Alexandra Savior : “The Archer”, une ode au rock rétro et mélancolique.
CHRONIQUE – Trois ans après Belladonna of Sadness, la californienne Alexandra Savior publie The Archer. Une pépite à écouter d’urgence.
“Que recherchez-vous, Monsieur, dans la musique ? – Je cherche les regrets et les pleurs.”, écrit Pascal Quignard dans Tous les matins du monde, avant de continuer : “La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n’est pas tout à fait humaine.”.
En psychologie, la musique est considérée comme l’art ayant le plus grand pouvoir d’induction émotionnelle. Elle peut nous faire passer de la joie à la mélancolie, du rire aux larmes, en quelques secondes, via un simple changement de mélodie. C’est avec ces émotions, que nombre d’artistes veulent jouer avec leur auditoire.
Mélancoliquement vôtre
En 2008, The Last Shadow Puppets nous renvoyait dans les années 1960/1970, avec une musique nostalgique pimentée d’instruments à corde, rappelant Lee Hazlewood et Nancy Sinatra. En 2012, ce fut Lana Del Rey, qui par sa voix, sa musique et son art visuel “Summertime Sadness” nous renvoyait dans ces mêmes années. La nostalgie californienne des années 1960/1970 fonctionne. Elle est presque devenue un genre par elle-même. En 2016, Lykke Li s’y était essayée en formant un nouveau groupe (LIV). En 2020, c’est à la jeune Alexandra Savior de reprendre le flambeau.
Autant ne pas tourner autour du pot, la californienne le fait avec brio. Après avoir été acclamée par la totalité de la presse musicale en 2017, lors de la publication de son premier album, produit par Alex Turner, Alexandra Savior a voulu chercher l’indépendance. Changement de label, changement de producteur, mais âme musicale restée intacte.
The Archer délivre sa dose de mélancolie sans jamais nous rendre triste. Tout en nuance, elle arrive à nous donner des frissons, à nous émerveiller. La preuve en est avec “Crying all the time”, premier single de l’album paru à l’été 2019. Sombre, le titre relate la fin d’une relation difficile, considérée comme abusive.
“My death, it taunts me like a ship
Crying all the time – Alexandra Savior.
Without a sail
I know I’ll be gone soon
But just for him, I will prevail”
I’m addicted to you, Don’t you know that you’re toxic ?
L’amour. La rupture. La noirceur de la vie semble encore être le déclencheur d’un nouveau bijou musical. The Archer est sombre, très sombre. Dans “Howl”, Alexandra Savior use d’une écriture cinglante, pour décrire la manipulation psychologique : “Handsome dictator of my crimes, I can’t tell if they’re yours, I can’t tell if they’re mine.”. Ces paroles sont sublimées par le clip, sorti en novembre dernier. Tel Anna Karina filmée par Jean-Luc Godard, la chanteuse se met en scène, se laissant dépérir.
La thématique de chute de soi, de détresse sentimentale, se retrouve par ailleurs dans le dernier titre de l’album, “The Archer”. Alexandra Savior l’avait composé en guise de cadeau de Noël pour son feu-amour. Initialement, il était un texte sur le sentiment amoureux. Qu’éprouvons-nous à ce moment-là ? Désormais, comme elle le dit en interview, “The Archer” paraît plutôt être une description d’une relation psychologiquement malsaine, via le point de vue d’une femme qui fut plus ou moins consciente d’être émotionnellement maltraitée. “Don’t need to tell you but your arrow’s made of stars. And the shot that you’ve made punched it straight into my heart”.
Un album court, mais étincelant
Outrepassé le côté mélancolique et littéraire, The Archer est aussi une vraie pépite musicale. Piano épuré, version “I Don’t Blame You” de Cat Power, en ouverture d’album ; guitare électrique sobre sur “The Phantom” et “Saving Grace” ; batterie mise en avant sur “Send Her Back”, Alexandra Savior a su utiliser la multitude d’instruments qui lui ont été offerts, afin d’ajouter une émotion supplémentaire à la mélancolie ambiante de son univers.
Et malgré un opus composé uniquement de 10 titres et d’une durée de 30 minutes montre en main, la richesse de l’album fait déjà de “The Archer” l’un des plus beaux de l’année 2020. Si Monsieur de Sainte Colombe existait, il serait ravi d’apprendre que ses regrets et ses pleurs pourraient trouver bonheur dans ce deuxième opus d’Alexandra Savior.