Un vendredi soir à La Route du Rock, édition hiver

ROUTE DU ROCK – Les éditions se suivent et ne se ressemblent pas. Le terrestre post-punk est derrière nous. Place à l’aérien cette année.

Après une soirée complètement rock à Rennes, avec les merveilleuses Lambrini Girls et les toujours impeccables Lysistrata qui auront réussi à faire bouger et participer un public pas franchement échauffé en début de soirée, place à Saint-Malo. Va-t-on monter crescendo ? Au vu de la programmation, on va plutôt bifurquer un peu dans les styles.

Mais pour éviter que le tournant ne soit trop serré, The Big Idea. Six gars qui ont poussé le principe du concept album jusqu’à aller en enregistrer un sur un voilier retapé par leurs soins, en croisière entre la France et la Guadeloupe (The Fabulous Expedition Of Le Grand Vésigues, 2023). Et qui sortent à présent Tales of Crematie, un “conte à l’imaginaire médiéval et fantastique”. Alors non, on ne les voit pas débarquer en hérauts sur leurs chevaux. Mais leur scène ressemble un peu à un champ de bataille. C’est un sextet, ça prend de la place, surtout avec des claviers, des bongos, une trompette et tous les autres instruments qu’on attend d’un groupe de rock. Ceux qui se sont formés en 2015 après avoir assisté à un concert d’Anton Newcombe ont en commun avec lui une farouche envie de faire ce qu’ils veulent. Les titres oscillent entre “chansons rock” et “chansons d’amour”, comme ils les appellent (et ça nous va bien), avec bien plus de nuances pourtant. Mais le résultat est là : une joie communicative et une légèreté apparente bienvenue qui donne fort envie d’aller visiter La Rochelle. Ça commence bien.

La pop et l’antipop

Difficile ensuite de décrire un set de Bruit Noir. Difficile de décrire un album de Bruit Noir, aussi. Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pires ont à faire ce soir à un public qui ne semble pas bien les connaître. Et qui se trouvera donc décontenancé par la première impression : un mépris tout parisien pour les gens qui aiment la pop, un sens de la critique acerbe pour le public trop calme… Il aura fallu quelques titres pour que tout le monde se déride et finisse par apprécier le second degré et la démarche du duo. Une démarche somme toute assez radicale, qu’on reprendra de Gonzaï qui qualifie leur dernier album de “disque le plus anticommercial de 2023”. Voilà. Une démarche anticommerciale. On pourrait dire une peinture acerbe mais plutôt très réaliste du pire de notre monde, mais on va rester à anticommercial. Parce que les gens n’aiment en général pas trop qu’on les mette face à leur médiocrité en chanson.

Changement d’ambiance avec les Anglais de BDRMM (prononcer “bedroom”). Sans savoir trop à quoi s’attendre (on lit beaucoup le mot “shoegaze” les concernant), on se laisse naïvement cueillir. Il n’y a pas d’autres mots et peu de description à en faire autre que les influences citées (DIIV, Thom Yorke…) et l’étiquette “dreampop” qu’on leur a collé. Sur scène, tout cela semble bien limitant. Le quatuor réussit à faire vibrer et à faire dresser les poils en quelques montées en puissance bien senties. On ne sait pas trop quoi dire sinon qu’on a adoré . Alors oui, il y a plein de pédales chez ces garçons mais si toi aussi t’es incapable de vraiment saisir la portée de tout ça, il suffit d’aller les voir en concert.

Classieux Gaz Coombes

Il est minuit quand débarque sur scène celui qu’on pourrait appeler la tête d’affiche du soir. L’ancien leader de Supergrass et de The Hotrats vient avec son dernier album Turn The Car Around dans ses bagages. Sorti l’an passé, pierre blanche marquant les 10 ans de la carrière solo de Gaz Coombes, cet album a fait l’unanimité pour sa beauté. Sur scène, c’est définitivement sa voix qui agit comme une madeleine de Proust. Ce rappel à la mémoire de la britpop sans pourtant en faire… Ce sens de la mélodie joué avec une classe incroyable, entouré de ses musiciens… Étrangement Gaz Coombes fait remonter des souvenirs de scène de Tom Mcrae. L’anglais et l’américain partagent le même talent pour la chanson qui fonctionne en acoustique comme arrangée richement. Et le même travail d’orfèvre dans la délivrance de leur musique. C’est d’ailleurs sans surprise que la fin de set voit Gaz s’activer comme un chef d’orchestre face à ses musiciens. La prochaine étape de son œuvre ?

Le duo frenchie Walter Astral a la dure tâche de clôturer la soirée. Qui plus est après une installation qui a duré beaucoup trop longtemps vu l’heure avancée de la soirée (nuit) et les problèmes techniques. Spécialistes des EP, les “apprentis druides” sont désormais loin du statut d’apprentis. Tristan Thomas et Tino Gelli pourrait inventer un genre à eux tous seuls, le hippie techno. Malgré les nombreux départs avant leur set, ceux qui sont restés n’auront pas été déçus de finir sur une ambiance club planante qui enfin aura fait danser tout le monde. Une belle fin de soirée made in Route du Rock.