On y était : Feu! Chatterton au Trianon, acte II.
Pardonnez mon retard. J’ai un peu du mal à retranscrire ce concert de Feu! Chatterton au Trianon. Le quatrième pour eux. Le premier pour moi. C’était un mercredi, il faisait froid, le vent mordait les joues et les doigts. Le ciel était bas, mais heureusement, il ne pleuvait pas. C’est déjà ça. La journée a été longue. Difficile. Revenir au Trianon aussi. Je n’y avais pas remis les pieds depuis le 13 novembre. Au Trianon, les concerts ont une saveur particulière : quand on lève les yeux, on se sent tout petit. Quand on gravit les marches avant de pénétrer dans la salle, on se sent important. Privilégié. Oui, c’est un peu idiot. Ce concert était complet. Hyper complet. En quelque sorte, ce soir-là, nous étions une grosse poignée de privilégiés.
La dernière fois que j’ai vu Feu! Chatterton, c’était une journée d’été. Moite. Dans un théâtre beaucoup trop climatisée non loin de l’océan. Y entrer avait été une tannée. C’était en 2014, à La Rochelle. Les Francofolies, tu l’avais compris. Déjà, ils m’avaient hypnotisée avec ce son si rond et enveloppant et ces textes si chiadés qui happent littéralement. Un concert de Feu! Chatterton, c’est un peu plus d’une heure de sueurs chaudes qui glissent le long de la nuque, le dos et qui finissent par s’écraser au creux des reins. Ce sont des frissons qui parcourent l’échine, des vibrations dans tout le corps, le cœur qui s’embrase, la tête qui gigote et les hanches qui chaloupent. Mais en même temps pas trop, parce que si l’on se laisse trop aller, on laisse échapper les mots d’Arthur Teboul, le conteur dandy de la bande au magnétisme ravageur. Ils le sont tous, en réalité. Les deux guitaristes bondissants qui malmènent leurs instruments. Le bassiste et son flegme presque british. Ce batteur réglé comme un métronome au regard doux et rageur, à la fois.
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Mais, c’est vrai, on prête plus d’attention au chanteur à la moustache fine et tiré à quatre épingle dans son costume. Peut-être parce qu’il est au milieu de la scène, plongé dans ce halo de lumière, quand le reste de la scène est dans la pénombre. Peut-être parce qu’il est comme dans un état second, les doigts crispés, les traits du visage déformés, quand il chante, s’énerve, submergé par la musique et les mots. Et ce regard habité ? Parlons-en. Il est changeant ce regard. Il fixe l’horizon souvent, comme pour ne pas voir les ravages que Feu! Chatterton fait dans la salle. Les corps qui dansent, les bouches qui chantent les chansons. Mais de temps en temps, un éclair traverse les yeux, il revient à lui-même, le dandy est parti et le jeune garçon, anciennement étudiant – ce n’était il n’y a pas si longtemps -, se rend compte de la folie qu’ils déclenchent. Le regard est un peu halluciné. Mais ça ne dure qu’un quart de seconde.
Ce mercredi-là, c’était la folie furieuse au Trianon. Le sol a littéralement tremblé sous nos pieds, la faute à “Ophélie”, à “La Mort dans la Pinède”, à “La Malinche”, “Pont Marie” et à “Boeing” aussi. Il y avait une ferveur pareille à celle des gens qui se rendent dans les messes de Harlem. Enfin j’imagine. Je me fie à leur chanson. Si c’est ainsi en vrai, alors on n’est pas loin du tableau. Sauf qu’il n’est nul besoin d’haranguer les fidèles. Ils sont là, ils sont déjà bouillonnants dès la première chanson. Ils sont électrisés par cette musique qui oscille entre rock progressif et électro par moment. Mais légerèment. Ils sont suspendus aux lèvres du gourou chanteur quand le calme est de mise. Dans un silence presque religieux, ils écoutent “Côte Concorde”, “Porte Z”, ils sont hypnotisés par le long et très sexy “Bic Medium” et ses tournures de phrases à double-sens. Je l’avais déjà remarqué, il se cache une très tension sensuelle (pour ne pas dire sexuelle) dans l’univers de Feu! Chatterton. Au Trianon, c’était encore plus palpable. Le groupe joue là-dessus. Arthur multiplie les allusions à peine cachées. Les deux filles devant moi ont l’air toutes émoustillées. C’est drôle.
Ce qui m’émoustille, moi, c’est le bonheur d’écouter des paroles si bien écrites. À chaque “du ciel tombe des cordes, faut-il y grimper ou si pendre ?”, mon cœur fait des petits bonds. Il bat à la chamade quand arrive le “Sur le champ/s’en allaient se perdre /Au milieu de l’ivre cohorte/Qui hâtivement élevait/Un grand bûcher pour se distraire/Là, tout juste au cœur de la plaine“. Il explose avec “Jure-moi/qu’importe le danger/Que même si l’on crève/Tes sanglots seront toujours/Reptiliens”. Il rêve qu’on lui fasse la cour avec un “Madame je jalouse/Ce vent qui vous caresse/Prestement la joue”. Personne n’écrit ainsi aujourd’hui, et bénis soient les Dieux de la poésie qui se sont généreusement penchés sur le berceau de ce bonhomme à la plume si affûtée, si joliment désuète.
En ces temps troublés où l’on parle de réformer la langue, où un “Sappé comme jamais” est élue chanson de l’année, ça fait un bien fou d’entendre de si jolies choses. Qu’on cesse de dire qu’il n’est pas possible de bien faire sonner la langue française, qu’on cesse de parler du poids des illustres Brel, Gainsbourg et consorts qui pèseraient trop lourds dans l’héritage français, comme argument pour se cacher derrière l’anglais. La chanson française, elle est belle quand elle est bien écrite. En revanche, quand les mots ne collent pas ensemble, c’est inaudible. Celle de Feu! Chatterton est parfaite. Mais ce n’est pas vraiment de la chanson française. Ce n’est pas du rock. C’est un peu des deux, puisqu’il faut mettre des étiquettes. Et oui, je n’échappe pas à cette belle tradition française de la presse musicale. Déformation professionnelle, dirais-je. Une chose est sûre, amoureux des belles lettres, amoureux de la belle musique, amoureux de la musique en français, nous avons enfin en groupe qui peut nous faire dire : merde, elle est belle la langue française.
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