First Aid Kit : “On ne sait pas travailler l’une sans l’autre”
INTERVIEW – On a rencontré les fabuleuses First Aid Kit pour une interview fleuve à l’occasion de la sortie de “Ruins”, leur nouvel album.
C’est la fin du mois de novembre 2017. J’écoute en boucle depuis une semaine Ruins le nouvel album de First Aid Kit. Je chantonne même “My Wild Sweet Love” dans le métro en me rendant à la Brasserie Barbes, lieu choisi pour cette journée de promo française avec Klara et Johanna Söderberg. Elles sont ravissantes, vêtues toutes les deux de jolies robes. Elles sont lumineuses et sincères quand elles me répondent, et tellement complémentaires. Leur dernier album est superbe, fragile et puissant à la fois. Il s’écoute d’une traite et réconciliera quiconque a été un peu déçu par Stay Gold. Rencontre avec le meilleur duo folk de ces dernières années : interview fleuve avec les parfaites First Aid Kit.
Votre nouvel album, Ruins, commence avec “Rebel Heart” qui est une longue chanson parlant de souvenirs assez douloureux. Pourquoi est-ce que cela a l’air à la fois si facile, mais aussi si difficile de parler d’amour ?
Klara : Ouh, c’est bonne question… Je suis ravie que ça ait l’air simple ! (rires) Car ça l’était d’une certaine façon… Je ne crois que pour cet album l’écriture ait été difficile. C’est justement très ouvert et assez vulnérable à la fois. On espère vraiment que ceux qui vont écouter notre disque vont s’en rendre compte, car cet album vient tout droit de nos cœurs, il y a beaucoup d’émotions dedans. Peut-être qu’ainsi, ils vont pouvoir s’y retrouver eux aussi, qu’ils seront touchés comme nous, nous avons pu l’être.
“Une chanson n’est jamais vraiment terminée, elle est sacrifiée à un moment donné”
Vous êtes dans le monde de la musique depuis un certain temps maintenant. Dans “Distant Star”, vous chantez : quand les au revoir n’ont pas de fin, comme ces chansons que j’écris. Était-ce si compliqué de se remettre à écrire pendant ces 6 mois que vous avez passé à Joshua Tree pour trouver de l’inspiration ?
Johanna : C’est vraiment difficile de savoir quand une chanson est terminée [Klara acquiesce]. Tu ne peux jamais être certain que cette chanson est suffisamment bonne. C’est comme peindre un tableau. Tu veux tout le temps y ajouter une couche…
Klara : Il faut vraiment la sacrifier à un moment donné.
Johanna : Et se dire que oui, là elle est suffisamment bonne.
Klara : Il y a une citation dans Just Kids de Patti Smith qui dit qu’on ne finit jamais un poème, on l’abandonne. C’est un peu la même chose pour nous. C’est ça que je voulais dire dans ces paroles : une chanson n’est jamais véritablement terminée…
Johanna : …comme lorsqu’on se dit au revoir. J’ai toujours beaucoup de difficultés à dire au revoir aux gens, je ne m’arrête pas. Une seule fois ne suffit pas, ce n’est jamais assez, car la personne à qui tu le dis va te manquer. Parfois il vaut mieux dire “au revoir” et s’en aller vite après.
Klara : On doit beaucoup dire au revoir aux gens…
Johanna : On vit beaucoup de séparations… On s’est habituées à ce que notre famille et nos amis nous manquent. Ils nous manquent constamment, c’est douloureux.
Comment vous êtes-vous rendu compte que ces 10 chansons qui composent votre album étaient effectivement terminées ?
Klara : À un certain moment il faut que tu les lâches, que tu acceptes.
Johanna : On s’est améliorées ! Bon, ce n’est pas encore parfait, bien qu’on ne cherche pas la perfection car c’est trop de pression… Il y a peut-être quelques lignes dont je ne suis pas très fière. Je me dis que ce ne sont pas les meilleures au monde… mais je n’avais aucune autre idée en tête ! (Klara rit)
Klara : C’est vrai oui, c’est comme Leonard Cohen qui passait des mois, voire des années à travailler ses textes. Ce qui est incroyable !
Johanna : On admire tellement son travail…
Klara : Absolument ! Mais je ne sais pas si on a autant de patience que lui… (rires) On est plus dans le moment. Je me souviens très bien par exemple, à quel moment et dans quel contexte j’ai écrit les premières phrases de “Distant Star”. Ça devait être en 2013 si mes souvenirs sont bons… un bail !
Johanna : Et tu as pour habitude de ne pas terminer tes chansons. C’est mon rôle de les finir.
Klara : C’est génial cette façon de travailler ensemble. J’aime bien me dire que je peux lâcher une chanson en sachant que Johanna est là pour elle après.
“On ne cherche pas la perfection car c’est trop de pression”
Donc pour les textes, Klara commence les chansons, et toi Johanna tu les termines. Qu’en est-il pour la musique ?
Johanna : Pour cet album-ci on a laissé notre groupe jammer dessus lors de sessions live à Portland. Ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient à partir de nos démos. On avait mis quelques lignes de basse et de piano.
Klara : On était plus ouvertes à leurs propositions et idées car ce sont tous d’incroyables musiciens. C’était intéressant et vraiment cool de connaître leurs inclinaisons, ce qu’ils peuvent projeter dans leur tête à partir de nos démos.
Vous êtes allées en studio avec Tucker Martine qui a travaillé avec Laura Veirs, The Decemberists, My Morning Jacket… en cherchant à faire un album live naturel. Dans “Hem of Her Dress”, à la fin, on entend des enregistrements du studio, comme si on était avec vous.
Klara : C’est chouette, c’est vraiment ce qu’on voulait !
Johanna : Te donner la sensation que tu es dans la même pièce que nous, et que l’on joue cette chanson pour toi. Pour cette chanson-là on a invité toute notre famille, Laura la femme de Tucker, et tout le monde a chanté ensemble. La majorité des chansons a été enregistrée live avec le groupe dans la même pièce alors que pour nos précédents albums on ajoutait les couches petit à petit avec l’ordinateur.
“On ne voulait pas prendre trop nos aises à l’enregistrement, on voulait sortir de notre zone de confort”
Est-ce qu’enregistrer live est une technique que vous réutiliseriez pour vos prochains albums ?
Klara : C’était génial oui ! À vrai dire on ne pense pas vraiment à ce qui va venir après… on finira par le faire bien sûr, mais pour le moment vu que l’album n’est pas encore sorti… On verra bien ! On a adoré enregistrer cet album, on a pris beaucoup de plaisir. Donc il y a de fortes chances qu’on en refasse un dans la même veine. Il y a une véritable tension en studio quand on se rend compte qu’on vise tous le même but lors de l’enregistrement. On est tous dans le même bateau.
Johanna : Et tu ne peux pas t’éterniser, tu n’as qu’un créneau imparti
Klara : Donc tu donnes tout !
Johanna : C’est aussi pour cette raison que l’on voulait travailler avec un nouveau producteur et de nouveaux musiciens, pour ne pas prendre trop nos aises et sortir de notre zone de confort.
Klara : C’était intéressant de faire confiance à de nouvelles personnes pour travailler sur du matériel qui nous est si précieux. Bon bien sûr on adorait déjà tout les disques sur lesquels Tucker avait travaillé avant, et un grand nombre de nos musiciens avait travaillé également sur ces albums-là… donc on n’a pas vraiment pris de risques à proprement parlé ! Même si quand tu travailles avec une nouvelle personne tu ne peux jamais être sûr de ce qu’il va en ressortir.
Johanna : Mike [Mogis ndlr] notre dernier producteur calculait beaucoup plus que Tucker, il travaillait beaucoup seul, comme un génie incompris, il nous disait comment il voulait que la chanson sonne. Alors que Tucker c’était plus “on essaie ça, et aussi ça, et ça aussi”. Beaucoup plus dans le moment !
Pourquoi avoir choisi “Ruins” pour nommer votre album et pas un autre titre de l’album ? C’est un mot qui a une connotation un peu pessimiste non ?
Johanna : (rires) Je trouve que les ruines peuvent être magnifiques.
Klara : J’ai une passion pour les lieux abandonnés.
Johanna : C’était une bonne métaphore pour ce que l’on a traversé dans nos relations, remonter dans le temps, entre beauté et douleur, et enfin espérer tourner la page et mettre tout ça derrière nous. On a trouvé que ça correspondait vraiment bien [Klara acquiesce]. C’est à toi de voir comment tu perçois le degré de noirceur dans tout ça.
Klara : Ce n’est pas un album entièrement triste ou entièrement sombre, c’est les deux à la fois. Comme la vie peut l’être. Tu repenses aux choses du passé, tout ce qui t’a fait devenir ce que tu es aujourd’hui, ces choses importantes à tes yeux qui t’ont construit… bien sûr tu as fait quelques erreurs en chemin, tu as forcément quelques regrets au passage. Mais au final, tout ça est un sublime désordre (rires).
“Cet album aurait pu s’appeler ‘Still Gold'”
Parce que votre dernier album s’appelat Stay Gold, c’était un peu plus pailleté et flamboyant !
Johanna : Cet album aurait dû s’appeler Platinum.
Klara : Ou Still Gold.
Est-ce que les ruines et fondations de First Aid Kit sont plus solides et ancrées que jamais ?
(silence)
Klara : Oh, je ne sais pas…
Johanna : Quand je repense à ce qu’on a fait jusqu’à présent, ce ne sont que des souvenirs vraiment agréables.
Klara : On a fait beaucoup de choses.
Johanna : Et à cette époque-là c’était difficile et assez intense. Quand on a commencé, ce n’était pas le succès tout le suite, ça a été graduel. On a fait beaucoup de concerts dans des petites salles, on voyageait et dormait dans un van… Quand j’y repense je me dis que c’était courageux. Je suis très fière de ce qu’on a accompli jusqu’à présent, on a beaucoup travaillé, et pourtant tout est encore en train de grandir.
Pour le moment ma chanson préférée est “Fireworks”. Elle m’a brisé le cœur. Elle m’a semblée très personnelle et importante dans cet album. Quelle est son histoire ?
Klara : Désolée de t’avoir brisé le cœur… Je me souviens avoir écrit le premier couplet et le refrain dans mon salon à Manchester où je vivais avec mon ex. On avait un piano et j’ai juste chanté ces paroles qui me sont venues assez naturellement. J’ai tout envoyé à Johanna qui m’a dit qu’elle aimait beaucoup. Puis quand on s’est retrouvées toutes les deux à Los Angeles, je venais de rompre avec mon copain, les paroles n’avaient alors plus vraiment la même signification. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elles racontaient ce que j’allais désormais endurer.
Johanna : Tu as prédit ton futur.
Klara : Ça a vraiment modifié ma perception de cette chanson-là. En gros “Fireworks” raconte comment on a tous de grandes attentes de nos vies : où sera-t-on dans 10 ans par exemple. Ce qui peut te faire passer à côté de ce qu’il se passe réellement dans ton quotidien puisque ton esprit est concentré sur un but en particulier. Et tu finis seul…
C’est vraiment triste…
Klara : C’est très triste en effet (rires). Mais c’est important d’en parler, car à un moment ou un autre on se sent tous seul. À mes yeux c’est important d’entendre d’autres personnes en parler, ça me donne l’impression d’être moins seule et c’est ça qui est super avec la musique !
“On ne sait pas travailler l’une sans l’autre. On est meilleures amies”.
Vous avez connu quelques périodes de frictions entre sœurs. J’ai une grande sœur également, je sais que c’est quelque chose de naturel. Depuis qu’on vit loin l’une de l’autre, tout se passe très bien. Faire de la musique avec un membre de sa famille c’est tout ou rien ?
Johanna : Pour nous ça fonctionne très bien. Mais beaucoup de gens nous disent : “je ne pourrais jamais travailler avec ma sœur” et “comment vous faites ?”. On ne sait pas faire autrement. On n’a pas de travail autre que ça, et on n’a jamais chanté sans l’autre. Pour moi c’est juste qu’on est meilleures amies.
Klara : C’est sûr que ça nous a pris du temps avant de comprendre comment cela fonctionnait. On a grandi ensemble, on a beaucoup travaillé de façon intense… j’ai déménagé dans un autre pays… mais pas pour m’éloigner de Johanna (rires) !
Johanna : (sourire) Si si c’était pour ça !
Klara : Mais c’était bien pour nous deux d’avoir de l’espace, de prendre de la distance, car on avait toujours été ensemble.
Johanna : C’est difficile de ne pas s’agacer mutuellement quand on passe tant de temps ensemble, quand on est tout le temps ensemble. Peu importe le métier que tu exerces. Quand tu es avec quelqu’un 24h/24h, 7j/7j tu finiras toujours pas t’énerver à cause d’un micro-détail.
Klara : On a été plutôt ouvertes par rapport à ça, genre “j’en ai marre toi là”, ou “j’ai besoin d’espace” (sourire).
Johanna : Ça doit être pire d’être un artiste solo car tu finis par en avoir marre de toi-même, tu fais des interviews tout seul tout le temps… c’est quand même bien de pouvoir discuter de tout, Klara peut répondre à plus de questions quand je ne le sens pas, etc. On fait en sorte que l’autre garde les pieds sur Terre. Je ne penserais jamais de Klara qu’elle est une diva ou une star… Même si tu l’es !
Klara : Je suis une diva ?!
Johanna : Non, tu es une star (rires). Mais à mes yeux tu seras toujours ma petite sœur.
Vous prenez souvent position pour le droit des femmes. Vous avez même écrit une chanson pour la journée de la femme. Pensez-vous que vous avez un rôle à jouer en tant qu’artiste ?
Johanna : On est très engagées et passionnées.
Klara : On ne sent pas obligées de le faire, mais c’est quelque chose que l’on veut faire. Ça nous semble extrêmement important de prendre position pour nos droits en tant que femmes. Quand tu regardes, tous les droits que nous avons maintenant sont récents ! Il ne faut pas les prendre pour acquis. J’écoutais une émission avec Hillary Clinton qui disait que lorsque elle avait posé sa candidature pour rentrer à Harvard dans les années 1960, on lui avait dit qu’il y avait déjà suffisamment de femmes. Et ce n’est pas si vieux ! Il faut continuer à se battre pour tout ça. On a la chance d’avoir une plateforme de gens qui nous écoutent, dont plein de jeunes femmes et on veut essayer de les responsabiliser un maximum. On doit se serrer les coudes, plus on est nombreuses et unies, plus on est fortes.
En écoutant votre jolie ballade “To Live a Life”, je me suis demandé si, pour finir, vous aimiez toujours autant votre vie, votre métier ?
Johanna : Quand on a commencé, tout était nouveau. Rien que de voyager en dehors de Suède était exceptionnel. Aujourd’hui on voyage beaucoup plus, on s’est habituées. C’est impossible de ressentir la même excitation que lorsqu’on était adolescentes. Mais on a tellement fait de choses maintenant, on joue dans de salles de dingues… On est plus relax, plus à nos aises dans ce que l’on fait. Ce qui nous laisse plus de liberté pour explorer plus de choses musicalement. On peut essayer tout plein de choses désormais. Pour moi c’est beaucoup plus fun aujourd’hui, et ça va aller qu’en s’améliorant !
► Ruins, sortie le 19 janvier (Columbia). First Aid Kit sera en concert 6 février au MTelus (Montréal) et le 5 mars à la Cigale.
(Un grand merci à Florent S.)
Propos recueillis par Emma Shindo
(c) Emma Shindo
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