Jay-Jay Johanson : “Je pourrais vivre sans scène”

INTERVIEW – Rendez-vous dans un café parisien cosy, à quelques mètres de la Maison de la radio, pour une discussion avec Jay-Jay Johanson.

Le Suédois sirote son thé lorsque je me présente pour sa dernière interview de la journée. Opium, son 10e album est sorti il y a quelques mois de ça. Un album qu’il a pris le temps de travailler, réveillant ses influences jazz à son trip-hop fétiche. On a décidé d’en savoir plus sur cet artiste énigmatique.

(c) Emma Shindo
(c) Emma Shindo

Paris ou Stockholm ?
Je crois que je vais choisir Stockholm, car c’est un endroit où je peux être plus productif et créatif. Quand j’ai habité quelques temps à Paris, j’ai énormément profité de la vie, plus qu’à Stockholm, mais je n’étais absolument pas productif. Trop de choses se passaient et venaient interférer, me dérangeaient… c’était beaucoup trop amusant ici (rires). Il faut que je vive dans une ville plus ennuyeuse, où je peux travailler, et Stockholm est parfaite pour ça.

Des petits bars intimes ou des grosses salles ?
C’est intéressant parce qu’on a fait les deux ! Généralement les grandes salles rapportent plus d’argent que les petites, et se confronter à un public plus vaste est souvent quelque chose que les artistes préfèrent. Donc je crois que je vais choisir les grosses salles, même si l’intimité des plus petites salles est quelque chose de charmant. Par exemple j’ai fait l’Olympia, le Bataclan, mais aussi le New Morning, qui est fantastique avec 200 fervents spectateurs… mais je préfère quand même le Bataclan. J’aime aussi les festivals, avec des milliers de personnes, mais ce n’est pas aussi fort et cela ne me touche pas autant que des salles comme le Bataclan.

Le bonheur ou le chagrin ?
Le chagrin est un sujet d’écriture inépuisable, ça vient du cœur, comme une sorte d’auto-thérapie. Et du chagrin souvent émergent de très bonnes chansons, alors que du côté du bonheur, par autant. Mais bon, finalement le chagrin finit par s’estomper et laisser apparaître des rayons de soleil. De plus les artistes que j’écoute et les films que je regarde, sont tous fondés et nés du chagrin…  donc je pense que je choisis le chagrin (sourire).

Le studio ou la scène ?
La réponse est en fait le studio ; je suis beaucoup plus un compositeur et arrangeur qu’un performeur, même si la scène est quelque chose que j’ai appris à aimer grâce au public. Je crois que ma créativité se révèle beaucoup plus en studio. Je ne trouve pas la performance live aussi créative que du travail en studio. Je ne pourrais pas vivre sans créativité, alors que je pense que je pourrais vivre sans me produire sur scène.

Le jour ou la nuit ?
La nuit sans hésitation. Je me souviens quand j’avais 6 ou 7 ans, mes parents ont commencé à s’inquiéter pour moi, car lorsque j’allais me coucher le soir, ils réalisaient que je ne dormais pas. Ils frappaient à ma porte, et me voyaient attablé en train de dessiner ou de peindre… Je leur disais que j’allais aller me coucher, et le lendemain matin lorsqu’ils se levaient pour aller au travail, ils se rendaient compte que je n’avais pas bougé d’un pouce, et que je dessinais toujours frénétiquement. J’étais très calme, peut-être que finalement mon corps se reposait mine de rien, je n’avais ni faim ni soif, il n’y avait rien d’autre que cette volonté de créer. J’ai continué à faire des nuits blanches alors que je grandissais. Il n’y a que maintenant, vu que j’ai un enfant, que j’ai arrêté de vivre la nuit. Cela dit, maintenant, il n’y a que quand je vais coucher mon fils, que ma femme s’est endormie, que je commence à travailler. Et alors je me dis que si je veux être capable de réveiller mon fils le lendemain, il faut que je dorme un peu.

Perdre ta voix ou ton ouïe ?
J’avoue que j’y ai déjà pensé ! Je suis content que tu n’aies pas dit « perdre la vue », car ça c’est vraiment ce que je ne voudrais pas perdre, ne pas pouvoir voir de l’art… c’est trop important. Je préférerais perdre ma voix et mes oreilles que mes yeux. La voix est inutile si on ne peut pas l’entendre… ! Et je pourrais faire de la musique instrumentale… ce qui serait toujours intéressant (sourire).

Opium ou whisky ?
Je suis un grand buveur de whisky et pas un grand fumeur d’opium… Même si je suis bien plus passionné par la culture orientale. Ce qui m’attire dans l’opium c’est toute l’histoire qui gravite autour, Paris, ses poètes, ses peintres, qui buvaient de l’absinthe et fumaient de l’opium la nuit… Il y a une certaine élégance de l’opium, que n’a pas le whisky. Mais bien évidemment je choisis le whisky.

Poison ou harakiri ?
L’harakiri possède également ce côté oriental fascinant, comme les kamaikazes. Je choisirais l’harakiri, pour rester du côté asiastique, même si ça n’est pas dans mon top 5 des suicides !

Entre « Poison » de Bell Biv DeVoe et « Poison » d’Alice Cooper ?
Il y aussi un groupe de glam-rock qui s’appelle Poison ! Ainsi qu’une chanson de Laurie Anderson… Ok… donc je vais choisir Alice Cooper, car j’étais fascinée par lui quand j’étais petit. J’étais un fan de Kiss à cause de leur maquillage un peu effrayant. Vu que je connais pas Bell Biv DeVoe je choisis celle d’Alice Cooper. (je lui fais écouter Bell Biv DeVoe). Génial, c’est un peu comme du Will Smith, ou Boys II Men ! Malheureusement je reste sur Alice Cooper (rires).

Chet Baker ou Miles Davis ?
Pour moi c’est une réponse évidente : Chet Baker est mon héros d’enfance. Miles est venu après. Chet a eu un plus grand effet sur moi, peut-être parce qu’il était aussi chanteur, et que je me vois également plus comme un chanteur qu’un musicien. Je suis tombé immédiatement amoureux de sa voix. Je me dis que les musiciens doivent préférer Miles à Chet, car Miles était sans doute meilleur trompettiste techniquement, il a enregistré tellement de bons albums, tenté de nouvelles choses… Bien que je trouve le son de Chet plus doux…

Antony & the Johnsons ou Sufjan Stevens ?
Peut-être Antony… Mais les deux sont spéciaux, intéressants et si talentueux. Mais je pense qu’on se souviendra d’Antony dans des centaines d’années… Je ne l’ai jamais rencontré, j’aurais vraiment aimé !

Bat for Lashes ou CocoRosie ?
Erik mon pianiste choisirait tout de suite CocoRosie, mais moi je préfère Bat for Lashes. Comment je pourrais expliquer ça ? Je crois plus en leur authenticité, elles me correspondent plus que CocoRosie qui sont plus dans la représentation. Chet et Beth qui sont mes idoles ne sont pas dans la représentation et les excès. Je préfère le naturel, et entre ces deux groupes, Bat for Lashes sont un tout petit moins préoccupées par leur image.

Chilly Gonzales ou Andrew Bird ?
Chilly Gonzales est génial. Il est drôle et extrêmement talentueux. Je l’ai plus écouté qu’Andrew Bird aussi. Et quelque chose dans la voix d’Andrew Bird ne me correspond pas, et me dérange un peu…

Portishead ou Massive Attack ?
Mon amour pour Portishead vient surtout de Beth Gibbons ; je trouve même que son album solo est meilleur que les albums de Portishead. Mais j’adore également la petite participation de Liz Fraser des Cocteau Twins dans Massive Attack. Je dirais quand même Portishead, pour Beth. Beth et Chet Baker sont mes deux héros.

Opium, de Jay Jay Johanson (Kwaidan Records). En concert le 13/10 au Transbordeur, le 15/10 à la Cigale (MaMA Event) et le 11/12 à l’Espace Gérard Philippe de Fontenay-sois-Bois.

Propos recueillis par Emma Shindo.