All Of Us Strangers, le film de la Saint-Valentin qui n’en est pas un

CINEMA – All Of Us Strangers (Sans jamais nous connaître en VF) est sorti le 14 février et était très attendu, notamment pour Andrew Scott et Paul Mescal. Attention, spoilers.

J’ai attendu trois semaines pour aller voir ce film d’Andrew Haigh. Je ne voulais pas me précipiter dans une salle trop pleine, qui plus est dès la sortie un 14 février. J’attendais, naïvement, d’avoir un horaire tardif, dans une petite salle, après un certain temps d’exploitation, pour apprécier tranquillement ce que j’espérais être mon nouveau film fétiche et pleurer en toute quiétude.

Parce que, oui, je m’attendais à pleurer. C’est que la bande-annonce le promettait. On ne peut pas mettre une telle version de « Always On My Mind » des Pet Shop Boys en bande-son et croire que le film sera joyeux. On ne peut pas explicitement faire comprendre qu’une tragédie familiale se cache dans ce film et croire qu’on en sortira gai et léger. Et puis on ne peut pas non plus mettre Andrew Scott en tête d’affiche et espérer ne pas avoir le cœur brisé (jurisprudence Fleabag).

Andrew Scott, un acteur magistral

Mais pour être honnête, je m’attendais à pleurer et à sortir le sourire aux lèvres. Le cœur brisé peut-être, mais le sourire aux lèvres pour compenser. Parce que les critiques de films, et les posts nombreux sur mon feed instagram laissaient entendre un grand film d’amour. Une romance magnifique, avec le personnage de Paul Mescal. Et ça, on voulait bien y croire (jurisprudence Normal People). Sachez-le, bandes-annonces et critiques ciné sont vos pires ennemis.

Alors, ok, j’ai pleuré. Là-dessus, il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise. Et cela a tenu à ma sensibilité à fleur de peau peut-être, mais surtout à la performance magistrale d’Andrew Scott dans le rôle d’Adam, scénariste quarantenaire, enfant orphelin de ses deux parents à 12 ans, homosexuel ayant traversé l’épidémie VIH, homme solitaire et isolé dans une tour de verre londonienne. Ce qu’il se passe sur le visage de cet homme-là a de quoi vous faire monter les larmes aux yeux sans crier gare. À quoi cela tient, je ne sais pas. Une ombre dans le regard. Un mouvement furtif dans le sourire. Un froncement de sourcils. Un port de tête, subtil, qui change toute son expression. Une posture qui toute entière est tendue, impliquée, soumise à l’émotion qu’elle conduit. Une intensité qui vous sert la poitrine en quelques gestes difficiles à traduire.

De l’amour à la mort

Aussi difficile à traduire que ce qu’il se passe finalement à l’écran. Adam rencontre Harry (Paul Mescal), dans leur immeuble désert. Puis Adam retourne à la rencontre de ses parents morts (Claire Foy et Jamie Bell), et vit avec eux quelques instants volés. Et ce sont ces moments-là, d’abord, qui me font dire que ce film n’est pas un film sur l’amour. Ce film est un film sur la mort. Le deuil. L’identité. La construction. Il est là, le point central du film. Dans les discussions en tête-à-tête qu’Adam a avec sa mère, pour lui avouer son homosexualité. Avec son père, pour résoudre leur distance regrettée. Et ses moments-là, qui se jouent en couleurs chaudes du passé, tranchent avec les moments de solitude en couleurs froides et métalliques de la tour de verre.

Entre les deux, une inquiétude. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Comme une impression de dystopie d’abord dans le décor. Mais aussi dans l’histoire, et dans le film. La bande-son inquiétante (et incroyablement réussie) le fait sentir rapidement, mais ce sont surtout ces flashs d’un Adam qui crie face à son reflet, d’un sursaut nocturne, qui me gênent. Ils sont sûrement là pour me gêner mais je les balaye rapidement, sous l’effet des relations des personnages qui sont autrement plus intéressantes et me font différer la compréhension de ces épisodes pas très compréhensibles.

La trahison de la réalisation

Mais vient la fin. Cette fin à la fois difficile et évidente. Cette fin où l’on découvre qu’Harry est mort depuis le début. Cette fin qui laisse penser qu’Adam l’est peut-être lui aussi, qui sait, ou que tout n’est que pur produit de son imagination. Cette fin qui glisse vers les crédits d’une manière qui tranche complètement avec la photographie parfaite du film jusqu’alors et qui tire presqu’au niaiseux. Ces étoiles qui me poussent à comprendre que tout n’est là que pour me montrer que l’amour transcende le reste, le temps, la mort, tout. Moué.

Je sors de la salle un peu perdue et en remontant sur mon vélo, je commence à la sentir monter. La colère. Cette impression de m’être fait dupée, piégée dans une histoire que je n’avais pas envie de voir. Une déception immense et cette impression de m’être retrouvée devant un vague croisement du Sixième Sens et de la fin de Lost. Adam méritait mieux que cela. Et après presque deux heures à naviguer avec lui dans un tourbillon d’émotions, nous aussi, on méritait mieux que cela.