Juliette Armanet : “J’écoute autant Ophélie Winter que Debussy”

Juliette Armanet m’avait donné rendez-vous dans un café au nom chantant. Une touche d’humour, de poésie, un heureux hasard… peu importe le symbole lui ressemble bien.
Juliette Armanet a lancé son single « L’amour en solitaire » il y a deux ans. Une voix cristalline et puissante sur une musique électro pop, chantant en français l’amour désillusionné. Le temps a passé, Juliette faisant par-ci par-là quelques apparitions en piano-voix, s’attelant dans l’ombre à la création d’un plus gros projet. Et le jour tant attendu arriva enfin. Cavalier Seule, le premier EP de Juliette Armanet était annoncé pour le 29 avril. Cavalier Seule est un EP composé de quatre titres, tous plus poétiques et mélodiques les uns que les autres, dans lequel on retrouve un parfait mélange de chanson française des années 1980, de pop, de romantisme et d’humour.

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Comment tu sens-tu, quelques semaines après la sortie de ton premier EP, Cavalier Seule ?
Je suis totalement surexcitée, inquiète, terrorisée. J’ai les chocottes grave. Mais en même temps je suis délivrée parce que ça a été beaucoup de travail. J’ai commencé à faire de la musique à 15 ans, donc ça fait presque 15 ans que je travaille sur cet EP. Je suis contente que ça vive, que ça commence à vivre. Qu’on aime, qu’on n’aime pas, qu’on trouve que c’est bien, pas bien, mal produit, bien produit, etc. au fond c’est bien que ça ne m’appartienne plus. Je pense que c’est très important pour moi que j’en sois dépossédée, ça va être dur mais c’est nécessaire.

Il s’est écoulé deux ans entre la sortie du single « L’amour en solitaire » (2014) et cet EP. Qu’as-tu fait de tes journées ?
Déjà j’ai beaucoup composé. J’avais besoin de nouveaux titres. Par exemple, « La Carte postale » et « Cavalier Seule » sont des titres que j’ai composé récemment alors que « Manque d’amour » c’est un titre que j’avais depuis plus longtemps. Donc j’ai eu envie de nouvelles choses et puis j’ai cherché mon son parce que j’étais partie un peu dans des directions électro. Ce n’était pas tellement vers ça que j’avais envie d’aller. Il fallait que je réfléchisse et que je trouve la bonne équipe de travail. Et puis, c’est bien de prendre son temps pour s’exprimer. Je préfère avoir pris mon temps plutôt que de m’être précipitée dans une direction qui n’était pas la bonne. Tout ce temps de travail permet maintenant de pouvoir faire l’album sereinement.

Est-ce que tu as travaillé différemment sur ces derniers titres ?
Oui, justement j’ai eu envie de travailler avec des musiciens. « L’amour en solitaire » je l’avais composé derrière mon LogicPro et j’avais eu la chance d’avoir Yuksek qui m’avait aidé à le produire, c’était une super collaboration. Mais quand il a fallu le jouer sur scène, mon reflex immédiat a été de le jouer au piano et d’entrer dans une ambiance plus acoustique. Je me suis dis : « ça ne va pas, ma façon de l’exprimer est différente ». Donc j’ai eu envie de m’entourer de musiciens. C’est ce que j’ai fait pour ce disque. Par exemple « Manque d’amour » c’est une session live. On a ajouté des chœurs et des petites percus mais basse/batterie/road c’est une seule prise et ça ça comptait beaucoup pour moi, pour retrouver une énergie de jeu qui soit plus instantanée.

Le visuel de l’EP est très surprenant, pourquoi cette queue de cheval ?
Je travaille depuis 15 ans avec mon meilleur ami Théo Mercier, qui est un super artiste. Il a fait toutes mes pochettes – parce que j’ai fait d’autres trucs avant ! Il a toujours fait mes visuels. On est partis au Mexique avant que j’enregistre l’EP. On était dans un bus et je lui disais : « voilà j’hésite je pense que je vais l’appeler Cavalier Seule » et on rigolait et il m’a dit : « si je te mets en ponette, est-ce que ça te va ? » Et j’ai dit : « bah allez, c’est super ! » Ça s’est fait très simplement. Il n’y a pas de message caché, mais je suis très chiante avec les visuels parce que j’estime que c’est aussi important que la musique. Et c’est important de sortir d’une image quotidienne. J’aime bien l’idée d’entrer dans une imagerie fantastique, onirique. Que ce soit presque une autre personne que moi, ça me plaît beaucoup. Parce que la personne que je suis, elle n’a pas plus d’intérêt qu’une autre. L’idée de rentrer dans une image un peu sublimée ou du moins symbolique, de jouer le jeu de l’image vraiment, ça me plaît beaucoup.

Tu t’es toujours dit que ça serait la musique ta vie ?
En fait c’est marrant, j’ai retrouvé une petite fiche de quand on était au lycée, quand on nous demandait “qu’est-ce que tu veux devenir plus tard ?”, et j’avais écrit journaliste ou chanteuse. Et ce sont les deux choses que j’ai faites jusqu’à présent. Quand je faisais du documentaire je ne me sentais pas frustrée parce que je faisais des beaux films et que c’était passionnant. Mais quand j’ai commencé à changer un peu de chaîne, là je ne m’y suis plus du tout retrouvée. Et puis la musique revenait. J’ai toujours essayé d’en faire quelque chose. C’est arrivé tard dans ma vie – parce que j’ai quand même 32 ans – mais en même temps c’est cool que ça arrive maintenant !

Ça m’a toujours fait fantasmer l’idée de clip théâtral, d’avoir un show avec vraiment beaucoup d’images, de décors fabriqués.

Est-ce que ton expérience dans le documentaire et ton goût pour les belles images apportent quelque chose à ta vie de musicienne ?
Ah oui sans doute. En tout cas, je sais tourner et monter, donc à long terme je me dis que je pourrais réaliser mes clips par exemple, ce qui pourrait être très marrant. Pour le premier j’ai confié ça à quelqu’un. Mais oui je pense que cette expérience me sert, elle me permet de savoir traiter une image, de savoir y réfléchir en tout cas.

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Et quand tu es sur scène est-ce que tu penses à ton image, au cadrage, à la représentation ?
Ça m’a toujours fait fantasmer l’idée de clip théâtral, d’avoir un show avec vraiment beaucoup d’images, de décors fabriqués. Pour le moment, on va faire les choses une par une. On va d’abord faire de la bonne musique avant de se mettre des pots de chambre sur la tête. Mais une fois que je serai en confiance, je vais vraiment essayer de réfléchir à quelque chose de presque théâtral pour la scène. Enfin bon c’est très ambitieux, on verra.

Pourquoi as-tu choisi d’écrire et de chanter en français ?
Ce n’est même pas un choix, c’est naturel, c’est instinctif. Je trouve que ma voix est inintéressante en anglais. Et pourtant c’est une matière très dure le français, tellement revêche, pas forcément musicale mais ça m’intéresse justement de me la coltiner. Ça m’intéresse que la langue quotidienne, la langue réelle de ma vie devienne une langue réelle aussi en musique.

Tes textes sont très poétiques et lyriques, mais également très percussifs et sonores. Comment écris-tu ?
Je suis incapable d’écrire un texte sans musique donc je fais les deux en même temps. En ce moment je travaille sur des nouveaux titres, j’essaie d’écrire d’abord la musique et j’avoue que je galère un peu. C’est génial quand tu commences à écrire une chanson, c’est une énigme, tu ne sais pas du tout vers quoi tu vas et tu te laisses complètement guider par ce que tu ressens. Les mots apparaissent, tu trouves ton histoire et au fur et à mesure tu te dis : «  oh non ça c’est à chier, on va refaire ça », « ah ouais ça c’est marrant, pourquoi pas coller ça et ça »… et du coup tu tires ton fil et en même temps tu trouves ta mélodie. Donc il y a une espèce d’apparition des deux, texte et musique, en même temps qui est totalement énigmatique.

Tu peux me raconter l’histoire de l’écriture de “La Carte postale” ?
C’était un peu une nouvelle façon d’écrire. J’ai toujours été très malheureuse en amour et il se trouve que je ne le suis plus. Du coup je suis un peu emmerdée parce que je n’ai pas grand-chose à dire. Donc je me suis écris un synopsis en me disant : « tiens c’est l’histoire d’une femme qui est obsessionnelle et qui écrit cette espèce de ritournelle », et il y avait cette mélodie derrière « talalalala » qui faisait un peu téléfilm des années 1980 avec Alain Delon, une espèce d’ambiance téléfilm mélo. Du coup je l’ai écrite avec cette histoire en tête, avec un petit synopsis, presqu’un mini roman. Je voulais une écriture très directe, très incisive et j’ai pensé à Mon père ce héros avec Depardieu, je ne sais pas pourquoi, en fait ça me faisait penser à la chanson du générique [elle commence à chanter] « ça va, et même si ça va pas, ça va quand même ». Elle est trop belle cette chanson. J’avais envie d’un truc très parlé, comme une carte postale justement, une espèce de petit moment de vie. Mais j’ai mis du temps à trouver les bons mots. Je l’aime bien, je suis contente.

Il y a un côté très kitsch qui apparaît avec le saxophone en contre-chant !
Ah oui c’est hyper kitsch ! On a hésité avec le saxo : « est-ce qu’on garde le saxo ? est-ce qu’on enlève le saxo ? » et on avait à chaque fois le truc de « ah non ça craint » et en même temps « c’est vraiment cool ». Finalement on l’a gardé, ça mettait une profondeur dans la chanson, pour décrocher un peu de l’émotion trop tragique.

Tu as un univers très éclectique. On sent du classique, du lyrique, mais aussi de la chanson française à l’ancienne, de la pop, de l’électro, même un peu de gospel dans « Manque d’amour ». Qu’est-ce que tu écoutes toi ?
J’écoute de tout, autant Ophélie Winter que Debussy. D’ailleurs la musique c’est un art cruel, si c’est bien c’est bien, peu importe le style, et si c’est pas bien… bah on s’en fou ! Donc oui Ophélie Winter, et en même temps j’écoute beaucoup de musique classique, beaucoup de chanson française… énormément. Je ne me limite pas du tout, j’écoute ce qui me tombe sous le nez et je suis dure à cuire, surtout en français. Le texte compte tellement pour moi, je suis très attentive à ça. Et surtout je n’ai pas envie de me restreindre. Si j’ai envie d’un truc un peu électro bah on y va !

Je suis là pour essayer, je ne suis pas là pour donner un produit fini, c’est un chemin que je fais.

Tu pourrais définir ton style ?
Ah ça c’est ton boulot ! Mais quand même je pense que c’est assez mélancolique en général et en même temps un peu garçon manqué, je ne sais pas trop comment dire. Le fait d’avoir une marque de fabrique « le son machin » ne me convient pas du tout, j’aime bien essayer des trucs. Je suis là pour essayer, je ne suis pas là pour donner un produit fini, c’est un chemin que je fais.

Tu parles beaucoup d’amours déçues, de solitude. Est-ce qu’il faut souffrir pour être créatif ?
Justement je me pose la question. Je ne crois pas qu’il faille souffrir pour être créatif, je pense que c’est une chance de pouvoir transformer ses émotions en chanson. Le mec qui a écrit Madame rêve, Pierre Grillet disait : « On peut bien tout partager, le pire et le meilleur à deux, celui qui repart avec la chanson, c’est moi ». Je trouve ça très juste et très drôle parce que c’est une vraie chance de pouvoir transformer les choses qui nous font du mal, les sublimer, les travailler, leur donner corps. Après, je ne me souhaite pas d’être malheureuse pour faire de bonnes chansons. Par contre je pense à tout ce qu’il faut avoir traversé pour sortir un « Adieu Tchin-Tchin »… c’est quand même des vagues lourdes. Je me pose bien la question de savoir ce que je vais pouvoir raconter maintenant. Mais je chiale toujours autant à chaque fois que je joue, je me mets dans des états bizarres mais j’aime bien ça.

C’est plus difficile de parler de bonheur ?
Qu’est-ce qu’il faut dire ? [Elle chantonne] « Je me promène, lalala… ». Philippe Katerine le fait bien, c’est le seul qui le fasse bien d’ailleurs. Justement, dans « Moment parfait », c’est magnifique, c’est un piano-voix et ça parle du bonheur, c’est particulièrement joli. Comme Prévert pouvait parler du bonheur, avec ce mot juste et simple. Ce n’est pas évident de parler de la joie.

Dans « Cavalier Seule », le titre qui donne son nom à l’EP, la solitude est recherchée et assumée. Tu bouscules un peu les codes de la société traditionaliste qui impose la vie de couple. Est-ce que par la musique tu te sens porte-parole d’un message particulier ?
C’est drôle, je suis contente que tu dises ça. Je n’ai pas de message particulier mais moi j’ai été célibataire assez longtemps et j’ai beaucoup souffert du diktat social, du regard des autres, du dimanche en famille, des vacances toute seule… Et il y a toujours ce truc de [elle prend une grosse voix] : « si elle est seule c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas, elle doit avoir une araignée dans la culotte ». Il faut juste le temps de trouver la bonne personne. Et ce truc de l’amazone dans « Cavalier Seule », la guerrière solitaire c’était un peu pour dire que j’ai une part de moi très romantique, mélancolique, mais aussi de femme combative. Et cette solitude j’ai appris à l’apprivoiser et à l’aimer, à en faire, pas une arme de guerre, mais en tout cas un cheval dont je n’ai plus peur. Je n’ai plus peur d’être seule en fait. Et j’aimais bien l’idée d’ouvrir ma carrière ou mon chemin musical avec un truc un peu couillu comme ça, ça me plaisait bien.

J’ai une part de moi très romantique, mélancolique, mais aussi de femme combative.

Sur scène comment ça se passe, est-ce que tu es seule aussi ?
Ça fait très longtemps que je suis seule sur scène. Je suis en train de trouver des musiciens qui pourraient entrer un peu dans mon histoire. Jusqu’à présent je n’en avais pas du tout envie et là, ça y est. Je pense sérieusement à avoir des compagnons de route, avoir des batteries, pouvoir me libérer aussi. Parce que le piano-voix c’est très académique. Moi j’ai quand même parfois des envies de me jeter dans la foule. J’ai beaucoup aimé être toute seule sur scène. J’ai même adoré ça, prendre ce risque-là. Parce qu’il faut quand même y aller, ce n’est pas évident. Et être dans mon tempo, de pouvoir arrêter la chanson et raconter des histoires si ça me botte. Ça m’a forgée pas mal quand même. Je suis cavalier seule pour le coup ouaip.

Qu’est-ce que tu ressens quand tu te confrontes au public ?
J’adore la scène, même quand c’est raté, je suis hyper amoureuse de ce moment-là. Un moment où on est tous cloîtrés et on attend tous qu’il se passe quelque chose. Et d’ailleurs je crois que le public a autant le trac que le chanteur, on a tous envie qu’il se passe un truc. Alors parfois il ne se passe rien du tout. On ne peut pas être plus au présent que quand on est dans une salle de concert ou dans une salle de théâtre. Il faut juste accepter que le moment vive par lui-même. Au début j’étais un flic, je disais : « ta gueule », « écoute », il fallait vraiment que ça passe, que je sois entendue. Aujourd’hui, j’attends que ce soit un bon moment pour le public avant tout et puis pour moi aussi.

Tu as un rituel avant de monter sur scène ?
Je fais des exercices de boxe. Et d’ailleurs, au printemps de Bourges, je ne sais pas si je devrais raconter ça, je faisais ça [elle boxe dans l’air], je portais une combinaison et j’ai craqué ma combinaison. Je suis entrée cul-nu sur scène, mais personne ne l’a vu… je crois. Donc oui je boxe. Et je chante aussi souvent du Michael Jackson dans les coulisses, ou du Steevie.

Et en sortant de scène ?
En sortant de scène, je mets longtemps à redescendre. Même quand le set est court, je suis hystérique, ça retombe doucement. Parce que j’ai hyper peur avant de monter. Le premier Olympia, c’était surréaliste, je me suis carrément envoyé un whisky, ça ne m’était jamais arrivé de faire ça, mais j’étais trop stressée, c’était terrible !

Finalement tout s’était bien passé ?
Je ne sais pas, je ne sais plus, j’ai oublié !

Es-tu heureuse du rendu de cet EP ?
C’est une bonne question parce que, en fait, je ne sais pas. Juste avant, quand on a fait presser le disque et que la maison de disque me l’a envoyé, je me suis dis : « mais c’est à chier, mon dieu mais c’est l’horreur ». Et maintenant, le fait que ça ne m’appartienne plus et qu’il y ait une écoute neuve m’en redonne un peu le goût. Mais moi toute seule là, je n’en pouvais plus.

Quoi de prévu pour la suite ?
Il faut que l’album sorte en janvier, donc il faut l’enregistrer en septembre. Le truc qui est bien avec l’EP c’est que c’est un pas de loup et que l’on peut encore avoir le loisir de bouger, alors que l’album c’est vraiment : « bam », ça met plus de pression. Mais j’ai envie d’essayer de garder cette même liberté de ton, de travail, d’inspiration. Si j’ai envie de faire un morceau RnB j’en ferai un et si j’ai envie de faire un truc avec orchestre symphonique je le ferai aussi. Je n’ai pas envie de me brimer sous prétexte qu’on a commencé à définir quelque chose et qu’il faut rester dans cette putain de ligne. Je vais essayer de faire un truc bien et on verra. Si ça se trouve ce sera complètement à chier et puis ce sera la fin et puis voilà.

Quelle note joyeuse pour terminer !
Voilà, terminons ça en beauté ! Non mais j’ai hâte de voir à quoi il va ressembler cet album, je ne sais pas trop encore, il y a plein de chansons, il y en a trop, il faut que je choisisse !

► Cavalier Seule (EP) sortie le 29 avril 2016 (Barclay). Juliette Armanet sera en concert au Flow le 7 juin.

Propos recueillis par Jeanne Cochin.

Merci à Pauline Berenger et à Juliette Armanet pour son chaleureux accueil.