Brisa Roché : “Je peux composer n’importe où, n’importe quand”

Quelques jours avant la sortie de son nouvel album, Invisible 1 (3 juin)on a rencontré Brisa Roché au Studio Red Bull. Californienne de naissance, elle s’est installée à Bordeaux au début de sa carrière. Alternant projets solos et collaborations diverses (bandes-originales de film, secondes voix, projets avec d’autres artistes…), Brisa Roché est une artiste prolifique. Dans son univers, au milieu d’instruments et de matériel d’enregistrement, à l’aise dans l’exercice, Brisa Roché nous a dévoilé les dessous de sa créativité. Invisible 1 est un album bien plus funk et disco que les précédents. On balance entre deux mondes, à l’instar des multiples facettes d’une artiste bouillonnante d’inventivité.

Ton cinquième album solo sort le 3 juin. Est-ce que tu ressens toujours autant d’appréhension et d’excitation que pour le premier ?
Un peu moins quand même. Je dirais plus de cynisme mais moins de peur parce que si ça ne marche pas terriblement je continuerai quand même, ça ne sera pas la fin du monde. J’ai vécu des sorties où je me disais « si ça ne marche pas j’arrête tout ! » et puis non. Je ne vais jamais arrêter de toute façon. Mais il y a eu des choses que je pensais qui allaient marcher et qui n’ont pas marché. Donc je ressens moins de confiance aussi peut-être. Et je ressens une bonne énergie autour de cet album !

Six années se sont écoulées entre la sortie de All Right Now et celui-ci, Invisible 1. Tu as participé à de nombreux projets : la bande originale du film Yves Saint-Laurent, un album avec The Lightnin 3 (un album de reprises avec Rosemary Standley et Ndidi Onukwulu),… Comment t’es-tu organisée avec tous ces projets et la création du nouvel album ?
Je me concentre sur la tâche qui est entre mes mains et je sème quelques graines aussi. Je réagis à chaque chose qui vient et certaines choses fleurissent, réagissent, grandissent. Du coup il y a un moment où il faut que je m’y adonne. Et entre temps je continue à semer des graines, à arroser des trucs par-ci par-là. Il y a des choses qui ne prennent pas du tout, et il y a des choses qui prennent, c’est assez naturel. Dans ma façon d’écrire et de produire souvent j’ai envie d’aller au bout de la production d’un projet plutôt que de faire plusieurs trucs à la fois.

Brisa Roché

 

Pour composer Invisible 1, tu es restée presque recluse chez toi, à l’inverse du précédent (All Right Now) pour lequel tu avais emmené tous tes musiciens dans ta famille en Californie.
Cet album s’appelle Invisible 1 parce que (bien que ce n’était pas vraiment solo parce que je recevais des pistes qui venaient de loin) j’étais autonome pour tout le processus. J’ai commencé ce projet sans forcément me projeter dans un album. Il n’y avait pas de pression, j’étais dans mon intimité. Même si j’avais des collaborateurs, ils n’étaient pas là avec moi et ils ne me disaient rien. Il n’y avait pas la pression des idées des autres ou du regard de l’autre. J’ai fait toutes les voix, tous les arrangements, toutes les écritures de mélodies chez moi tranquillement, isolée.

Est-ce que changer de processus c’est aussi une manière de booster la créativité ?
Je n’ai pas du tout de manque de créativité (elle rit). En revanche le fait d’être indépendante et de ne pas avoir à payer pour aller dans un studio où il y a d’autres gens et de pouvoir rester seule, ça permet d’essayer plein de trucs sans crainte, sans honte d’être complètement ridicule et ça permet de ne pas se soucier ni de dépenser de l’argent ni du regard des autres. Ça c’est libérateur, l’invisibilité est libératrice. Pour la créativité, je peux écrire n’importe où, n’importe quand mais c’est quand même agréable de ne pas avoir le regard des autres pendant la création.

Tes textes racontent parfois des histoires légères et anodines, parfois ils sont au contraire très intimes. Est-ce que tu écris pour quelqu’un en particulier, pour toi-même ?
Assez souvent je pense à une personne réelle que je connais, pas toujours la même. C’est souvent des moments clés passés avec d’autres gens, des clins d’œil aux choses intimes que seule une personne va comprendre. Mais le but du songwriting c’est quand même de s’adresser à tout le monde et que tout le monde puisse s’imaginer dans cette position, grâce à cette intimité qu’il y a dans la voix et peut-être grâce au fait que c’est une réelle communication. Pour cet album parfois j’ai écrit très vite et le but était de m’amuser, d’explorer et de ne pas rester dans mon univers, c’était d’éclater tout, de ne pas avoir de jugement. Il y a parfois des morceaux avec des textes plus légers que d’habitude mais qui sont quand même imprégnés de mes métaphores et de mes obsessions.

L’album est double, on a des chansons très douces, d’autres plus funk ou même disco. Pourquoi ces deux styles imbriqués dans un unique album ?
J’ai fait 40 morceaux pour cet album, après j’ai fait un tri et j’ai fait mixer 15 morceaux. Ensuite j’ai rencontré mon co-producteur et lui aussi a trié. Il a pris la moitié des morceaux que j’avais mixés en complétant avec d’autres morceaux pris dans les 40 du début. Après on a impliqué Blackjoy et Thibault Barbillon et eux ont arrangé ces morceaux-là, plus ou moins autour de ce qu’il y avait déjà. Il faut dire que le son de Blackjoy est très funk, très Michael Jackson, très Prince. Et Thibault il était plus dans l’indie-ballade, monter les fins, faire les arrangements pour ajouter du relief. Du coup on avait deux mondes assez séparés, ce qui m’a un peu stressée. Mais après je les ai fait collaborer sur quelques morceaux et ça a fait le pont entre les deux aspects. Et puis pour le mastering j’ai vraiment demandé au masterer de se prendre la tête à essayer de rapprocher les deux les deux sonorités un maximum.

Pour toi, à propos de quoi est-ce que c’est le plus difficile d’écrire ?La politique ! Jamais je ne ferai ça (elle rit).

Et le plus facile ?
L’amour ! Ou plutôt la poursuite d’amour.

On compare souvent la relation entre l’auteur/compositeur/interprète et ses chansons à la relation d’un parent à son enfant. Es-tu de cet avis ?
Ah oui, un album c’est comme un bébé. J’ai été une mère changeante. Cette fois-ci je laisse plus d’indépendance, dès la conception. Je n’ai pas voulu tout contrôler, depuis le début c’était le jeu. Parmi ces 6 ans j’ai fait des trucs : une collaboration avec une marque, plein de voix etc. Mais j’ai aussi fait trois autres albums qui ne sont pas sortis. C’est comme si j’avais des bébés dans le ventre et ça ce n’est pas très confortable, c’est mieux de les sortir.

As-tu parfois des surprises quand l’album sort ?
J’ai eu des surprises tout le long de ma carrière musicale parce que je gagne de l’argent mais je ne sais jamais comment et c’est jamais quand je m’y attends, là où j’investis. Je bosse comme une dingue mais en fait je ne peux jamais prévoir quel truc va m’apporter de l’argent. Globalement ça n’a jamais été les projets sur lesquels j’ai mis le plus de mon énergie, ça a toujours été un truc aléatoire. C’est à la fois agréable et frustrant. J’ai fait la paix avec ça en imaginant toute mon œuvre et toute mon énergie comme une globalité. Comme ça toute cette énergie donne du fruit plutôt que de me dire « oh putain je peux me prendre la tête et me saigner pendant un an sur ce projet et ça ne donne rien. Et puis d’autres trucs qui n’étaient même pas importants pour moi génèrent de l’argent ! » Ça c’est un peu frustrant mais si j’imagine juste ma force d’énergie, de progrès, d’action, de concentration… et que ça donne des fruits on s’en fout comment.

Tu as choisis de t’expatrier en France rapidement dans ta carrière. Quel impact cette décision a eu sur l’artiste que tu es devenue ?
La France est un pays de luxe pour l’art, il y a beaucoup de patience, une vraie place dans la société pour l’artiste. Et il y a aussi le fantasme de l’exotisme américain, même si c’est amour/haine. J’ai l’impression que j’aurais eu plus de mal à percer aux Etats-Unis. Dans les autres pays je n’en sais rien. J’aurais été peut-être plus intelligente à essayer en Angleterre pour le lien avec mon propre pays et un public qui comprend mes textes. Mais ce n’était pas un choix stratégique.

Vin français ou vin californien ?
Je suis désolée mais californien. Désolée vraiment. Mais eux ils ont les vignes d’origine, d’avant la maladie qui a détruit tout en France. Ils les ont importés avant que tout soit dévasté en France.

Voix grave et mystérieuse ou voix haute et pétillante ?
J’ai eu des choses à prouver avec la voix grave mais avec mon album All Right Now je pense que j’ai exorcisé ça. J’aime bien les deux, justement le contraste, le fait d’aller rapidement de l’une à l’autre. Et puis il y en a plus que deux maintenant, il y a plein de voix différentes, c’est bien d’aller de l’une à l’autre. J’ai l’impression d’être très multiple dans mon être.

Festival en plein air ou salle de concert ?
Salle de concert. Quand tu joues en festival souvent ce n’est pas la nuit et ça c’est dur et puis les gens sont (elle chuchote) bourrés et tu joues moins longtemps. Donc en gros c’est genre 16h, tu dois jouer 40 mn, en plein soleil avec des gens bourrés et tu dois les transporter et te transporter toi-même aussi. Donc concert à l’intérieur : c’est la nuit, t’as le temps que tu veux, c’est un lieu que tu peux manipuler plus facilement, c’est séparé de la vie quotidienne, c’est plus facilement ensorcelable.

Extravagance du disco ou assurance du jazz ?
J’ai un jardin secret qui est le jazz, qui n’est pas présent sur mes albums, mais qui est très important dans ma vie. Tandis que le disco c’est plus une idée fun. Je choisirais le jazz.

Pour composer, terrasse ensoleillée et brouhaha ou calme d’une maison de campagne ?
Je peux composer n’importe où, n’importe quand, dans n’importe quelle situation (elle rit).

https://www.youtube.com/watch?v=6MUy478Sy4U

Invisible 1 (Kwaidan Records), sortie prévue le 3 juin.

Propos recueillis par Jeanne Cochin.

Merci à Xavier Chezleprêtre et au Studio Red Bull.