Entre électro et métal, le grand écart du samedi à la Route du Rock
ROUTE DU ROCK – Samedi marque la fin de cette édition hiver. Et il aura balayé tout le spectre rock, de l’électro au métal.
eat-girls viennent de Lyon, ils sont trois et ils sont jeunes. Très jeunes. Impression renforcée par le look baby doll de la chanteuse, cardigan aux épaules et babies rouges vernies aux pieds. Mais parce que la qualité n’attend pas le nombre des années, on entre doucement dans leur univers pas si naïf, qui s’ouvre aux grandeurs à travers une “cold pop lo-fi” hypnotique. C’est sombre, mais parfois joyeux, lancinant mais inspirant au point qu’on finit par être pris et séduits. Une jolie découverte et encore un pari made in Route du Rock.
Quand la Route du Rock devient fashion show
Et des paris, il y en a eu dans la programmation de cette édition. Preuves en sont les discussions surprises à la volée entre certains qui avouent être décontenancés cette année par les choix de groupes peu enthousiasmants pour eux jusque là. Autant dire que je suis loin de partager cet avis quand débarque le groupe suivant, Baby’s Berserk. Sans La Route du Rock, je ne serai probablement jamais tombée sur eux, car ils sont aux antipodes de ce qui m’intéresse d’habitude. Je fais peu de cas du monde de la mode et ne fréquente pas les clubs hype. Peu de chance donc de découvrir un groupe à la croisée des cultures dancefloor et catwalk.
Et pourtant, quelle claque que ce mélange assumé ! Puggy et Lieselot, l’une en mini robe bouffante rose et collants résille, et l’autre en combinaison seconde peau noire vinyle, arrivent telles des icônes mode sorties de magazines. Mano, plutôt style cowboy classieux dandy, les accompagne. Et passée la sideration de ces tenues, on découvre une électro tendance house music, complètement addictive, joyeuse, légère mais terriblement maîtrisée dans un show qui, on l’aurait parié, appartient plus à un défilé londonien qu’à la Nouvelle Vague malouine. Mais non… Ce groupe est un savant mélange d’Amsterdam et de Toronto et prouve que le mélange des styles, quand il est maîtrisé, décomplexé et assumé jusqu’au bout des ongles, est un succès.
Le virage métal de la soirée
Et c’est là que le premier grand écart de la soirée a lieu. Hooveriii (prononcer “Hoover three”), groupe de rock psyché venu de Los Angeles, adoubé par Ty Segall himself, envoie la sauce sans transition. Avec une section rythmique et des claviers au cordeau, et l’énergie incroyable de Bert Hoover le leader du groupe (et point d’origine de ce projet à la base solo), le set s’assure une belle adhésion du public plus rock du festival. Ça s’agite sous les longs cheveux de tous les membres du groupe et Bert finira par un slam dans le public, immortalisé par son batteur à l’appareil photo jetable qui traînait sur scène tout le concert. Les petites touches de stoner que j’entends ne sont pas pour me déplaire et la bonne humeur communicative très L.A. rappellent que les États-Unis sont une terre de rock qu’il est toujours bon d’entendre à Saint-Malo.
Mais attention, la France n’est pas en reste. Et le trio Slift va le montrer. Avec un rock beaucoup plus métal que ses prédécesseurs américains, les Toulousains n’ont plus rien à prouver à l’international. Signés chez Sub Pop pour leur dernier album Ilion, tournant partout dans le monde, ils assurent un set très, très lourd. Une femme du public le résumera bien à voix haute : “c’est bien mais c’est fort !”. Entre l’écran qui fait défiler des formes psychédéliques, et le son effectivement vrombissant et très fort, il ne fallait pas être sensible ce soir. Ça pogote, ça saute, mais ma migraine et moi finiront par tenter d’échapper à la machine sonore, en vain. Slift a tout rasé sur son passage et nombreux sont ceux qui quitteront la salle après ce concert, pensant ne plus rien avoir à attendre après un set d’un tel niveau.
Le final parfait made by Decius
Oui mais, quelle erreur. Parce qu’il reste Decius et que Decius est immanquable. Le projet réunit Liam et Luke May et Quinn Whalley (croisé l’an dernier dans Warmduscher) aux beats, installés derrière leur pupitre en rang, en arrière scène. Ils sont les premiers à arriver et à lancer le set. Pas d’entrée en matière, ça démarre bien, et vite et le corps est d’office embarqué dans un mouvement irrépressible. Mais quand Lias Saoudi rejoint les autres, seul en avant scène et au micro, tous les regards se tournent vers lui. Je ne sais très honnêtement pas à quoi ça tient. Le mec est en jogging, chaussettes, avec une veste en cuir sur son torse nu. Cette dégaine improbable, déjà croisée en concert de la Fat White Family, est tout sauf sexy. Et pourtant… Pourtant, comme à son habitude, Lias Saoudi transpire le sexe. Voilà c’est dit.
Il nous offre un grand show ce soir, pourtant tout en intériorité. Sa voix au micro, plus gémissante que chantée, c’est aigu, c’est lancinant, c’est fascinant. Sa façon de se mouvoir, sur son micro, par terre, sur scène, s’oppose totalement à la musique que nos oreilles reçoivent. Coincés entre l’enclume et le marteau, on se laisse guider par la house impressionnante de texture et d’efficacité, pendant que Lias se déshabille et finit en transe. Alors même si le public ne s’est pas retrouvé à danser frénétiquement comme au Berghain, dans l’idéal du projet de Saoudi lui-même, le résultat fût le même. Une extase consentante interrompue violemment par la fin d’un set qu’on aurait voulu justement sans fin. On nous laisse échoués sur la grève et terriblement frustrés, avec une seule envie : remettre ça. Encore un coup de génie de la Route du rock pour nous faire revenir.