théâtre, c’est différent à chaque représentation. C’est une troupe, c’est une ambiance, c’est des villes, c’est des nouvelles personnes que tu rencontres tous les soirs.
Djivan, imitant Edouard Baer : “Je pense que le théâtre, c’est avant tout des rencontres. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise représentation”. (rires)
Baptiste : C’était chouette de tourner avec la pièce. Excusez moi les enfants, mais il y a les adultes qui parlent là. (rires)
Djivan : Il y a Edouard Baer qui fait son discours oui ! (rires)
Une petite collab au théâtre avec Edouard Baer, ce serait pas mal !
Baptiste : Ce serait chouette !
Djivan : Le problème c’est qu’il parle tellement, je sais pas si on aura le temps de jouer ! (rires)
Tu pousses le son un peu, il n’aura pas le choix ! Alors présent ou futur ?
Tous : Futur !
Vous vous projetez ?
En chœur : Bien sûr !
Djivan : Clairement. Enfin ceci dit, présent aussi.
Baptiste : Je ne sais pas si j’ai trop le droit de le dire, mais on bosse déjà sur la suite.
Djivan : Oui, on bosse sur un album.
Baptiste : C’est encore juste la composition, il n’y a pas de date, mais on se projette vers la suite oui. On est trop content de recommencer à composer.
Et au-delà, vous voyez quoi ?
Lucas : J’ai la vision d’une piscine en forme de guitare moi ! (rires)
Baptiste : Nan, nous on a encore 14 ans d’âge mental, on ne se projette pas à plus de deux semaines !
Djivan : Ce qui est vraiment cool, c’est que maintenant que Baptiste a chopé un studio, on a un lieu à nous. Je suis très content de me dire qu’on va être là-dedans tous les jours ouvrés, de 9h à 18h, comme au bureau ! (rires)
Baptiste : Les mecs, ils ont fait musiciens pour ne pas être au bureau et ils vont finir au bureau !
Djivan : Ça t’enlève aussi la pression de payer des heures de répète, tu peux juste y aller, même si c’est juste pour faire du café et 2-3 trucs…
Baptiste : Ce qui arrive souvent !
Djivan : C’est quand même un lieu où on peut créer.
Baptiste : ll n’y a plus de pression, on a la journée, sortira ce qui sortira et puis voilà. Comment on dit ? “On ne presse pas le génie”? (rires)
Lucas : Ne presse pas le génie car l’amitié n’attend pas ! (rires)
Baptiste : Mieux vaut tard que jamais ! (rires)
Pour finir, petite playlist de ce que vous écoutez cet été ?
(Réflexion intense pour les trois)
Lucas : Glyders, un groupe de Chicago, ultra cool. De la bonne musique de voiture ! Silver Synthetic, des potes d’Orléans, c’est bien été ça ! Et, allez, King Gizzard, il y en a un nouveau là qui est marrant.
Baptiste : Gerry Rafferty forcément, je suis en train de finir l’album. Steely Dan. Et Buffalo Springfield.
Djivan : Je ne sais pas du tout, j’écoute pas grand chose en ce moment… Qu’est-ce que je peux sortir de mon chapeau magique… Les Hollies, les Zombies et les Mystery Lights !
Merci aux Howlin’ Jaws et à Thibault Guilhem pour l’interview et son organisation, et à la piscine de Ferrette pour l’accueil.
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