Mustang : “Ce serait un grand piège pour nous de ne faire que dans le poil à gratter”

INTERVIEW – Mustang a sorti MEGAPHENIX, son 5e album de rock incisif sans concession. On a posé quelques questions à Jean Felzine : nouvelle formation, scène et ce qu’on a encore à dire quand tout se délite.

Depuis leur premier album A71 sorti en 2009, Mustang fait partie de ces groupes de rock français aux textes acérés qui jamais ne déçoivent. Des albums en 2009, 2011, 2014, une parenthèse solo pour Jean Felzine, puis 2021 avec un nouveau batteur dans l’équation. En 2024, Mustang est toujours là. Avec cet aplomb et cette qualité de composition qui les caractérisent.

En octobre 2024, ils lâchent MEGAPHENIX dans une France qui vénère toujours le hip-hop (la fameuse “musique urbaine” comme disent les Victoires de la musique) et met une pression pédante sur celles et ceux qui s’essaient à revitaliser la chanson française. MEGAPHENIX contient onze titres qui nous rappellent que le rock peut être bien écrit, viser juste et muter vers des horizons plus pop sans pour autant perdre ses lettres de noblesse.

MEGAPHENIX est un album comme il en faudrait plus, de ceux qui ne renouvellent pas le genre mais qui font forte impression dès la première écoute, et qu’on relance du début à la fin sans se lasser. Rupture, anti-vax (“alertes au gogols”), foi, fantaisie sexuelle, impérialisme américain, hommage à Ted Nelson (créateur de l’hypertexte), non-hommage à Steve Jobs… Mustang puise dans ce monde qui tourne à l’envers et ne laisse pas de répit. Autant dire qu’il y a encore de quoi faire, et ça tombe bien, puisque Jean Felzine nous a confirmé qu’un nouvel album est déjà sur les rails.


On est en mars à l’heure où on écrit cet article, l’album est sorti en octobre dernier (Vietnam), et le trio est actuellement en tournée en France. L’occasion de poser quelques questions au chanteur-guitariste Jean Felzine qui s’est gentiment prêté au jeu. Et vous rappeler d’aller voir Mustang en show. Le groupe sera notamment en concert le 11 juin au Trabendo (Paris).

Comment se sont passées les retrouvailles d’écriture et de composition de ce nouvel album avec Nicolas Musset (qui a remplacé Rémi Faure à la batterie) ?

Jean Felzine : En fait c’était surtout une manière de faire connaissance “artistiquement” avec Nico, qui avait fait la tournée précédente mais pas l’album Memento Mori, et qui nous a proposé de produire quelques titres dans son studio pour voir si ça fonctionnait. On s’est vite dit que ça le faisait, et on a fait de petites sessions éparses sur un an et demi, au fur et à mesure que les chansons venaient. Quand on en a eu une douzaine qui nous plaisaient, avec les grandes lignes de force (“Je ne suis plus aimé”, “Chanson française”, l’instru central “Tiretaine Amen”, “Aéroport” etc.) on s’est dit qu’on avait le disque. Il n’y a pas vraiment eu de chutes. En revanche pour le prochain là, on commence à avoir beaucoup trop de chansons ! 

Des influences particulières pour cet album-là ?

Personnellement je n’avais pas d’influence particulière en tête, ça fait un moment que je ne me dis plus trop “j’aimerais que la chanson sonne comme un tel ou un tel”. J’essaie de la laisser grandir toute seule. Le truc avec la mélodie à la Michel Legrand sur “Je ne suis plus aimé”, par exemple, je m’en suis seulement rendu compte après l’avoir composée.

“Je pense qu’on peut tout dire et tout chanter bien sûr, c’est mon credo depuis toujours.”

Est-ce que la musique c’est mieux qu’un punching ball pour dire ce qu’on pense vraiment ? Peut-on vraiment tout chanter si c’est sous couvert d’un accompagnement ?

N’importe quelle discipline artistique a un côté défouloir. Dans le dessin par exemple, c’est assez évident, on commence souvent par faire des petits machins gores ou pornos. Je pense qu’on peut tout dire et tout chanter bien sûr, c’est mon credo depuis toujours. Mais ça veut aussi dire ne pas s’interdire la tendresse, la naïveté, la connerie même, tout le panel des émotions humaines quoi ! Ce serait un grand piège pour nous de ne faire que dans le poil à gratter.

Je suis obligée de te parler de “Chanson française” cette chanson pamphlet, gros coup de gueule avec ses petits arpèges de guitare presque innocents. Ce ne sont “que” 2 minutes 20, mais je me demande quelles ont été les retours ?

Pas tellement de retours en fait, même si c’est une des chansons les plus remarquées. Les Français adorent statufier leur poésie mais en fait je me demande s’ils écoutent les textes tant que ça. C’est un petit machin écrit et composé en 5 minutes, ça ne devait n’être qu’un interlude. En fait, c’est parti d’un tweet que j’avais fait “La chanson française, elle pèse une tonne, elle pèse que dalle”. Je sais même plus à propos de quoi. C’est pour ça que j’ai fermé mon compte, et pas à cause de cette m**** d’Elon Musk. Mais parce que j’y gâchais des bons mots et ça me rendait accro, à mort.

Du reste on a le droit de se sentir sur un échelon différent : quand je vois les chansons qui se disent politiques et qui au mieux sont des trucs archi moralisateurs, au pire des trucs de développement personnel déguisés… C’est tout ce qu’on n’a pas voulu faire avec “Le pantalon”, “Salauds de pauvres”, “Dissident” ou “Aérosol”.

Est-ce que tu as une chanson préférée sur cet album ?

Honnêtement j’ai la tête dans le suivant là, alors je ne leur trouve que des défauts. Je trouve que j’ai été un peu paresseux sur les textes. “Je ne suis plus aimé” par exemple, c’est une de nos plus jolies mélodies, mais j’aurais dû commencer par le dernier couplet qui est plus “show, don’t tell”. “La porte au nez”, je peux plus l’écouter. Bizarrement, c’est la plus couillonne, “Wikipédia”, qui me réjouit le plus.

En parlant du “puissant fond de science” qu’est Wikipedia : je suppose que vous êtes allés voir votre page de groupe en ligne ?

Alors attention, c’est “puits sans fond”, et pas “puissant fond”. Sur notre page Wiki, il y a longtemps eu pas mal d’erreurs, mais là c’est plutôt OK. Moi, j’y ai jamais touché, mais un de nos guitaristes des tout débuts à Clermont, qui vient malheureusement de mourir, l’éditait de temps en temps… Je ne sais pas si ça impacte les chansons, mais c’est sûr qu’on est un vieux groupe maintenant sur lequel pas mal de trucs ont été écrits, et comme on les a lus c’est parfois difficile d’en faire abstraction, faut juste pas devenir prisonnier de son storytelling.

“Avec Arthur Teboul, il y a une admiration mutuelle et un certain mysticisme qui nous rapproche.”

Vous avez un seul “feat” sur cet album et c’est la dernière chanson de l’album. Si je ne me trompe pas, c’est aussi le tout premier de vos albums. Est-ce que tu peux me parler de l’écriture de cette collaboration avec Arthur Teboul (Feu! Chatterton!) ?

Pour le coup c’est un peu de l’esprit de contradiction. Avec Arthur Teboul, on paraît très opposés dans notre façon d’écrire et même de voir le monde. Pourtant il y a une admiration mutuelle et un certain mysticisme qui nous rapproche.

C’est Nico (Musset) qui a suggéré cette collaboration, car la chanson sans lui était très redondante. Il a accepté tout de suite ! Je lui ai suggéré de faire une invitation au voyage très lyrique et imagée (genre “tu n’as pas vu le Kilimandjaro”) en contrepoint de mes ruminations, de ne pas hésiter à le rapper un peu et il a écrit puis enregistré ça très vite. Il a une fulgurance dedans dont je ne me lasse pas “Tu n’as pas vu l’Atacama/cet immense désert fauve/devenir du jour au lendemain/un océan de fleurs mauves”. C’est beau et c’est vrai en plus, ce désert existe et fleurit. Quand la beauté des mots et leur vérité se rejoignent, y’a rien de mieux.

“Il n’y a pas vraiment de marché pour le rock en France. Tout ce qu’on obtient c’est de haute lutte.”

Votre premier album est sorti en 2009. Autant dire que vous avez quand même roulé votre bosse. Qu’est-ce que tu donnerais comme conseil à des jeunes qui veulent faire du rock en 2025 ? 

Je leur dirais de chanter en anglais et d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Il n’y a pas vraiment de marché pour ça en France, tout ce qu’on obtient c’est de haute lutte. C’est épuisant.

Vous êtes en tournée en ce moment. As-tu une anecdote à nous raconter sur vos aventures en tournées ?

Il y a deux ans, on a joué aux Abattoirs à Bourgoin-Jallieu, chouette salle qui a d’ailleurs eu la gentillesse de nous reprogrammer plusieurs fois. Michael Jones (de Frédéricks-Goldman-Jones) était là et a adoré. Il est venu nous tchatcher au merch’. Moi, je l’ai pas reconnu, on me l’a dit après, donc il y avait comme un quiproquo. Pour moi, c’était juste un Gallois sympa. Comme on avait joué à Cardiff avec Blondie, je lui ai dit les seuls mots que je connaissais en gallois. Puis Il m’a suggéré d’acheter une autre pédale d’overdrive que ma Boss Blues Driver. C’était marrant.

Prochains concerts en France :

29/03 – MIGENNES (89) – CABARET L’ESCALE
23/04 – ZURICH (Suisses) – X-Tra (en ouverture de La Femme)
24/04 – LAUSANNE (Suisses) – Les Docks (en ouverture de La Femme)
24/05 – CLERMONT-FERRAND (63) – LA COOPERATIVE DE MAI (en ouverture des Limiñanas)
31/05 – CHÂTEAU-THIERRY (02) – LA BISCUITERIE
11/06 – PARIS (75) – LE TRABENDO
16/07 – ARTHEZ-DE-BEARN (64) – Le Pingouin Alternatif
17/07 – BORDEAUX (33) – Astroshow Open air

Crédit photo : Minhia Defoy