On a vu : “Julieta” de Pedro Almodóvar
Après la comédie loufoque qu’était Les Amants Passagers, Pedro Almodóvar fait son grand retour au drame familial avec Julieta. Inspiré de trois nouvelles d’Alice Munro, Julieta raconte la déchirure d’une mère abandonnée par son enfant, avec habileté et raffinement comme le réalisateur nous y avait habitué.
Alors qu’elle devait déménager au Portugal, Julieta rencontre à Madrid par hasard Beatriz, l’amie d’enfance de sa fille Antía. Julieta n’a pas eu de nouvelles de sa fille depuis plus de 20 ans, Beatriz lui apprend qu’elle l’a croisée en Italie. Cette affirmation replonge Julieta dans les recherches. Elle ne comprend pas pourquoi sa fille a un jour décidé de disparaître. Elle est prise d’un relent d’énergie, elle veut retrouver sa fille, elle a enfin une piste solide. Mais avec l’espoir remonte également la mémoire d’une époque difficile. Pour comprendre la fuite d’Antía, il faut retracer son passé : la rencontre de ses parents Julieta et Xoan, la fin de leur couple, la dépression de Julieta, la rencontre avec Beatriz…
Entre passé et présent
Le film alterne entre l’enfance d’Antía, de ses premiers mois à son adolescence, et le présent lorsque sa mère apprend qu’elle est en vie et mère de trois enfants. On apprend les éléments petit à petit, le passé éclairant le présent. De cette progression découpée naît un suspense justement ficelé et une compréhension subtile des personnages. On sait très vite que Julieta n’est plus avec le père d’Antía, mais on apprend plus tard la raison. Julieta semble traumatisée par sa rencontre fortuite avec Beatriz, les flash-back nous montrent que le traumatisme a bel et bien raison d’être. On découvre au fil du film qu’elle retourne sur des lieu-clé de son histoire avec sa fille. Le voile se lève peu à peu.
Une mise en scène magnifique
C’est justement sur un voile que s’ouvre le film, un voile rouge – couleur si chère à Almodóvar. On retrouve le rouge dans nombre des costumes et des éléments de décor, créant ainsi un fil conducteur – un fil rouge ! – tout au long du film, et rappelant, pour le plaisir des connaisseurs, l’oeuvre complète du réalisateur. Mais le rouge n’est pas la seule couleur mise à l’honneur. Il se partage la vedette avec le blond des cheveux de Julieta et le bleu de la mer. Visuellement, les scènes sont très colorées et balancent poétiquement avec le sombre du récit. Almodóvar se permet avec Julieta une incartade onirique, presque surréaliste. À travers les vitres du train, on aperçoit un grand cerf galopant dans la nuit et la neige. L’apparition est pleine de sens, mais offre une vision féerique et particulièrement élégante au milieu d’une scène de train très hitchcockienne.
Visages fermés, tenues distinguées, paysages de rêves, rien n’est laissé au hasard et tout est recherche de beauté. Almodóvar joue avec les contrastes, les plans, les genres cinématographiques également.
Un film multi-style
Julieta commence comme un drame familial. On sent que la mère cache un lourd secret à son compagnon. Sa rencontre avec Beatriz suppose qu’elle va replonger dans la dépression. Mais très vite, une enquête est entamée, des questions sont posées, le suspense apparaît. Que s’est-il passé, où est Antía et pourquoi ? S’ajoute au drame familial une enquête pleine de surprises. Enfin, le film raconte des époques et ses générations. Les années 1980 d’abord, alors que la Julieta d’à peine 20 ans enseigne la philosophie, puis l’époque actuelle, où les mœurs semblent avoir changé. Se confrontent également des mentalités différentes : dues à des différences générationnelles (les parents de Julieta et leur fille), dues à des différences géographiques (les citadins de Madrid face aux pêcheurs), dues à des différences de milieu social (Beatriz et sa mère VS Julieta et sa fille).
Le film est donc riche de grand nombre de styles et d’ambiances.
On retrouve avec Julieta le grand Almodóvar : des personnages brisés et intrigants, une réalisation soignée et fascinante, un film riche et hors des cadres et en bonus, une bande-originale de toute beauté, réalisée subtilement par Alberto Iglesias. Un film à courir voir sans hésiter.
Julieta, d’après Fugitives, recueil de nouvelles d’Alice Munro. Avec Emma Suarez, Adriana Ugarte, Daniel Grao. En salle en France depuis le 18 mai.