“Foreigner” : 5 questions à Jordan Mackampa

CHRONIQUE – Quatre ans après la sortie de son premier EP, Jordan Mackampa a enfin sorti “Foreigner”, un premier album chaleureux et touchant.

Comme beaucoup de folkleux britanniques, Jordan Mackampa est entré dans ma vie à la suite d’une session acoustique de Mahogany. La première fois qu’on a eu la chance de le voir en live pour confirmer mon crush numérique, c’était dans le cadre peu propice d’un bar hipster de Paris, à l’occasion du MaMA Festival 2017. Malgré le bruit des shakers à cocktails et le brouhaha du public entrant et sortant irrespectueusement, la performance est touchante. Le délicat folk de Jordan Mackampa est généreux et chaleureux. Il touche droit à l’âme, en s’immisçant profondément et laissant un souvenir pérenne et réconfortant en tête.

Du Congo à Londres

Nous voilà en mars 2020, Jordan Mackampa vient finalement de sortir son premier album, Foreigner, quasiment quatre ans après Physics son premier EP. Foreigner est un remarquable premier album. Solide musicalement (la production est signée Dani Castelar – la touche Paolo Nutini), il est surtout emprunt d’une vraie profondeur. Jordan Mackampa y a imprégné son parcours de vie, semé des habituelles embûches désolantes de l’immigration et de l’intégration.

Né en République démocratique du Congo, l’artiste âgé d’un an déménage avec sa mère en banlieue nord de Londres. Facile d’imaginer le racisme dont il a été “banalement” victime dans ce quartier à majorité blanche. Par sa couleur de peau d’abord, mais aussi par ses différences culturelles. Très vite pour mieux s’intégrer, il apprend l’anglais.

Il reprend des génériques de télévision, suit sa mère à l’église pour chanter, et se construit sur de la Motown. À 8 ans, il écrit de la poésie, à 12, ses premières chansons. Un déménagement libérateur à Coventry puis un passage à l’université de Northampton plus tard, Jordan Mackampa se lance dans le grand bain en tant que auteur-compositeur-interprète. Deux EPs naissent de cette passion.

Quatre ans après

Quatre ans plus tard, le premier album au nom évocateur paraît enfin. Foreigner : celui qu’il a été. Cette part de lui qui l’a inspiré pour écrire les 11 chansons d’un album cohérent. Il y a beaucoup de soul et de richesse dans ce timbre de voix rond gorgé de lumière qui vient nous enveloper et nous rassurer, nous faire danser (“Magic”, “Under”), nous parler d’amour (“Care for your mother”) nous sussurer des mots réconfortants (“Parachutes”), nous émoustiller (“Warning Signs”) ou encore nous ramener à des origines plus épurées qui nous font toujours autant frissonner (“Tight”, “Foreigner”).

Jordan Mackampa devait presenter son album à Paris, puis à Montréal. Les circonstances font que ces concerts et sa tournée ont été annulés. On vous tiendra au courant lorsque les dates seront reprogrammées et que vous aurez l’opportunité d’applaudir ce bel artiste. En attendant, on vous laisse avec 5 questions qu’on a pu poser à Jordan Mackampa par mail.


Où es-tu allé chercher ses influences soul qui apparaissaient moins dans tes premiers EP plus folk mélancolique ?

Ces aspérités soul ont toujours été en moi. Elles ont juste eu la chance d’émerger plus dans cet album. Mais je suis né avec le rhythm ’n’ blues et la soul en moi, donc ça n’a jamais été quelque chose que j’avais mis de côté. Je crois que j’attendais le bon moment pour les faire éclore !

Est-ce que c’est un soulagement ou une déchirure d’enfin sortir ton premier album ?

Définitivement un soulagement ! J’attends la sortie de cet album depuis qu’on l’a fini en septembre 2018. Donc ça fait plus d’un an et demi que j’écoute en boucle ces chansons. Presque deux ans même ! De pouvoir enfin présenter mes chansons au monde, des chansons que je gardais précieusement près de mon coeur jusqu’à present, c’est un poids en moins sur mes épaules.

Quel serait ton meilleur souvenir en studio et pourquoi ?

Mon meilleur souvenir serait peut-être l’enregistrement d’une chanson qui n’a pas fini sur l’album. Mais je me souviens de cette journée-là comme d’un jour tellement fun dans tout ce processus d’enregistrement. C’était au mois d’août, tout le monde était de bonne humeur, il y avait du soleil à l’extérieur donc nous sommes allés manger dehors au lieu de commander. Ce qui était bien agréable ! Je préfère la tournée au studio cela dit, à 1000%. Les émotions que tu as quand tu joues en live et que tu te connectes avec le public procure un sentiment imbattable.

Pourrais-tu me parler de ta chanson “Lula” qui est spéciale pour toi car tu y enregistres ta maman ?

Quand j’étais petit, ma vie à Londres était tout ce que je connaissais. J’étais trop jeune pour me souvenir des années que nous avions passées en République démocratique du Congo à part quelques histoires que ma mère m’avait racontées. Lorsque j’étais petit, je voulais jouer dehors avec les autres enfants du quartier, mais ma mère m’avait dit non. Elle craignait que la barrière de la langue crée de la peur plus que de l’acceptation. C’est de là qu’est née ma soif d’apprendre l’anglais.

Des années plus tard, ma mère m’a raconté plus d’anecdotes sur la vie à Londres dans les années 1990. Non seulement elle a gardé un adorable accent francophone, mais aussi parce que je n’ai jamais su comment elle avait réussi à élever un enfant seule, dans une autre langue et d’avoir eu à gérer les préjugés au quotidien. J’ai longtemps pensé que j’étais un outsider car j’étais un étranger qui ne ressemblait pas aux autres par mon physique et par ma façon de parler. J’ai mis du temps à comprendre que ma mère ressentait la même chose. Elle ne pouvait pas montrer qu’elle avait des doutes car elle élevait un petit garçon dans un quartier dangereux de Londres. Donc pouvoir faire écouter au monde nos deux histoires, l’une après l’autre sur cet album, c’est quelque chose dont je suis très reconnaissant.

Je me souviens avoir vu passer un post où tu parlais de l’anxiété que tu avais ressentie au contact de certains fans envahissants qui ne réalisaient pas que tu étais un être humain comme les autres, qui avait besoin de son espace. Est-ce que la musique t’aide à combattre tes peurs et gagner de la confiance en toi ?

Ce post que j’avais fait parlait du harcèlement sexuel de “fans” un soir, et le fait que je me sentais en tort de leur demander de respecter leurs distances puisque je ne serais pas où je suis là maintenant sans le soutien de mes fans justement. Je me sentais tiraillé entre le fait que j’avais choisi de mon plein gré cette carrière, mais que je perdais de mon humanité après ce qu’il s’était passé et que je me transformais en une sorte d’objet. La musique m’a définitivement aidé au niveau de la confiance, mais en même temps m’a fait devenir plus introverti sur certains points et m’a rendu plus conscient de l’importance des personnes de qui je m’entoure.

Les 5 chansons que Jordan Mackampa a écoutées juste avant de faire cette interview :

Billie Holiday – I’m a Fool to Want You
Francis & The Lights ft Bon Iver – Friends
James Blake – Retrograde
Clairo – Bags
Anderson.Paak – Come Down

Foreigner – Jordan Mackampa (Awal Recordings)

Propos recueillis par Emma Shindo
Crédit photo : Josh Shinner