dEUS et Stephane Misseghers : “Les muses doivent être là”
INTERVIEW – À l’occasion de leur tournée française, on a discuté changements et temps qui passe avec le batteur de dEUS. Passionnant.
Rappel des faits : dEUS. Débuts en 1991. Huit albums studio à leur actif. Deux compilations. Un film documentaire. Une tournée anniversaire. Une fan base nombreuse et fidèle. Et surtout, pléthore de titres qui évoluent mais ne vieillissent pas. Nous voici en 2023. Ils sortent How To Replace It, huitième album après un hiatus de 11 années. Partent en tournée. Quittent l’Europe de l’Est. Arrivent à Strasbourg pour leur tournée française. L’occasion pour nous d’une interview.
Parce que cet album exigeait une interview. How To Replace It est tout de même l’album du changement et du temps qui passe par excellence. L’album “point d’étape”. L’album qui a un pied dans le passé, sur lequel il jette un regard tout à la fois intransigeant et bienveillant, et un pied dans l’avenir, vers lequel il lorgne plein d’interrogations mais aussi de confiance pour la suite. Alors on a tenté de parler de tout ça avec Stephane Misseghers, batteur du groupe depuis plus de 20 ans. Et par tout ça, on veut dire du temps qui passe et des changements…
How To Replace It, dEUS, 2023
De ceux, d’abord, qui ont traversé ce récent album. Comment fait-on exactement pour continuer à créer du neuf après 30 ans d’existence ? “On est toujours en phase d’apprentissage, pour ne pas nous répéter”. Une phase qui demande du temps loin du groupe, des recherches personnelles, des expériences. Bref, du temps de vie. Et ça, dEUS y tient, eux qui “n’écrivent jamais par obligation”, mais seulement sous “une sorte de pulsion nécessaire”. On le sait, le hiatus de 11 ans est rempli d’histoires de divorces, de ruptures, de Covid, de tensions familiales et autres événements qui ont nourri cet album. La recette d’un grand album ? Non, pas forcément pour Stephane, convaincu que les grands albums peuvent venir aussi bien de l’amour que de la dépression ou des addictions. “Tous les moyens sont bons”.
“Nos autres activités nous donnent l’espace pour trouver la prochaine étape”
Et ce “tous les moyens sont bons ” semble être le mot d’ordre du groupe depuis toujours. “Tous les moyens sont bons” pour faire la meilleure chanson possible. Que ce soit abandonner les longues errances de jams de Following Sea et Keep You Close au profit des idées plus directes naissant dans l’esprit de Tom Barman, ou encore accepter d’attendre le temps qu’il faut, vaquer à toute activité qui donnera la place de trouver la prochaine étape, et le temps aux muses d’arriver. “On est tous musiciens, ce qu’on veut tous, c’est jouer. La cohérence est l’ingrédient principal, mais on ne vend pas des aspirateurs. On travaille avec du matériel émotionnel. Et ça, tu l’abordes comme ça vient.”
À écouter Stephane Misseghers parler, on comprend pourquoi tant de fans sont là depuis si longtemps (nous y compris). Parce qu’il y a une chose qui se dégage de son discours, dont on ne parle jamais, tout en étant d’une évidence pourtant folle : ce respect presque sacré pour la chanson. “L’art de la composition est un art lyrique, il a une structure.” Il cite alors Sting, qui lors d’une interview explique que la structure d’une chanson (ABABCB) raconte une histoire. Trop souvent pour Stephane aujourd’hui, le pont (le C) passe à la trappe pour raccourcir les titres au profit de simples couplets-refrains (AB). “Si tu répètes la même partie trop de fois, la chanson perd tout son sens. Le pont, c’est la pensée secondaire de l’histoire.” Et sans elle, on perd l’essentiel : “l’aspect psychologique de l’écoute d’une chanson”.
“C’est dans les marges que de bonnes choses se produisent”
Malheureusement, cette perte de sens semble globale. On ne peut s’empêcher de revenir 20 ans en arrière, quand Stephane prenait la place de batteur au sein de dEUS et que la France profitait de la florissante scène rock belge. Aujourd’hui, quelle est la place de cette musique, à cette époque où l’efficacité d’un titre prend le dessus sur le sens ? Stephane se veut rassurant. Cette relégation du rock du côté des musiques alternatives n’est pas “nécessairement une mauvaise chose. Parce que c’est dans les marges que de bonnes choses se produisent. Et il y a encore de la place pour la croissance”.
Côté croissance, justement, dEUS se trouve face aux défis de cette époque, comme n’importe quel autre groupe. Entre une fan base fidèle mais vieillissante (“et c’est une belle chose à voir”) et les coûts prohibitifs actuels, le groupe profite de la tournée pour réfléchir à leur futur. Alors qu’ils viennent de jouer dans de petits clubs à Budapest, devant des salles pleines de 400 personnes, ils ne peuvent que reconnaître apprécier revenir à ces ambiances, aux racines mêmes de leur musique. Mais “ce n’est pas la chose la plus lucrative à faire, la clé est d’avoir les deux”, les petites salles et les capitales aux salles immenses. Un équilibre qu’il leur reste à trouver pour eux et leur public, qu’ils aimeraient un peu plus jeune.
Le délicat équilibre à trouver
S’ils sont conscients de l’importance qu’ont pris les réseaux sociaux pour atteindre ce but, ils se disent “plutôt old school” sur ce terrain, ne souhaitant pas être aliénés aux algorithmes et au rythme effréné de publications pour sortir du lot. “Le contenu qu’on crée, c’est le contenu que tu peux écouter. S’il faut être sur les réseaux tout le temps, très peu pour nous. Ce serait comme ressusciter un dinosaure ! Et encore, ressusciter un dinosaure serait bien plus simple !” Évoluer oui, mais se vendre autrement que par la musique, non.
Et c’est bien ça qui fait de dEUS le groupe qu’on connaît aujourd’hui. En refusant de jouer le jeu du star system tout en menant une réflexion acérée sur leur évolution, en restant fidèles à leur valeurs, honnêtes dans leur présentation au monde, et sans concession sur la qualité de leur musique, ils parviennent à être là 30 ans après, et à continuer de proposer des albums originaux passionnés et passionnants, sans lasser. Alors quand on pose la dernière question, la réponse est, après réflexion, bien la seule qu’on aurait pu nous-même donner.
“- How To Replace dEUS ?
– Oh, very good question. There is no answer to this question ! I don’t know !”.
Peut-être tout simplement parce qu’ils sont irremplaçables.
Propos recueillis par Morgane Milesi.