Fanny Ruwet – Bien sûr que les poissons ont froid
CHRONIQUE – Après ses chroniques sur France Inter et son Podcast Les Gens Qui Doutent, Fanny Ruwet, réussit son passage à l’écriture avec Bien sûr que les poissons ont froid.
Si vous êtes un fidèle auditeur de France Inter, ou si vous êtes un passionné des moments de malaise, vous connaissez Fanny Ruwet. À 29 ans, l’humoriste belge a su se faire une place dans le monde culturel, grâce à ses punchlines, mais aussi sa mélancolie. Une artiste 2.0, qui sait utiliser le médium radio au sens large du terme, afin de réaliser ses projets.
Radio, mein Radio
“J’aime les gens qui doutent / Les gens qui trop écoutent / Leur cœur se balancer”. Ces premiers mots d’Anne Sylvestre dans “Les Gens Qui Doutent” résument parfaitement le podcast de Fanny Ruwet.
Lancé en mars 2019, ce podcast permet à Fanny Ruwet d’interviewer des personnalités venues de tous les pans culturels francophones. De Morgane Cadignan à Marina Rollman pour l’humour, de Cécile Coulon à Adeline Dieudonné pour la littérature, ou encore Eva Bester et Augustin Trapenard pour les médias, on ne trouve aucune limite dans le choix des invités. Aucune… Hormis celle d’avoir des invités sincères, qui s’échappent de leur quotidien et racontent leurs moments de doute, de mélancolie, d’angoisse, de solitude face à la vie actuelle.
En plus de ce podcast introspectif, Fanny Ruwet intègre en novembre 2019 “La Bande Originale” sur France Inter, pour des chroniques hebdomadaires. L’occasion de retrouver le côté punchlineuse de la Belge, qui a assimilé tous les codes du stand-up.
C’est ce mélange de mélancolie et d’humour que nous retrouvons tout au long des 260 pages de son premier roman. Et il ne faut guère attendre pour s’en rendre compte. En première page, Fanny Ruwet cite parallèlement Keaton Henson (“You“) et Crazy Frog (Axel F).
Fanny Ruwet, une Sherlock 2.0
Emprunté au chanteur Raphaël, Bien sûr que les poissons ont froid, est un livre d’introspection et de nostalgie. Que serions-nous prêt à faire pour retrouver un ami d’enfance ? Notre jeunesse était-elle aussi belle que les souvenirs que nous en avons ?
2009, Allie a 15 ans. Passionnée par le folk indépendant, elle écrit des chroniques sur Skyblog et va y rencontrer Nour. Une vraie relation amicale naîtra, malgré la distance “Bruxelles-Montpellier”. Soudainement, plus de nouvelles. Que devient Nour ?
En mode Sherlock 2.0, Allie épiera tous les réseaux sociaux actuels à la recherche d’une trace, même minime, de Nour. Cette enquête émeut tout au long du roman. Et en faisant le parallèle entre l’adolescence et l’âge adulte, nous voyons grandir difficilement Allie.
L’amour, la dépression, l’amitié, la dépression, le travail, la dépression, la recherche de sa personnalité, la dépression, l’alcool, la dépression. Telle est la vie d’Allie :
“Juillet défile, je me laisse glisser dans la tristesse moite de l’été. Je suis épuisée. Mes nuits durent des jours entiers et les semaines ressemblent à des mois. […] Le pire n’est probablement pas que je préfère passer ma journée allongée, les rideaux tirés […] mais plutôt que cet été me semble sans issue.”.
“J’ai mis du temps avant de comprendre la violence de cette soirée. Aimer et désirer des femmes n’était pas un problème pour moi, mais les autres m’en avaient rendue honteuse. […] J’étais une telle honte que je ne méritais pas d’être affichée.”
Outre ces moments émouvants, où la narratrice décrit la dépression et les doutes avec brio, nous retrouvons un optimisme naïf, via la quête de Nour : “- T’as un tableau chez toi avec des petites ficelles rouges qui relient des photos entre elles ? – Ben écoute, c’en est pas loin. Je suis à deux doigts de contacter tous les lycées du département.”
“On n’est pas dans Riverdale …
Fanny Ruwet nous tient en haleine tout au long de son roman. Nous ne pouvons le lâcher. Qu’est-il advenu de Nour ? Au-delà de cette enquête, ce roman est truffé d’humour, qui entre deux petites larmes nous font rire. Et c’est bien là, sa force.
Que cela soit le lecteur, l’éditeur ou même les personnages du roman, chacun en prend pour son grade. Les notes de pages (au nombre de 62 : qui fait 62 notes dans un roman ?) nous prennent à partie : “Suivez un peu les gars, on n’est qu’à la page 13” ; “Wesh, mon éditeur insiste pour que j’explique que c’est le mec de Prison Break qui s’est fait tatouer le plan de la prison”.
Nous retrouvons aussi beaucoup d’autodérision de la part de l’autrice. Mais n’est-ce pas la marque de fabrique des gens qui doutent ?
En plus des notes, Fanny Ruwet intègre de vraies uppercuts littéraires tout au long de son roman, à l’instar d’une Marie Flore dans ses chansons :
- “La fiction, c’est comme une compilation des meilleurs buts de Lionel Messi au Barça alors que la vie, c’est l’intégralité de sa première saison au PSG : vraiment très oubliable.”
- “Ça, c’est bien ma vie. Quand je ramène un mec à la maison, c’est pour jouer à Navarro. JE VOULAIS JOUER AU DOCTEUR PAS À LA POLICE.”
- “Une guitare ça devrait être comme une bite, tu la sors que si on te le demande.”
Parfois, ces punchlines nous font rire. Parfois, elles sont dures, mais montrent une certaine violence de la vie : “Ça, me bute que les gens puissent avoir envie de faire des gosses, alors qu’on passe clairement sa vie d’adulte à essayer de se remettre de son enfance.”
… Wesh”
Vous l’aurez compris Bien sûr que les poissons ont froid est à l’image de Fanny Ruwet, drôle et touchant à la fois. Un roman moderne, qui permettra aux plus anciens de comprendre la jeunesse actuelle et aux plus jeunes de connaître la complexité de la vie. Car comme le dit Morgane Cadignan, en podcast : “Qu’est-ce que tu veux à 30 ans ? La question est beaucoup trop globale et la vérité est que l’on en sait rien. Réduis la question : Qu’est-ce que tu veux déjà aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu veux la semaine prochaine ? Parce que la vie est tellement longue, tellement belle mais dure à la fois, que le but est déjà de passer une bonne semaine”.
Bien sûr que les poissons ont froid
Sorti le 30 Mars 2023 aux édition l’Iconoclaste.
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