Route du rock 2022 : le fort de Saint-Père se réveille
FESTIVAL – Jeudi 18 août 2022, il est temps de retrouver le fort de Saint-Père pour une 30e édition de la Route du Rock.
Retour à la normale ce jeudi avec l’ouverture de la 30e édition de la Route du Rock collection été. Avec une soirée d’ouverture la veille à la Nouvelle Vague, un nouveau chapiteau, des afters jusqu’au petit matin, le festival a décidé de fêter en grandes pompes. Mais avec toujours la même recette gagnante : une programmation aux petits oignons.
La scène des remparts accueillent Cola pour l’ouverture. Bâti sur les cendres du groupe montréalais Ought, qui split en 2021, Tim Darcy et Ben Stidworthy sont rejoints par Evan Cartwright à la batterie pour leur premier concert européen en tant que Cola. Je retrouve chez eux ce qui me faisait déjà aimer le projet solo du chanteur à la route du rock hiver 2017. Un son qui oscille entre rock et mélancolie, des mélodies toujours magnifiques. Et surtout cette voix, qui ne cesse décidément pas de me rappeler les plus belles heures de celle de Julian Casablancas. Bref, une belle petite entrée en matière.
La survie d’un groupe sans chanteur
L’enchaînement se fait avec Black Country, New Road. Après le départ du chanteur Isaac Wood fin janvier, à peine quelques jours avant la sortie de leur 2e album, j’étais curieuse de voir ce que leur concert pouvait donner. La troupe ayant décidé de poursuivre, les titres se répartissent désormais entre les voix de la pianiste/accordéoniste May Kershaw, du saxophoniste/flûtiste Lewis Evans, et de la bassiste Tyler Hyde. L’équilibre en est rendu définitivement plus précaire. Les titres sont assez forts pour survivre à leur changement d’interprète. Ils conservent indéniablement leur beauté, mais sont désormais moins habités. Un petit quelque chose qui manque, mais qui apparaît lorsque la batterie se fait plus martiale, que l’ambiance rappelle soudainement Arcade Fire, que le violon appuie sur le lyrisme et que le saxophone fait s’envoler l’ensemble. Oui, définitivement, la clé tient peut-être à Lewis Evans. Il faudra attendre la suite pour le vérifier.
Des rockeurs et des divas
Après ces deux concerts, il était temps que commence le rock, le vrai. C’est ce qui se ressent dans le public dès lors que Geese commence à jouer. Six garçons de Brooklyn, dont la jeunesse et la longueur de cheveux ne peuvent que laisser présager leur volonté de jouer la musique qu’ils aiment à coup de guitares. Tous alignés en front row ou presque, ils débitent des titres d’une efficacité indiscutable. S’ils sont souvent rapprochés des Strokes (pour leurs origines new yorkaises ?), et associés à la vague post-punk (pour leur signature sur Partisan Records, label de Fontaines D.C. ou Idles ?), je préfèrerai dire qu’ils n’ont rien inventé. Mais qu’il font ce qu’ils faut pour nous faire danser et sautiller en tapant fort et en jouant vite. Je n’en demande pas plus.
Wet Leg est très attendu sur la grande scène. Bon. Honnêteté oblige, c’est le moment de la soirée où je vais aller à contre-courant. Déjà, les conditions photos quand on arrive dans le pit : pas de photo de face, on reste cantonné aux côtés. J’ai déjà vécu ça ici, devant cette scène… pour Patti Smith. Le concert commence avec 5 minutes de retard, et finira en avance. Voilà ce que j’en retiens. Ça et un canard en plastique jaune, des robes bohème, des nanas à bonnet qui tout d’un coup courent un peu sur scène dans des éclats de rire poussifs. En résumé et pour reprendre les mots d’un homme célèbre : “ça m’en touche une sans faire bouger l’autre”. Allez, on va dire que j’avais faim.
Yard Act : la claque de cette route du rock
Et puis en fait, non. La vérité, c’est que ce dont j’avais besoin, c’était Yard Act. Notez le nom, regardez vos agendas, trouvez un concert. Oubliez l’album. Un groupe de Leeds qui fait du rock, un premier album en début d’année, des confinements qui leur ont permis de sortir des singles qui ont plu… Rien de neuf sous le soleil. Mais sur scène !!! C’est totalement fou, et ça tient à James Smith, leader charismatique en marinière et imper (oui), qui navigue entre chant et spoken word. Je ne suis qu’admiration devant un mec qui, en plein festival français, déclame de la poésie en anglais (sous les sifflets d’un public qui veut sa dose d’énergie). Qui chante des personnages comme peinture de la société de nos années 2020 avec une verve mordante. Et qui saute, danse, grimace de partout, entouré par son groupe qui transpire à grosse goutte pour pousser leur front man au maximum. Yard Act, la claque de la soirée. Indéniablement.
L’Irlande, reine de la soirée
Difficile d’enchaîner après ça ? Pas avec Fontaines D.C. Forcément, je sais d’avance que je vais comparer ce concert à celui vu en 2019 sur la même scène. J’avais alors été frustrée par la courte durée, et le “masque” de Grian Chatten, que j’avais trouvé très fermé. Deux albums plus tard, c’est un autre groupe que je vois. UNE MACHINE DE GUERRE. Skinty Fia a définitivement changé la donne. Scénographie plus travaillée avec des pans floraux et le nom du groupe en arrière-scène, mais surtout, un frontman qui assume et assure enfin complètement son rôle. Le set est monumental. Entre les lumières stroboscopiques et saturées, les anciens titres passés à l’accélérateur (“Too Real”, “Hurricane Laughter”), les chœurs sur la désormais vrombissante “A Hero’s Death”, je redécouvre un groupe enfin à la hauteur de tout ce qui avait été annoncé depuis leurs débuts. La clotûre sur “I Love You” l’a montré : Fontaines D.C. a mis tout le monde d’accord.
Le changement est radical de retour sur la scène des remparts avec Charlotte Adigéry et Bolis Pupul. Le duo se rencontre sur la BO du merveilleux film Belgica, grâce à l’entremise de Soulwax. Maintenant, les deux croisent leurs influences pour produire une musique électro pleine de synthés et ultra-dansante. Mais les basses manquent de me faire défaillir dans le pit et je déclare forfait, pas encore remise des deux concerts précédents.
Le futur du post-punk
Je préfère me réserver pour le dernier groupe, Working Men’s Club. Je dis groupe, mais j’avoue que les 3 musiciens supplémentaires me paraissent peu utiles pour ce set. Sydney Minsky-Sargeant, la petite vingtaine, aujourd’hui mancunien, est le seul qui concentre les regards. Il bouge, éructe et danse sur la musique qu’il contrôle. Une musique hybride entre dance et post-punk, qui te fait danser autant qu’il te donne envie de pogoter. Un curieux mélange qui pourtant s’étend de plus en plus dans les groupes qu’on continue de qualifier de “post-punk” aujourd’hui. Le futur du genre est donc un retour au dancefloor, et nul doute que la Route du Rock nous réserve d’autres groupes du genre. Ça tombe bien, le monde en a besoin.