Étienne Dufresne, des coulisses à la scène
INTERVIEW – Discussion décontractée avec Étienne Dufresne à la suite de la sortie d’Excalibur, son premier album très réussi.
Une pause lunch comme les autres, ou presque. Rendez-vous a été donné sous le viaduc Van Horne de Montréal pour discuter avec Étienne Dufresne d’Excalibur, son premier album. Un monsieur qui fait ses gammes de trompette, un train de fret au loin, des camions qui traversent la ville, quelques rafales de vent, et Étienne et moi, assis à une table de pique-nique, en plein soleil. L’occasion de parler de sa première galette rock jazzé enrichi de sons électroniques et rechutes R’n’B qui s’écoute comme on savoure un savoureux brunch avec café glacé un dimanche en terrasse. Avec un plaisir non dissimulé.
Comment vas-tu après tous ces retours positifs des médias qui ont suivi la sortie de ton album ?
Honnêtement, je ne m’y attendais pas du tout ! Je suis reconnaissant et très étonné des réactions. J’ai fait cet album pour le plaisir, je m’étais déjà fait à l’idée que le plus important était juste de le sortir. En ce moment je me réveille chaque matin avec le sourire aux lèvres.
Tu as pas mal parlé de ton travail de photographe et vidéaste dans le milieu de la musique. Finalement, c’était une étape nécessaire pour bâtir ta confiance et te rendre compte que c’était de la musique que tu voulais faire ?
Absolument ! J’apprends beaucoup en regardant et en mimiquant. C’étaient des années formatrices qui ont été super importantes. J’ai vu des gens faire des erreurs, j’en ai fait moi-même. Je suis quelqu’un qui adore le visuel, et pour moi c’est quasiment indissociable à la musique.
“Être derrière la scène à regarder, je l’ai assez fait !”
C’est quand même courageux de se lancer et de changer de “statut”.
(rires) Quand j’ai commencé à faire de la musique je ne pensais même pas à la scène, je voulais juste écrire des chansons. Ça a été une étape de me dire qu’après 10 ans à photographier des gens, j’allais devoir me montrer, me mettre à nu. Je vois ça comme une façon d’évoluer comme personne et de me dire qu’il fallait essayer autre chose. Être derrière la scène à regarder, je l’ai assez fait !
C’est un switch réussi en tout cas. Pas comme certain acteur.trice-chanteur.se qui veulent tout faire pour le meilleur et pour le pire.
J’en avais vraiment peur aussi. Je me disais que ça ne pouvait pas être si pire que ça. Si je me plantais, j’aurais essayé et je m’en serais souvenu. Je l’ai vraiment fait pour pouvoir en donner un à mes parents et un pour moi..
Et l’écrire sur ta pierre tombale.
J’ai fait un album un jour.
Tu es quand même derrière tous les visuels qui accompagnent ton album.
Quand tu peux, ça coûte moins cher de tout faire soi-même. Lorsque je travaillais avec des artistes je devais faire beaucoup de concessions. Là, ce n’était pas le cas et je pouvais faire exactement ce que je voulais. Je ne tombais pas dans le même carcan visuel que les artistes qui travaillent avec les trois mêmes photographes et quatre réal’ de clips. D’avoir eu ses années-là derrière moi, me donne un petit avantage, car je peux créer un visuel qui me différencie de ce qui se fait. En plus, ça reste très personnel car ça vient littéralement de moi. Ça ne peut pas être plus personnel que ça !
“Un album mi-pandémique”
Est-ce que pour toi la pandémie a été créative malgré tous ses aspects négatifs ?
La première moitié de l’album a été composée avant la 1re vague, et l’autre moitié pendant. C’est un album mi-pandémique. Mais la pandémie m’a laissé le temps de compléter l’album, de peaufiner l’écriture. J’étais très pressé de faire ce 1er album, donc quand la pandémie a commencé je me suis dit que j’avais du temps pour finaliser les textes et mettre la touche finale à ce que je voulais faire. Mais tout ça a été fait très rapidement honnêtement. L’enregistrement été déjà terminé l’été passé.
En parlant d’album, comment as-tu rencontré Félix Petit (Les Louanges, Bellflower) qui a co-réalisé Excalibur ?
Ma gérante connaissait bien Félix. Après mon EP Sainte-Colère que j’ai co-réalisé avec mon ingénieur du son, je me suis dit que ça serait bien de travailler avec un réalisateur. Noémie a tout de suite pensé à Félix Petit pour son travail avec Les Louanges. On est allé prendre un café et on a vraiment bien connecté. Vu qu’il est multi-instrumentiste avec un background jazz et classique, il allait apporter une touch intéressante. Dans l’optique où tu veux essayer des idées rapidement, il devient super facile de travailler avec lui. On a essayé et on n’a pas regretté le choix !
Il y a un épilogue mais pas de prologue, et une ouverture mais qui est au milieu de l’album… pourquoi ?
(rires) Le début de l’album ce sont des idées générales dont je voulais parler, puis l’ouverture s’en va plus vers des thèmes qui sont importants pour moi, plus personnels. C’est l’ouverture vers le côté plus deep de ma personnalité. Je trouvais ça le fun de mettre l’ouverture au milieu, comme s’il y avait un préambule suivi d’un petit album qui commence dans l’album. Je trouvais aussi ça drôle aussi de mettre “épilogue”, comme dans les albums de progressif qui ont quatorze tounes. C’est un clin d’œil aux albums qui se prennent trop au sérieux.
Est-ce que c’est un choix délibéré de conserver cette guitare acoustique sur quasiment toutes tes chansons ?
Je compose tout à partir de la guitare. Parfois, en exercice, c’est fun de la retirer, comme sur “Forteresse”. C’est vrai que c’est ma signature et c’est un élément que j’aime garder. Il y a quelques chansons où il n’y en a pas. Ce sont des restants de démos que Félix était aussi d’accord de garder. Je me suis plus gâté dans les arrangements de synthétiseurs que j’ai découvertes ces dernières années. Ça prend tellement de temps d’écrire des partitions de synthétiseurs mais le fun après ça c’est d’essayer tous les sons du monde, et tu as l’air d’un gars qui connaît ça !
“Utiliser un son tiré de TikTok est l’affaire la plus génération Z que j’ai jamais faite.”
Quel est ton son de synthétiseur préféré que vous avez gardé ?
Dans “Jolicoeur” il y a un lead de guitare qui n’en est pas vraiment un. C’est en fait un guitare-synth avec des trémolos. Un synthétiseur qui imite un son de guitare que j’ai emprunté dans la bande originale de Twin Peaks. C’est un son qui me fait tripper et auquel je voulais rendre hommage. Il est vraiment cheap et c’est à l’image des productions de David Lynch, très quétaine et dramatique en même temps. Il y a aussi le son d’un chien qui hurle à la lune au début d’ “Excalibur” qui est tiré d’un TikTok. On l’a gardé car on s’est rendu compte que ce son était exactement sur la même note que le début de la chanson. J’ai trouvé ça vraiment le fun. C’est l’affaire la plus génération Z que j’ai faite ever. J’aime beaucoup cette chasse aux sons.
Tu as parlé d’Excalibur qui en plus d’être une chanson d’affranchissement est aussi le titre que tu as donné à ton album. Je suppose qu’elle est importante pour toi pour ce qu’elle représente dans l’album.
Au niveau du texte, ça représente le mieux ce que je ressentais quand j’écrivais l’album et quand j’ai fait le move de changer de direction. Musicalement, c’est aussi une des chansons qui m’intéressent le plus et dont je suis le plus fier, notamment la batterie avec son pattern irrégulier que tu peux quand même suivre facilement. Cette chanson est une ballade pop bien normale avec une petite prouesse musicale vraiment intéressante.
J’aime beaucoup « Vanille » aussi qui est une chanson de rupture. Est-ce que c’est un rite de passage d’inclure des chansons de rupture dans un album ?
Vanille est essentiellement une chanson pour reconquérir ma blonde. Il y a une dimension cachée dans l’album, celle de la peur de l’engagement. C’était un aveu de lui dire que si je pouvais m’engager dans un travail, je pouvais aussi m’engager avec elle. Je voulais finir avec cette chanson car c’est la dernière que j’ai composée, elle est super épurée et honnête en même temps.
J’ai trouvé tes textes bruts et sincères. Comment est-ce que tu les as travaillés ?
Parfois j’ai juste laissé certaines phrases telles quelles. Quand c’est brut, j’essaie d’être le plus clair possible dans ce que je veux dire. Mais parfois, je dois revenir en arrière car je fais des chansons trop moi, trop dans mes codes, avec mes inside jokes. Il a fallu que j’ouvre le texte pour que les gens comprennent de quoi je parle, pas dans un souci de vulgarisation mais de partage. Tu peux écrire juste pour toi mais ça va juste te parler à toi. Dans les prochains albums, j’aimerais faire plus ça.
Ton souhait c’est que tout le monde comprenne ta musique finalement.
Ou du moins le plus de personnes possibles. Je suis quand même privilégié de faire de la musique qui va être écoutée par des gens. Donc j’aimerais ça qu’on puisse plus facilement se projeter dans ce que je fais. J’aime regarder un film et ne pas comprendre certaines scènes dans lesquelles je peux me projeter, ou les films qui laissent une fin ouverte et te font te poser plein de questions. Si tu donnes tout, tout cru dans le bec c’est cool, mais tu crées un mur avec les gens car tu ne leur laisses pas vraiment de place.
Donc est-ce que la toupie tombe à la fin d’Inception ?
C’est plus le fun de ne pas savoir et d’aller sur Reddit voir 1000 personnes qui en discutent !
“Écrire une chanson c’est un casse-tête que tu commences dans le noir.”
Tu t’imposes beaucoup de règles quand tu écris ?
Quand j’écris une chanson, j’ai la signification et le message en tête puis j’écris le texte le plus honnête possible. Mais, c’est souvent à chier, tu ne peux pas chanter ça, ça ne marcherait vraiment pas. Après, j’essaie de trouver des tournures pour que les mot fit dans les syllabes que j’entends. Je hais ça ! (rires) J’aimerais que ça soit plus simple… Ce que j’aime le plus c’est commencer à chanter n’importe quoi, enregistrer, réécouter, noter les mots, comprendre comment je dois couper mes syllabes… C’est comme un genre de casse-tête que tu commences dans le noir à chaque fois. Il n’y a rien de glorieux dans l’écriture. Ce n’est vraiment pas magique, c’est honnêtement beaucoup de travail. Écrire un texte en sortant d’un rêve je n’y crois pas !
Comme ceux qui ont des idées dans leur sommeil et qui les note sur un bloc-notes posé sur leur table de nuit.
(rires) Chacun son mood au final ! J’aimerais ça pouvoir rêver de paroles, ça serait pas mal plus facile de se réveiller avec les idées déjà là plutôt que de s’obstiner entre “piscine” et “routine”. Je me dis que par moment ça serait plus bénéfique de ne pas se rendormir pour une bonne idée que de préserver son sommeil. Car au final tu perds peut-être 1h de sommeil, et non 6h le lendemain à te souvenir de cette idée. Malheureusement, je n’ai rien qui sort quand je dors…
“À un moment donné, j’aimerais ça faire un album progressif.”
Quels étaient tes rêves les plus fous pour cet album ?
Faire des tounes de 25 minutes ! À un moment donné, j’aimerais ça faire un album progressif dans les règles de l’art : des grosses chansons super longues et inécoutables. Ce sont mes rêves d’adolescent élitiste. Je découvre là que la synth-pop m’intéresse beaucoup plus. C’est comment écrire une chanson satisfaisante, intéressante et accessible en 3-4 minutes. Il y a des gens qui regardent la pop un peu de haut, mais c’est plus difficile de faire une bonne chanson pop que d’écrire une chanson de 8 minutes que tu écoutes dans un sous-sol de St-Laurent sur laquelle tu peux apposer plein d’étiquettes. J’aime mieux écouter une chanson pas assez longue que tu vas réécouter plusieurs fois, qu’une chanson qui a deux refrains ou deux couplets de trop. Je suis content d’avoir fait un album qui n’était pas assez long selon tel média.
Tu as parlé d’album transitoire. Une transition vers où ?
Ce que je voulais dire c’est que c’était un album qui parle de transition, de changer ses plans de vie. Que maintenant je me donne le droit de faire ça. C’est aussi simple que ça. Je ne sais pas quel genre de musique j’écrirai après, je me pose beaucoup de questions. Je n’aurais pas envie de refaire la même chose deux fois, je serais déçu. J’aimerais clairement qu’il y ait une transition dans le style musical.
Tu penses déjà au prochain album !
On a du temps ! Quand tu as une idée qui sort, c’est le fun, tu mets ça en banque et tu continues.
Excalibur – Étienne Dufresne (Chivi Chivi)
Photo et propos recueillis par Emma Shindo
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