Nick Cave, la leçon de piano à Baden-Baden
LIVE REPORT – On est allé voir un génie de la musique. Une légende. Une immense parmi les immenses. Nick Cave, sans les Bad Seeds.
Par je ne sais quel coup de chance, on est accrédité dans un temple de la musique, le Festspielhaus de Baden-Baden, pour voir Nick Cave sur la première des deux dates prévues ici. Le must de l’acoustique, endroit classe et solennel s’il en est. Les pantalons de costume et robes chics côtoient les t-shirts rock, pendant qu’on se faufile vers l’espace prévu pour les photographes. On est deux, cantonnés loin de la scène, et pour seulement une chanson. Ensuite, direction le vestiaire pour abandonner notre appareil avant d’aller à notre place sous escorte. L’Allemagne est décidément fidèle à elle-même. Organisée, carrée, mais qui sait soigner ses invités comme personne. Parce que notre place au premier balcon est parfaite pour profiter de Nick Cave et de son piano.
L’artiste et son piano
Et oui, ce soir est une date du solo tour de Nick Cave. Pas tout à fait solo néanmoins, puisque Nick est accompagné de Colin Greenwood à la basse. Mais c’est tout. Une basse, un piano pour naviguer dans le répertoire immense de l’artiste. Plus de 2h30 de musique, entrecoupées de discussion. Je déteste lorsque les artistes parlent trop entre les chansons. Mais pas Nick Cave. Parce qu’il n’est pas là pour meubler. Il est là pour nous éclairer un peu sur son art, sur comment il se construit, comment il le vit, ce qui l’inspire, ce qu’il traduit. Difficile d’organiser tout ce qui s’est dit.

Sa manière d’écrire, “without purpose”, juste en s’asseyant et en regroupant les idées qui lui viennent en espérant en dégager une chanson… Son ressenti face à des chansons dont il n’est pas toujours fier (il était “problématique” quand il était jeune, dira-t-il sur “Watching Alice”), ou d’autres qui deviennent moins lourdes avec le temps… De petits instants de vie, lorsqu’il compose une chanson pour sa femme endormie. Ou une ritournelle aux paroles sombres très efficace pour bercer un bébé (“Papa Won’t Leave You, Henry”)… Il ira même jusqu’à nous parler de ses influences, avec la reprise de “Cosmic Dancer” de T-Rex, mais surtout avec “Avalanche” du grand Leonard Cohen, dont la première phrase aura visiblement été déterminante dans sa décision de devenir songwriter. On est touché, à la fois par cela et par l’évidence que Nick Cave est lui-même devenu une influence déterminante pour nombre de grands artistes actuels.
Nick Cave au sommet
Mais on rira beaucoup aussi, notamment sur “Balcony Man”, où les spectateurs des balcons étaient invités à se manifester à chaque mention du “balcony” dans la chanson. On pleurera aussi devant tant de beauté. Parce qu’au fil de la setlist, c’est la musique qui emporte tout. Ce piano. Cette voix. Sa profondeur dans cet écrin qu’est le Festspielhaus prend aux trippes. Sa douceur aussi. À peine accompagnée d’une chorale formée par un public parfaitement respectueux, “Push The Sky Away” est un moment de grâce pure. Sans compter cette fin faite pour nous hanter, sur “I Need You” et son “just breathe” répété jusqu’à ce qu’il flotte, ténu, dans l’air. Et Colin Greenwood, à la basse, peut-être le plus grand fan de Nick Cave dans la salle tant il l’applaudissait lui-même à chaque titre, est à saluer. Il fut un incroyable orfèvre pour parfaire un tableau déjà exceptionnel.

Écouter tout cela en voyant les mains de Nick Cave virevolter sur le clavier, en le voyant jeter au sol dans un geste théâtral les partitions les unes après les autres, c’est comme revenir à l’essence même de ces œuvres d’art. Un spot, un piano, une voix, un tapis, et quelques cœurs prêts à s’unir pour d’une seule voix entonner “Into My Arms”… Un moment suspendu qu’on n’est pas prêt d’oublier. “Some people say that it’s just rock and roll, ah, but it gets you right down to your soul”. Dans la plus grande simplicité, Nick Cave ne cesse encore et toujours de le prouver.
