I May Destroy You : la série percutante et dérangeante de Michaela Coel
SÉRIE – Figurant dans les tops des séries de plusieurs grands médias cette année, on a profité d’une traversée de l’Atlantique pour regarder “I May Destroy You” de Michaela Coel.
Dans l’avion, comme beaucoup, pour oublier que je suis à 48000 pieds au-dessus de la surface de la Terre, je tente de me blinder le crâne de films en tous genres. Mais vu que 2020 étant ce qu’elle est niveau cinéma, j’ai décide de me rattraper niveau série. L’affiche de I May Destroy You m’a tout de suite parlée. Inutile de préciser que je me suis enchaîné les 12 épisodes de la saison d’une traite, entre micro-sieste, wrap au poulet, turbulence et mini-bretzels.
La question du consentement
Le court laïus de présentation parlait d’une série contemporaine abordant la question du consentement sexuel. Diffusée sur HBO aux États-Unis et la BBC au Royaume-Uni, cette série créée et co-réalisée par Michaela Coel, la met en scène. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, la série est fortement inspirée de la vie de cette actrice anglaise d’origine ghanéenne. Jeune écrivaine millenial, Arabella (Bella pour ses ami.e.s), peine à trouver l’inspiration pour son deuxième roman après avoir été repérée sur Twitter grâce à ses prises de paroles féministes et engagées. Le syndrome de la page blanche et la pression d’un contrat éditorial lui pèse désormais lourd sur les épaules.
Parallèlement, la jeune femme, en colocation paisible, vit sa vie londonienne à fond, entre soirées alcoolisées et drogues, accompagnée par ses amis Terry (Weruche Opia), qui tente de décrocher son premier rôle d’actrice et Kwame (Paapa Essiedu), professeur de gym tonique et addict à Grindr. Précisons qu’il ne s’agit pas d’une série à la Euphoria, leur consommation bien qu’importante reste récréative.
Un viol ordinaire ?
Loin d’être une comédie, I May Destroy You débute avec une soirée arrosée, passée prioritaire sur son rendu de roman prévu le lendemain. Le matin, Arabella a un trou de mémoire, accompagné d’une blessure à la tête. Des brides de souvenirs lui reviennent aléatoirement mais une chose est sûre : elle a été droguée et violée par un homme inconnu.
Sans vous dévoiler l’intrigue, ni vous spoiler, la série va suivre la vie pré et post-viol d’Arabella. Comment s’en rendre compte (oui, retirer le préservatif sans prévenir son compagnon ou sa compagne est un viol). Avoir le courage d’aller porter plainte. Les bonnes et mauvaises expériences une fois au poste. Le suivi thérapeutique. Les groupes de parole. Réussir à mettre les mots sur ce qu’il nous est arrivé. En parler à sa famille, le soutien des proches. Revoir son agresseur. Se venger ? Se reconstruire.
Tout ça en poursuivant sa vie. Un quotidien marqué par les injustices, une célébrité en tant qu’écrivaine pas toujours pailletée, une enfance marquée par un père peu concerné, des problèmes financiers, des peines d’amour, des remises en question identitaires… Une violence et des micro-agressions dans toutes leurs formes. Et attention, Arabella n’est pas parfaite. Personne ne l’est. À plusieurs reprises, on pourra être exaspéré pas son comportement et des décisions précipitées parfois égoïstes.
Les tumultes de l’amitié
Bien que personnage principale de sa série, Michaela Coel fait vivre l’entourage d’Arabella. Les bonnes et moins bonnes aventures Grindr de Kwame et ses quêtes identitaire et sexuelle en tant qu’homme noir homosexuel. Le racisme ordinaire dont est victime Terry en temps qu’actrice, et son affirmation à côté de sa virulente, belle et explosive meilleure amie. Les retrouvailles avec Theodora, une ancienne camarade de classe instable. Mais surtout, les hauts et les bas de leur amitié. Se confronter, se remettre en question et se réconcilier pour mieux apprendre de soi et de l’autre.
I May Destroy You est une série puissante bien que profondément dérangeante. Un dérangeant utile, un dérangeant auquel on n’est heureusement pas encore immunisé. Malgré quelques longueurs dans certains dialogues à partir de la moitié de la saison, la série est portée d’un bout à l’autre par le remarquable jeu d’acteur de Michaela Coel. Chaque fin d’épisode arrive comme une respiration qu’il nous faut prendre avant d’enchaîner dans le binge-watching.
Rien n’est évident dans cette courte série, qui aborde le quotidien ultra réaliste d’une jeune femme qui rassemble tous les codes de notre époque, d’un point de vue objectif et percutant. On ne voit aucune scène clichée, aucun raccourci dans les dialogues. Tout est amené avec brio (beau jeu de regards), les personnages sont travaillés. Les thèmes abordés sont matière à réflexion et à de nombreux débats sur nos sociétés occidentales “développées”, mais encore tellement arriérées en matière d’égalité.
Une série d’utilité publique.
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