François & The Atlas Mountains : “La peur est un sentiment universel”
INTERVIEW – Rencontrer François Marry de François and The Atlas Mountains, ça fait toujours quelque chose. Avant de l’interviewer, son album tourne en boucle depuis déjà quelques semaines dans mes oreilles. Accroc ? Oui c’est le mot. Parce qu’il est plus sombre que le précédent, j’éprouve à son égard un amour encore plus grand. Et parce que, aussi, il traite de thème dans lequel on se retrouve tous : l’amour, la peur, les angoisses, le bout du tunnel, l’obscurité, la lumière. J’aime me perdre dans la forêt noire de François and The Atlas Moutains. La forêt, la peur, le reste, on en parle justement dans l’interview.
Rocknfool : Avant de commencer, une question : comment tu vas ?
François : Je ne ressens pas vraiment de pression, plus un mélange d’excitation et de travail qui font que je vois les choses comme si j’étais un peu en train de courir. C’est un peu brouillé, mais c’est assez jubilatoire.
Vous avez énormément tourné ces dernières années, quand avez-vous eu le temps de faire cet album ?
C’est vrai qu’on a pas mal tourné. On l’a composé un peu sur la route et à la maison aussi. Mais le plus gros a été fait pendant les concerts. Quand je dis sur la route, ce n’était pas forcément dans le van ! Ce sont des morceaux que j’écris quand je me sens inspiré, dans des beaux endroits, seuls et la plupart des titres me viennent de nuit. Le seul titre que j’ai écrit vraiment dans le van, c’était “Piano Ombre”. Tous les autres étaient endormis. Il était deux heures du matin, je conduisais et on était bloqués sur l’autoroute à cause d’un accident. Il faisait hyper froid dehors. J’aime bien ces ambiances, ce sont des moments qui te sont donnés à toi seul, ce sont des moments précieux et c’est à ce moment-là que la magie se produit (rires).
Contrairement à l’album précédent qui était assez lumineux, celui-ci est assez sombre et mélancolique… d’où ça vient ?
Je pense que c’était lié à l’époque où je l’ai écrit. J’avais envie de faire une espèce de trilogie entre Plaine Inondable, E Volo Love et cet album-ci. Les albums précédents étaient plus contemplatifs, celui-là il s’apparente plus à une course. Le premier avait un rapport à l’eau, le deuxième le soleil, celui-là c’est plutôt la nuit, les ombres. Il correspond à ma nature profonde. Les œuvres qui me touchent plus, musicales ou pas, vont dans ce sens-là. Comme ces pièces de piano de Philippe Glass que je trouve très sombre mais sensationnelle. C’est ce qui me ressemble le plus en fait et je n’avais jamais eu l’occasion d’approfondir ça.
Je trouve ça déconcertant que l’attitude générale de tout le monde soit dictée par la peur. Elle devrait être dictée par l’amour.
Le piano est l’élément central de cet album…
Oui et j’aurais vraiment aimé en mettre plus, histoire que l’album sonne des œuvres pour piano, mais ce qui m’a détourné de cette volonté c’était mon envie de rester très lié au groupe, les quatre Atlas Mountains avec qui j’ai vécu les deux dernières années et qui sont des personnes très importantes dans ma vie. Je voulais qu’ils soient là, qu’ils m’aident musicalement et affectivement aussi. Je me suis donc un peu détourné de l’attitude solitaire propre au piano, mais il reste le point de départ.
Un thème revient souvent dans Piano Ombre, c’est la peur, c’est un sentiment que tu ressens souvent ?
C’est un sentiment universel. J’ai toujours été intéressé par cette relation que l’on entretient, ou par les décisions que l’on prend par rapport à la peur. Je trouve ça déconcertant que l’attitude générale de tout le monde soit dictée par la peur. Elle devrait être dictée par l’amour. Je ressens pourtant ça chez beaucoup de gens, ce sont les doutes et la peur qui les font parler. J’ai pris conscience de ça à un moment où moi-même je ressentais ça et depuis j’ai toujours refusé que la peur dicte mes pensées et d’ailleurs, j’ai modifié certains mes textes en réaction à ça…
Et préférer une sorte d’optimisme ?
Non, simplement une forme de lucidité. J’ai toujours eu très peur de ce terme, l’optimisme. Le “vas-y kiffe”, je n’y crois pas. Il n’y a pas non de bien ou de mal, il y a juste une volonté de vivre et de profiter de cet élan de vie. C’est vraiment le groupe qui m’a appris ça. Le fait d’être avec les quatre garçons, il y en a toujours un qui plonge et les autres poursuivent leurs vies malgré les déboires.
Parler de ses peurs, de ses sentiments est-ce que c’est une manière pour toi d’extérioriser, d’exorciser les démons ?
Plutôt de les dépasser. Mais, il ne s’agit pas que de mes démons, si la musique était seulement un moyen de m’extérioriser, j’aurais fait un album plus solo, là il y a vraiment la volonté de vivre ensemble et de se débarrasser de ça, entourer de ses amis.
On remarque l’omniprésence de la forêt pourquoi ?
C’est pour parler des obstacles. Dans la forêt, tu as toujours la sensation d’être un peu perdu, c’est particulier, mais on sait que l’on est dans un endroit solennel, plus fort que toi. C’est un lieu chargé de mystère, il y a une espèce de peur incompréhensible. Et il y a aussi quelque chose de très rythmique dans la forêt, le son du bois, des feuilles quand on marche, le vent dans les arbres, on dirait presque du tribal. Pour moi, ça ressemble aussi la richesse du groupe, la variété de la végétation, la solidité des arbres qui tiennent les uns à côté des autres ça symbolise la force et le plaisir qu’on a à être ensemble avec les garçons.
C’est le premier album que vous enregistrez dans un studio, est-ce que ça change la manière de travailler ?
En fait, c’est la première fois qu’on a les moyens de se payer un studio. Ce que ça change c’est qu’il faut être plus rapide, il faut aller à l’essentiel. Mais l’avantage c’est qu’il y a moins d’éléments, c’est quelque chose que je voulais. Je voulais quelque chose de plus clair, encore une fois, c’est cette envie de sortir de la forêt, abattre les obstacles. Moins d’éléments mais les pousser au maximum. On a privilégié le qualitatif sur le quantitatif. C’était l’opportunité d’avoir un moment très resserré avec le groupe, parce qu’on a tendance à être assez dispersé. Là on a pu focaliser les forces de chacun pendant un temps très restreint.
Et c’est la première fois que vous travaillez avec un producteur…
Oui, un producteur permet de te sortir complètement de ton carcan. Il fait battre ton cœur en dehors de toi, il projette ce que t’as de manière plus universel. C’est aussi l’occasion d’échanger avec un humain que tu ne connais pas, et tu l’incorpores à ce que tu as de plus cher à ce moment-là, l’enregistrement d’un album. Il y a des échanges, il explique ce qui le touche le plus lui, ce qui le fait raisonner. C’est très enrichissant. Ensemble on essaie de faire la plus belle musique possible.
Et votre musique ne ressemble à aucune autre… Avez-vous conscience d’avoir une place à part dans la musique francophone ?
C’est vrai qu’on fait de la musique bizarre. On est un peu tout seul et le fait qu’il n’y a pas de repères ça peut rebuter les gens et être déconcertant pour eux. Ça peut être bien aussi d’avoir un style complètement référencé et copié, mais ce n’est pas ce qui est le plus approprié pour nous. Mais notre envie c’est créer des matières sonores qui nous paraissent le plus proches de ce qu’on est.
Propos recueillis par Sabine Bouchoul