Route du rock 2023 : vendredi pluvieux, vendredi heureux

FESTIVAL – Soirée hétéroclite de haute volée au fort de Saint-Père pour cette deuxième journée un peu humide.

Si tu t’étonnes que le titre des articles tourne toujours autour de la météo, c’est que tu ne sais pas ce qu’est la Bretagne (et la Route du Rock) au mois d’août. On trouvera un truc pour samedi, promis.

Grand Blanc ouvre la soirée en lieu et place de Billy Nomates, malheureusement annulée. Les débuts sont timides et tout en délicatesse à la harpe. L’ambiance est posée, c’est aérien et éthéré. Camille Delvecchio murmure à son acolyte Benoît David de s’occuper de la prise de parole. Elle ne semble pas encore tout à fait prête à affronter le public de ce qu’elle dira plus tard être un de ses festivals préférés. Pourtant, crescendo, elle va prendre confiance comme le reste du groupe, et s’installer dans un set au cordeau. Entre rêve et souvenir, Grand Blanc enchante ce début de soirée.

Groupes de légende en pagaille

C’est aux antipodes qu’on retrouve le mythique rock de Yo La Tengo. Plus de trente ans que ce trio s’est trouvé et n’a pas bougé. Trente ans de rock indé qu’ils construisent comme ils l’entendent : en autarcie pour ce qui est de leur dernier album This Stupid World sorti cette année, sans fioriture pour ce qui est de leur set. Pas de temps perdu inutilement à discuter. Le sérieux et la concentration sont tout entier dévoués à leur concert. Rien ne dépasse chez ces musiciens qui se connaissent sur le bout des doigts.

Autre grosse machine de rock qu’on ne présente plus : The Black Angels. Déjà vus par ici en 2018, sur la scène des remparts, on s’attendait à reprendre en pleine face une vague de gros son et de couleurs criardes affichées sur écran géant. Il n’en est rien. Cause de concert filmé ou changement de scénographie, peu importe, ce set-là reste une leçon de maître de psyché et n’est pas pour nous déplaire. Même si on regrette un peu que Stephanie Bailey soit désormais à l’arrière scène, on aime voir davantage Alex Maas en action. Un beau et grand moment de musique.

La diversité américaine

Et pour compléter la série des grands noms, viennent Osees. Premier titres, premières bières qui volent. Voilà l’effet du punk rock garage d’un groupe qu’on ne présente plus. Elles sont belles, les deux batteries de front et centrales sur cette grande scène du fort. Et pourtant, les regards sont tournés vers John Dwyer, dont la guitare virevolte autant que lui entre ampli et micro. Si quelques petites insatisfactions techniques semblent le troubler, il reste tout de même pleinement tourné vers son public, qu’il haranguera, fera s’asseoir puis lever au rythme de sa musique. Le record de slams de cette édition, à n’en point douter.

Changement d’ambiance pour le reste de la soirée, avec clipping. et son hip hop acéré. Le rappeur Daveed Diggs et les producteurs William Hutson et Jonathan Styles forment ce groupe de Los Angeles signés chez Subpop. Pendant que les deux autres s’affairent derrière leur table de mix, Daveed Diggs déroule un flow au rythme d’une mitraillette épatant de précision. On ne s’aventurera pas à essayer de qualifier ce type de rap, on préfère laisser ça aux professionnels.

Route du Rock feat. Scotland

Le groupe qu’on attendait parce qu’on ne les avait jamais vus et que, ô grand dieu que ça faisait longtemps qu’on avait envie de les voir : Young Fathers. Alors on pourra dire que ce n’est pas du rock, que ça fait un peu désordre peut-être dans la programmation, que ça ne vaut pas les mythiques groupes précités. Mais ce groupe est grand, ce groupe est immense, ce groupe vaut tous les autres. Et on dit groupe là où il faudrait dire troupe. Les voir évoluer sur scène touche plus à la danse qu’à la musique. Leurs déplacements sont comme chorégraphiés, tant on y retrouve de grâce, de fluidité, de coordination et d’enchaînement. Chaque individualité sort du lot un instant, pour s’y fondre à nouveau l’instant d’après. Tous au service d’un résultat final absolument bluffant.

On pourrait disserter des heures sur Kayus Bankole ou sur LAWholt. On pourrait développer sur l’ingénieux éclairage par le bas, qui rattachent aux racines. Mais on se limitera à dire qu’ils nous ont pris aux tripes, un sentiment tribal, une élévation simultanée, un truc qui te grandit et te rappelle tes origines en même temps. Les avis du public entendu à la fin ? “Oh putain.” “Incroyable.” “Tellement un groupe de scène”. Voilà. On en veut plus.

On finira par un dernier crochet électro avec Deena Abdelwahed. Il fait bon entendre des sonorités orientales dans ce festival, au milieu des constructions électroniques de la productrice/DJ originaire de Tunisie et vivant au Qatar. Il fait bon partir sur ces rythmes-là pour retrouver ses peinâtes avant une dernière journée intense…