Juniore : “L’expression ‘Désespérément optimiste’ nous correspond bien”
INTERVIEW – À l’occasion de la sortie de son premier album, “Ouh Là Là”, on a rencontré Anna Jean, la voix et le visage de Juniore. On a parlé girl power, Jacqueline Taieb et ironie.
Les filles de Juniore, ça fait un moment qu’on les suit. Impressionnantes dans leurs tenues noires, et mystérieuses par leur musique emprunt d’années 1960 et de gravité masquée, elles ont écumé les salles parisiennes intriguant et captivant. Formé par Anna Jean au chant, guitare, texte et composition et Samy Osta à l’arrangement et production, le groupe évolue au fil des ans. Au moment on l’on rencontre Anna Jean, elle s’entoure sur scène de Agnès Imbault aux claviers, Swanny Elzingre à la batterie, et d’un être sans visage et sans nom à la basse.
Juniore, un groupe de filles badass qui ne comptent pas pour des prunes.
Rocknfool : Juniore vient de sortir son premier album. Qu’est-ce que tu ressens maintenant que c’est fait ?
Anna Jean : Il y a un côté baby-blues parce que pendant un moment tu travailles, tu réfléchis, il y a toujours des urgences, etc., et tout à coup c’est fait, c’est fini. Il y a eu un moment d’euphorie, on a fêté ça et le lendemain on était toutes tristes.
Tu as déjà envie de passer à autre chose ?
Quand on s’est appelées, le lendemain de la soirée de fête, on s’est dit qu’il fallait refaire un truc, réécrire, réenregistrer maintenant. Les concerts remplissent l’espace et c’est bien parce que la musique continue à évoluer. Mais oui on est déjà en train de réfléchir à ce qu’on va faire ensuite.
Quand on parle de Juniore, on parle toujours de Samy Osta. Vous avez toujours été sur la même longueur d’onde ?
On s’est rencontrés très jeunes, on était au lycée. On a toujours été très complices, et on prend très souvent les décisions à deux. Parfois c’est compliqué, par exemple si l’un d’entre nous est vraiment sûr qu’il faut dire non et que l’autre est vraiment sûr qu’il faut dire oui, ça crée des conflits. Heureusement, sinon ce n’est pas marrant. Mais on arrive toujours à s’accorder.
C’est quoi le slogan de Juniore ?
Sur notre Facebook, la toute première chose qu’on a écrite c’était “désespérément optimiste”, l’expression nous correspond bien.
La musique est très ancrées dans les années 1960, le style yéyé, etc. Qu’est-ce qu’il y avait à l’époque qui te manque aujourd’hui ?
Des mobylettes. C’est tellement merveilleux les mobylettes, c’est la liberté totale, en plus quand ça se casse tu mets une chaussette dedans c’est réparé.
Les juke-box aussi. Pour ne pas être obligé de subir la musique du mec derrière le bar.
Et inversement, qu’est-ce qu’il n’y avait pas à l’époque et que tu es bien contente d’avoir aujourd’hui ?
Internet, c’est la réponse facile mais c’est vrai.
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Dans ce premier album Ouh là là l’ambiance d’angoisse et de mort est plus évidente et explicite que dans les précédents EP et singles. Pourquoi cette affirmation ?
Il y a toujours eu ça mais peut-être de façon plus subtile. Peut-être qu’au début on le faisait de façon plus subtile parce que c’était les débuts et qu’on était moins sûrs de nous. Plus tu fais des trucs et plus t’es sûr.
Je crois aussi que c’est une question d’époque. Ces dernières années il y a eu pas mal d’événements… et forcément ça te traverse et ça ressort un peu malgré toi.
La tenue sage avec col Claudine blanc et vêtements sombres c’était pour contraster ?
Ça c’était complètement volontaire. Pendant un an on a suivi une classe de lycéens pour leur donner des cours de chant. À la fin de cette année on a fait un petit concert. Une petite jeune fille qui était arrivée d’Iran en début d’année et qui parlait peu français est venue nous voir et nous a dit “l’ironie du petit col blanc, j’adore”. J’ai trouvé ça tellement bon, elle avait tout compris.
Et ce personnage costumé et effrayant sur scène, d’où vient-il ?
Au tout début on voulait ajouter une basse sur scène. On s’est dit que ce serait sympa que Samy puisse la faire de temps en temps, mais qu’il ne soit pas obligé d’être là tout le temps. Je lui ai dit “j’ai la solution, tu vas te mettre en petit fantôme”. J’ai acheté un drap blanc, on a fait des trous au niveau des yeux et ça ne marchait absolument pas. C’était juste avant de faire la toute première première partie de La Femme. On était dans les loges. Du coup on a fait un gros trou, on a découpé un collant qu’on lui a mis sur la tête avec du scotch, et c’était pas mal. Ça ressemblait un peu aussi au personnage dans Le Voyage de Chihiro qu’on aimait bien parce qu’il avait un côté un peu double : mignon et effrayant.
En 2013 tu as dit vouloir faire de Juniore “une formule fluctuante”. C’est toujours le cas ?
J’avais même suggéré au début de me remplacer moi aussi, mais on m’a dit que les gens ne comprendraient pas, que ça ne fonctionnerait pas. Et en effet les gens auraient du mal à s’attacher. C’était compliqué au début parce qu’on était 7 sur scène, puis 6, puis re-7, ça a pas mal bougé et c’était compliqué pour les concerts. Ça coûte pas mal d’argent de faire bouger autant de monde, donc très vite on est devenue 3, c’est plus facile pour les salles de nous faire venir. J’aimerais bien, pour le concert à la Maroquinerie en juin, faire revenir toutes les filles qui ont participé. Il y en a peut-être qui ne voudront pas, et d’autres qui vivent trop loin qui ne pourront pas, mais j’aimerais bien ça.
Le fait qu’il n’y ait que des filles sur scène, est-ce que c’est un engagement féministe ?
Oui complètement. J’ai toujours eu envie de me dire qu’il n’y a pas forcément besoin de se battre, que notre époque est mieux que celle d’avant. J’ai monté ce projet avec des copines et quand elles sont parties et qu’il a fallu les remplacer j’ai vraiment galéré à trouver des musiciennes. On me disait “mais prends Jean-Pierre il est vachement mieux”. En effet, il y avait beaucoup plus de Jean-Pierre, c’était plus simple. Mais j’ai trouvé ça tellement nul que j’ai insisté. Je pense que c’est en partie lié à la maternité. Une partie des femmes arrête parce qu’elles ont des enfants, et je trouve ça vraiment dommage. Il y a plein d’hommes qui ont des enfants et qui continuent. Je trouve ça hyper grave que les femmes soient ou se sentent obligées d’arrêter.
Et est-ce que le fait de chanter en français, c’est aussi un forme d’engagement ?
Oui et non. Je suis moins attachée à ma françaiserie qu’à ma condition de sexe féminin. C’était plus un défi personnel, c’était un peu me mettre en danger. Il y a quelque chose de plus exposé à chanter en français. Je devais trouver une façon de raconter les histoires sans me mettre mal à l’aise, et sans faire un truc trop littéral.
Le titre “En retard” détonne au milieu du reste de l’album, c’est un hommage à “7h du matin” de Jacqueline Taieb ? Comment est né ce titre ?
Complètement, j’adore ce morceau. J’avais fait ma petite maquette mais il n’y avait pas de voix. J’aime bien généralement faire les deux en même temps, avoir une idée précise, même si au début, les textes sont du yaourt. Là je savais juste que je voulais un texte parlé et que ce soit un hommage à Jacqueline Taieb. Joséphine de La Baume a un groupe, Singtank, avec son frère et ils ont un studio juste à côté du studio de Samy. Je la croisais souvent, elle a un côté très impressionnant. C’est une de mes personnes préférées de l’univers. C’est un garçon de 12 ans dans sa tête, elle est hyper drôle. Je lui ai proposé de chanter ce titre, j’avais peur qu’elle dise non mais finalement cette caricature de l’actrice toujours en retard l’a beaucoup fait rire. D’ailleurs les rires dans l’enregistrement sont des vrais rires !
Qu’est-ce qui fait une bonne salle et un bon public ?
Le groupe ! Je mets du temps à apprivoiser la scène. C’est un moment très particulier et très différent ce que qui se passe avant : le travail d’écriture et d’enregistrement, c’est assez solitaire. J’ai compris des trucs progressivement. Notamment que plus tu donnes plus tu reçois. Et aussi qu’il ne faut pas être troublé quand tu vois dans le public des gens qui baillent, s’ennuient, boivent leur bière en papotant alors que toi, t’es en train de livrer ton âme sur scène.
Et un bon titre ?
C’est assez mystérieux. Parfois j’ai l’impression d’avoir un goût très prononcé pour des notes ou des types d’accords. Et il y a des moments très étonnants comme, il n’y a pas longtemps j’ai parlé 5 secondes sur Foule Sentimentale (France Inter) et il y avait Jil Kaplan. D’habitude je n’aime pas trop le jazz d’aujourd’hui. Mais elle a chanté “Est-ce que tu m’aimes” et depuis, cette chanson me reste dans la tête. Une bonne chanson je crois que c’est une chanson qui t’agace parce qu’elle ne s’en va pas.
Alors ce qu’on entend à la radio et qui nous pollue la tête aussi c’est de la bonne chanson ?
Oui, je crois, même ça (elle rit). Je ne suis pas sûre, mais c’est possible. J’ai peur de ne pas être d’accord avec moi-même.
Tu es plutôt le temps de l’amour, le temps des copains, ou de l’aventure ?
Le temps de l’amour ! Elle est tellement jolie cette chanson.
Propos recueillis par Jeanne Cochin.
Merci à Florian Berger et Delphine Caurette.
► Ouh Là là, sorti le 3 mars 2017 (Sony Music). Juniore sera le 21 mars à La Boule Noire et le 13 juin à La Maroquinerie.
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