Jack Savoretti : “Tu ne peux pas simuler l’authenticité.”
On devait le rencontrer en novembre, peu de temps après son concert au Pop-Up du Label. Et puis les événements ont fait qu’on a préféré recaler cette interview plus tard. Finalement le rendez-vous est fixé pour janvier, fin de journée, dans le petit salon d’un hôtel cosy près de Saint-Germain-des-Près où Jack Savoretti donne des interviews depuis la veille. Il arrive, détendu, et claque la bise (son côté italien on présume). On commence, et après deux questions, il me fait remarquer que ça n’enregistre pas. Penaude je me confonds en excuses. Il rigole, “Don’t worry, I’ve done much worse”. L’interview recommence pour de bon, l’atmosphère se détend, presque apaisée.
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Rocknfool : J’ai lu dans une interview que tu avais écrit ton album Written in Scars le même jour où tu es entré en studio. Est-ce que c’est vrai ? Tu ne trouves pas que c’est une approche plutôt dangereuse ?
Jack : En fait chaque chanson a été enregistrée le jour de son écriture car on a décidé de commencer à travailler par les rythmiques. Le matin on s’occupait du rythme, et l’après-midi on avait une chanson. Ça s’est fait naturellement, puis par la suite c’est devenu un procédé qu’on a appliqué sur le reste de l’album.
On dit souvent que, plus tu es sincère, plus les gens peuvent se retrouver dans ta musique et dans tes paroles. Est-ce que tu crois qu’écrire un bon album signifie nécessairement faire une auto-thérapie publique ?
Il y a une chose que tu ne peux pas simuler : c’est le fait d’être sincère [genuine]. Tu peux simuler un tas d’autres choses, mais tu ne peux pas simuler l’authenticité. Et je pense que plus tu l’es, plus les personnes y sont sensibles, car elles s’y retrouvent, elles y croient. D’autres préfèrent le contraire. Mais en ce qui me concerne, j’aime faire de la musique qui soit authentique, j’aime cet aspect et cette sincérité. Donc oui, il y a une part de thérapie mais je pense que c’est plus une forme d’expression, être en mesure de tout exprimer.
Cet album est en grande partie autobiographique. Que répondrais-tu aux détracteurs qui prétendent qu’écrire à propos de soi est une forme d’impudeur ?
Ça dépend de ce que tu dis dans tes paroles non ? Je ne trouve pas que les thèmes abordés dans mes chansons soient indécents. Je ne suis jamais ni direct ni précis, par exemple je ne nomme personne. C’est pour cette raison que j’écris. Je ne me dis jamais : “aujourd’hui je vais écrire une chanson qui parle d’amour, ou demain je vais écrire une chanson qui parle de la guerre”. Je ne réfléchis jamais à ça. Tu commences à écrire, et tu vois ce qui sort. Je ne me rends pas bien compte de que je fais, jusqu’à environ la moitié du travail. Parfois je crois que je sais pour quelles raisons j’écris telle chanson, et des années après, en la réécoutant, je me dis “ah en fait c’est ça ce que je voulais dire”, c’est ton subconscient qui devient conscient en quelque sorte !
Comment s’est passée ta collaboration avec tes deux producteurs Matt Benbrook (Dido, Paolo Nutini) et Samuel Dixon (Adele, Sia, KT Tunstall…) sur un projet aussi personnel ? Pour le partage du travail notamment ?
Ce n’est pas vraiment du partage, tout s’est fait ensemble, en duo avec Matt ou Sam. C’était vraiment du fun, des jams, car la musique est faite pour être jouée à plusieurs et c’est quelque chose que je n’avais pas pu faire auparavant. Ce n’est pas que je ne le voulais pas, mais plutôt que je ne pouvais pas me le permettre, ou que personne ne savait qui j’étais. C’est comme composer une équipe de foot : plus tu y ajoutes de talents plus l’équipe est forte. Je ne me voyais pas retourner seul en studio. Cette fois-ci je voulais de l’aide, je voulais partager et créer un projet plus solide. Je voulais que l’on emmène ce projet autre part et ne surtout pas refaire le même album. Et la solution était de collaborer avec plein de musiciens. J’ai aussi travaillé avec Pedro mon guitariste et Seb qui est batteur. En trio c’est plutôt sympa aussi. L’un des trois joue toujours le rôle de tampon [filter] quand les deux autres partent dans différentes directions. Et quand aucun de nous n’est d’accord, c’est un peu le chaos. Ça m’a pris beaucoup de temps d’aimer travailler à plusieurs ! Il faut absolument que tu respectes la personne avec qui tu travailles pour apprécier la collaboration.
J’ai trouvé que les chansons de ton nouvel album étaient plus pragmatiques, plus terre à terre qu’avant. Crois-tu que tu es enfin en paix avec la musique, et donc avec toi-même ? [Jack avait eu de forts désaccords avec son label sur ses précédents disques, avant de s’en séparer et d’essayer de tracer sa route seul ndlr]
Humm… Je ne sais pas si je suis “enfin” en paix, mais j’ai définitivement “commencé” à tourner la page et à être serein avec moi-même. Et en effet je pense que ça a eu une influence assez importante sur la manière dont je fais de la musique, car je ne suis plus en désaccord avec mes collaborateurs. Je suis très fier de notre travail en équipe.
Si tu pouvais effacer de manière permanente quelque chose de ce passé qui t’a beaucoup affecté, qu’est-ce que ce serait, et pourquoi ?
Je sais que c’est cliché, mais je n’effacerai rien de mon passé (sourire). Certaines choses m’ont blessé plus que d’autres, mais je ne les effacerai pour rien au monde, car je suis très heureux de là où j’en suis aujourd’hui, professionnellement et personnellement. Et sincèrement, je ne suis pas certain que j’aurais cette vie là, si je n’avais pas eu ce passé-là.
Dans tes interviews, tu en viens souvent à parler de tes parents, notamment car ils t’ont beaucoup fait écouter de musique quand tu étais petit. Est-ce que tu dirais que les goûts musicaux des parents définissent automatiquement une carrière ?
Je ne pense pas que ça soit toujours le cas, car parfois on se rebelle contre les goûts de ses parents. Mais pour moi ils ont été très importants oui. Ma première éducation musicale a été celle donnée par mes parents : ils ont défini les bases de la musique que j’ai connue, que je connais, celle dont je suis familier encore aujourd’hui. Donc quand je la réécoute, c’est maintenant devenue une musique réconfortante.
Tu es bien connu maintenant au Royaume-Uni, en Italie… Tu as joué dans des salles spectaculaires (arène de Vérone, Royal Albert Hall…), ce n’est pas embêtant pour toi de jouer dans des salles hautement moins spectaculaires quand tu changes de pays ? Ton dernier concert à Paris par exemple était au Pop-Up du Label, une salle qui peut accueillir une centaine de personnes maximum.
Je ne dirais pas que je suis connu ! Plutôt que ça marche pour nous, doucement mais sûrement. On a longtemps fait des petites salles, j’ai joué aussi bien devant 20 000 personnes que devant 20 personnes. C’est normal, il faut juste s’ajuster. Parfois les petites salles sont plus effrayantes que les grandes car tu ne peux pas te cacher derrière de belles lumières, derrière un super son… C’est un challenge, c’est vraiment plus dur ! Comme en football, c’est plus dur d’être bon dans la rue, que dans un stade superbe, une pelouse entretenue, avec de bonnes chaussures. C’est la même chose pour les salles ! Les grandes salles sont plus faciles, car tout marche mieux. Et je peux te le dire honnêtement car j’ai fait les deux.
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Au Pop-Up vous avez joué à trois guitares seulement sur scène. C’est quelque chose que tu aimes bien faire ?
C’est vrai qu’on peut changer le set, refaire d’anciennes chansons pour les revisiter, mais il faut être vraiment bon dans ces petites salles, car tu as le public à quelques centimètres de toi, et tout s’entend.
J’ai vu avec surprise et joie que tu avais fait une collaboration avec Lissie sur ta chanson “Wasted”, c’est une artiste qu’on adore sur Rocknfool !
Lissie est une personne incroyable, son nouvel album est génial. J’adore Fleetwood Mac, l’americana, Stevie Nicks… j’adore ces sons dont elle tire ses influences, j’adore sa voix… Je lui ai soumis une idée et elle a dit oui.
Est-ce que tu peux justement nous parler de ce duo plutôt discret sur Written In Scars. Comment vous-êtes vous rencontrés ?
Tu veux entendre quelque chose de bizarre ? On ne s’est toujours pas rencontrés. On correspond [pen pals] ! On a commencé comme ça, par s’écrire des lettres, avant que je ne lui propose la collaboration, car j’étais fan. “When I’m Alone” est l’une des chansons les plus cools que j’aie jamais écoutée, j’en suis obsédé ! Donc nous nous sommes contactés, on a parlé de faire quelque chose ensemble, puis elle est partie à Nashville pour son album, et elle m’a dit qu’elle ne pouvait alors pas venir car elle était en studio. J’en ai profité pour lui envoyer du matériel, deux jours après elle me renvoyait cette partie vocale de “Wasted” et “boum !” ça collait. C’est vrai que c’est une relation bizarre au XXIe siècle ! Je devais aller à son concert à Londres il y a trois semaines, mais ma petite fille est tombée malade, donc je n’ai pas pu. Nos plannings coïncident à Paris début mars cela-dit !
Et quelle serait ta collaboration de rêve ?
Oh man… Johnny Cash définitivement ! Marvin Gaye, Haim, Broken Bells,T Bone Burnett, Lissie encore… Il y a tant de personnes avec lesquelles j’aimerais travailler !
Est-ce que les songwriters vont enfin réussir à conquérir le monde ?
Il n’y a rien à conquérir (sourire) ! Mais on s’en sort plutôt bien, les songwriters font un retour. Adele est une songwriter et elle règne sur la planète. Bizarrement, les gens pensent souvent qu’un songwriter est uniquement une personne avec sa guitare, mais Lady Gaga est une songwriter, elle aussi écrit ses propres chansons qu’elle chante… Donc en fait, c’est vrai que c’est possible, c’est ce qui est en train de se passer, car les gens aiment la musique quand elle est authentique et sincère. Mais il y a de la place pour les deux cas de figures, car par exemple Elvis a très peu écrit et pourtant c’était le King !
► Written in Scars, le quatrième album de Jack Savoretti est disponible (BMG Music).
► Jack Savoretti sera en concert le mardi 8 mars au théâtre Les Étoiles.
Propos recueillis par Emma Shindo. (Merci à Florence)