Three Girls : la bouleversante mini-série BBC sur le scandale sexuel de Rochdale

SÉRIE – Très documentée, la mini-série “Three Girls” s’inspire de l’affaire des viols collectifs de Rochdale où des mineures se sont fait exploiter sexuellement par un réseau d’hommes d’origine pakistanaise.

C’est à la suite d’un épisode d’Affaires sensibles sur France Inter que j’ai eu envie de me lancer dans la mini-série Three Girls. Réalisée par la BBC et diffusée sur Arte en 2018, cette série de 3 épisodes, d’une heure chacun, s’inspire de l’affaire des viols collectifs de Rochdale, en grande banlieue de Manchester, début 2010.

Je n’étais nullement au courant de cette affaire sordide d’exploitation de jeunes filles mineures par des proxénètes britanniques d’origine pakistanaise, qui a fait grand (GRAND) scandale au Royaume-Uni. De plus, ces événements sordides sont actuels, puisqu’à peine 10 ans sont passés. En me plongeant dans les articles écrits sur le sujet, l’affaire de Rochdale est encore bien inscrite dans la conscience collective britannique, puisqu’on peut lire dans des articles récents, que les auteurs des viols, condamnés à des peines de prison de 5 à 19 ans, sont désormais sortis et de retour à Rochdale. Dans la ville de leurs victimes, libres. Mais ça, c’est encore un autre débat…

Trois épisodes suffisent à nous plonger au sein de la communauté multiculturelle de Rochdale, au nord-est de Manchester (Greater Manchester). Cette ancienne ville industrielle, grand pôle textile et ouvrier au XIXe siècle, est loin d’être une banlieue aisée, comme un grand nombre de villes de ce coin de l’Angleterre, où le chômage et la misère sociale prédominent.

Des prédateurs sexuels bien organisés

La série suit la descente aux enfers d’Holly, Ruby et sa sœur Amber, âgées de 13 à 15 ans. Des jeunes filles aux situations familiales difficiles : des parents largués voire inexistants, laissant leurs progénitures errer après l’école. Holly, nouvellement installée dans son quartier est en conflit avec son papa control freak. Elle rencontre Amber et Ruby et devient rapidement leur amie. Amber et Ruby l’emmènent traîner, fumer, manger et boire gratuitement dans un fast-food (kébab) en ville, tenu et fréquenté pas les hommes qui vont les violer et les utiliser comme prostituées.

Les Anglais ont inventé un mot pour parler de cette position de pouvoir et de contrôle de certains adultes sur des enfants : grooming. Le fait de choyer des jeunes sous couvert de leur faire du chantage et profiter d’eux en usant de l’autorité, de manipulation et de menaces.

Les filles, terrorisées, sont alors entraînées dans la spirale de la prostitution par le biais de ce réseau bien établi et écœurant. Inutile de préciser que Rochdale n’est qu’une des villes anglaises où le grooming s’est développé. Il ne s’agit d’ailleurs pas des premiers cas recensés par la police anglaise sur le même schéma de réseaux pédophiles sud-asiatiques. Les premières plaintes auraient débuté mi-2000 dans la région. Et pourtant, ça n’a pas empêché un grand nombre d’agresseurs (des pères de famille pour la plupart) de poursuivre leur entreprise sans être inquiétés.

On y suit aussi l’aberrant chemin de croix de Sara, travailleuse au centre de santé de la ville de Rochdale, ayant tiré très vite le signal d’alarme à la police municipale concernant ces jeunes filles en grande détresse mentale et physique, qui venaient notamment prendre des pilules du lendemain plusieurs fois par semaine. C’est d’ailleurs son travail de consignation des noms, adresses et plaques d’immatriculation qui permettra à la police du Grand Manchester de reprendre l’enquête plusieurs années après le non-lieu de la première plainte d’Holly.

Une justice défaillante et méprisante

Sans surprise, le système judiciaire est sévèrement pointé du doigt dans cette affaire et dans la série qui s’est directement servi de retranscriptions des enregistrements des filles. Moralement, difficile de ne pas être outré par le comportement des policiers qu’Holly a rencontrés pour son premier témoignage. Sans tomber dans le cliché du méchant flic qui ne va pas donner suite à ses accusations, on apprend que par manque de crédibilité du/des témoin.s (des jeunes filles dévergondées), et face au caractère racial de sa plainte (envers des hommes issus de la communauté pakistanaise), la police a décidé de ne pas porter cette affaire en Cour.

La série est puissante par le réalisme de cette affaire digne d’un roman noir scandinave. Simple dans la mise en scène mais d’une teneur émotionnelle lourde et parfois trop bouleversante à regarder sans faire de pause. Que ce soit la détresse des parents (aimants) mais complètement dépassés à qui on apprend que leurs filles sont victimes de proxénétisme, la descente aux enfers de la courageuse Holly qui n’a de cesse d’aller porter plainte et de témoigner, en vain, le poids des institutions sur le travail des enquêteur.trice.s qui tentent de réparer les torts de leurs collègues… il est compliqué de ne pas ressentir de la détresse humaine de toute part.

Le dernier épisode de la série, consacré au procès est d’une brutalité absolue. Bien que l’on sache d’avance que les neuf accusés seront tous reconnus coupables, la violence du système judiciaire sur ces jeunes filles est brutal et inadapté. Si l’on sait que cela va “bien” se terminer, ce procès nous laisse un goût amer en bouche. Dans le fond, tous les protagonistes de l’affaire savent que le procès sert la cause d’une jurisprudence d’enquêteur.trice.s se remobilisant sur une affaire enterrée par d’autres. On se soucie peu de l’effet boomerang des souvenirs traumatisants des victimes.

Three Girls est selon moi, une série d’intérêt publique. Comme l’était Unbelievable. Ces séries dramatiques inspirées de faits réels, qui mettent en lumière la banalisation de la violence des hommes sur les femmes dans nos sociétés occidentales modernes pourtant si arriérées. La violence (physique, mentale, raciale) est suggérée dans certaines scènes, mais elle est surtout verbale et d’autant plus répugnante.

Une série sobre mais bouleversante

Comment ne pas se sentir révolté.e par l’inefficacité et l’abandon des institutions censées protéger les plus faibles ? Comment ne pas comprendre la croissance des partis nationalistes en Europe ? Comment ne pas remettre en question les préjugés que nous avons sur ces mères-enfants, cliché britannique par excellence ? La série va explorer intelligemment les points de vue, sans porter de jugement sur les fautes des uns et des autres (exception faite des proxénètes et violeurs bien entendu). Les acteur.trice.s qui pouvaient manquer de relief dans les premières minutes de la série, vont tous s’étoffer et retrouver leur humanité grâce à des scènes sans chichis fort touchantes. Aucun personnage n’est parfait, dans cette série chacun.e a ses torts, son passé, ses vices, ses émotions et ses raisons.

Three Girls est une belle leçon de courage, de ténacité et un exemple parmi des millions d’autres des dysfonctionnements des sociétés patriarcales qui commencent tout juste à être bousculées.

Three Girls, disponible en rediffusion sur Arte boutique.

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