Étienne Coppée, carburer aux peines d’amour

PORTRAIT – À l’occasion des demi-finales des Francouvertes, on a rencontré Étienne Coppée pour une longue entrevue.

Il y a quelque chose de tellement doux et apaisant dans le tempérament d’Étienne Coppée. Un sourire sincère lorsque je le retrouve à proximité du parc à chiens du parc Père-Marquette. Cette décontraction lorsqu’il me propose de faire l’entrevue là, assis dans l’herbe, où il finira par s’allonger à quelques pas de son vélo.

Ce n’est pas la canicule, mais après deux journées de pluie intensive, les quelques rayons de soleil qui traversent les nuages lourds et menaçants font du bien au moral. On entend le chant des oiseaux, un groupe d’amis qui jouent à l’ultimate, et les chiens qui se défoulent juste à deux pas.

L’ère du néo-tout

Après la pluie, le beau temps. Cette phrase décrit, pour moi, la musique d’Étienne (en plus d’être une évidence météorologique et le contexte de l’entrevue). Un folk francophone mélancolique et harmonique, avec cette pincée d’espoir qui pointe le bout de son nez, musicalement ou textuellement. C’est chaleureux et touchant à la fois, intime et fédérateur aussi.

Qui de mieux que l’artiste pour en parler ? Entre doux et grandiose par moment. Grandiose pour la grandeur, plus que pour la qualité. Le côté doux du folk, et émotionnel de la soul. J’essaie de faire de la musique du cœur pour le cœur, et de ne pas trop me limiter dans les styles musicaux. Naturellement, je vais vers beaucoup d’harmonies vocales et énormément d’instruments acoustiques. Je reviens vers les années 1970 sans trop aller dans le hippie, plus vers quelque chose de très organique et rassembleur. Ce qui revient le plus, c’est la douceur et l’aspect très très personnel. Ça donne l’impression de me connaître d’une certaine façon.

C’était une longue réponse, conclut-il. C’est dur de décrire de la musique avec peu de mots. Quand tu me laisses 10 minutes c’est plus facile ! J’acquiesce, les étiquettes musicales sont finalement assez réductrices et peu parlantes. J’essaie de me tenir loin des styles musicaux car on est rendu à une période où cette question est devenue floue. Tout le monde fait de tout et tout le monde s’inspire de tout. On devient du néo-tout. Il rigole.

Le switch de la vingtaine

Étienne et moi, on est bavard. Pour être tout à fait honnête avec vous, en dérushant notre discussion, j’avais sept feuillets… Discuter avec un artiste dont j’apprécie énormément la musique et, surtout, avec un humain sensible et intéressant, ça fait une longue entrevue. Soyez averti·e·s.

Il n’a pas commencé à faire de la musique à l’âge de Mozart. Mais il y a baigné dans son enfance, avec des parents musiciens amateurs et des harmonies pour finir les “bonnes fêtes”. Si ce n’était pas clair pour lui, ça l’était pour ses ami·e·s qui veulent entendre ses compositions. Début vingtaine, il écrit ses premières chansons, avec paroles, précise ce pianiste qui aime aussi écrire de la musique instrumentale. Il enregistre le tout sur garage band, sans connaître l’effet reverb, avec un micro un peu de merde, et se rend compte qu’il aime composer, il y trouve un exutoire. Plus ça avançait, plus je me lançais dans la musique pour vrai. Donc, non, ce n’était pas clair que j’allais faire de la musique. Ça a été un switch de me lancer.

Il entre à l’École nationale de la chanson à Granby à 22 ans et se retrouve entouré de plus jeunes et de plus vieux que lui. Il me parle de Daniel Bélanger, qui a sorti son premier album à 30 ans. À 26 ans, Étienne Coppée ne se sent pas ultra-jeune mais assez naïf pour se lancer là-dedans et quand même assez mature pour bien le faire et bien [s]’entourer.

C’est à Granby qu’il choisit son nom de scène. Au début, je voulais un peu la jouer Daft Punk. Mais je fais de la musique tellement personnelle que finalement ça fitait de mettre mon vrai nom. Choisir le nom de famille de ma mère, c’était la mini-distance qui me permettait de donner l’impression que c’était quand même séparé de ma vie privée.

S’entourer de lumière

Sa vie privée, il l’écrit et la chante. Pour le moment, ses chansons parlent de lui et de ses proches. Il met en musique sa vision de la vie en espérant que quelqu’un puisse se retrouver dedans. C’est très autobiographique, c’est principalement autour des émotions que je vis quand je suis triste, seul, émotionnel, ou ce que je vois des autres. Étienne s’avoue nostalgique, avec une forte tendance à la tristesse lumineuse. C’est qu’il voit les moments tristes comme des moments très positifs. Lorsque c’est le plus difficile, tu te remets en question. C’est là que tu vas beaucoup grandir. Je trouve qu’il y a toujours quelque chose de lumineux et de la beauté dans un moment difficile.

Si je m’inquiète souvent pour les artistes qui chantent de belles chansons tristes, il me rassure vite. Autour de moi, j’ai la chance d’avoir énormément d’amour et de soutien. Moi, Étienne, je peux être souvent triste mais je suis tellement entouré de lumière que ça compense. Juste des trucs tristes pour être triste, ça me parle moins. Et puis il corrige. Pas triste. Mélancolique plutôt. Et puis tout dépend de la place de la chanson parmi les autres. C’est le rapport entre ces diverses émotions-là dans différentes chansons qui font en sorte que ce n’est pas plat.

Par exemple, sa chanson “Demain il fera beau” a été écrite en pensant à quelqu’un. Un titre qu’il ne trouve pas triste, crée avec Cédrik St-Onge, aussi derrière le mixage de son premier EP pro, L’été indien de ta vie. Il en a mis en ligne d’autres, des EP, mais celui-là, écrit et enregistré juste avant la pandémie, il le considère comme son premier. C’est sa première sortie sur Spotify et ce sont pour lui des chansons beaucoup plus travaillées, sans pour autant renier ce qu’il a sorti les années précédentes. L’avant pour moi, ce sont des archives.

Vivre et revivre l’amour et ses peines

Cet EP de quatre chansons est coréalisé avec quatre collaborateurs·trices, et pas des moindres : Salomé Leclerc, Simon Kearney, Cédrik St-Onge et Navet Confi. Malgré la crainte d’une compilation de chansons pas supposées être ensemble, le résultat est excellent. Tout se fait dans le mixage de son ami Cédrik. Il a beaucoup de mérite. Il y a quand même des points communs dans ces différents univers. On sent que ces quatre-là viennent de la même famille et que ce ne sont pas des cousins éloignés.

Le principal point commun ? La peine d’amour, ou l’après-peine d’amour. Sa musique en est née. Au début, c’était beaucoup ça. Plus ça va, plus j’ai envie d’écrire d’autres chansons, confie-t-il. Mais l’inspiration ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas moi qui décide. J’ai besoin de vivre des trucs, que les planètes soient alignées, je vais m’asseoir et alors quelque chose va sortir de mon subconscient. S’il assume être un Montréalais, fier de l’être, avec tous ses anglicismes, créer lui vient en français. L’anglais, ça ne fonctionne pas. Il y a tellement de beaux mots et de belles images en français…

Qui plus est, parler d’amour en français est une source inépuisable de chansons magnifiques. Une des choses qui me fascinent le plus, c’est les relations humaines : familiales, amicales, amoureuses. Ça englobe beaucoup de possibilités. Et le côté amoureux est le plus intéressant des trois. Je me souhaite de revivre l’amour et de revivre d’autres peines d’amour.

Il ne se souhaite pas le chagrin et les mois difficiles qui suivent la rupture, mais seulement ces moments où il réussit à se retrouver avec lui-même et qui le définissent. Car, pour Étienne, si tu vis une peine d’amour c’est que tu as vécu l’amour, et ça, en soi, c’est positif. Quand on est amoureux de quelqu’un, on est un peu fou mais d’une belle façon. La peine d’amour c’est pour moi la punition obligée après avoir goûté à quelque chose d’aussi grand.

Les Francouvertes et la mémoire musculaire

Quand je parle avec Étienne Coppée de peine d’amour pendant de longues minutes, que je lui dis que je ne souhaitais pas en revivre mais que je finis par tomber d’accord avec lui, le côté fédérateur et bienveillant de sa musique prend tout son sens. Son côté grand gourou aussi, découvert pour la première fois en live lors de son passage aux Francouvertes. Il tient néanmoins à mettre les points sur les i. Je pense que ma barbe, la fleur sur l’oreille, le fait que je répète beaucoup les mêmes phrases ou mots comme Hallelujah, que tout soit basé autour de l’amour n’aident pas du tout. Et je dis que ça n’aide pas mais ce n’est pas négatif. Je suis tellement peu religieux que je ne m’attendais pas à être comparé à un gourou de secte. Ce n’était pas ça l’idée de la mise en scène.

Son aisance scénique et ses regards caméra, coquins selon moi, assumés selon lui (il en rit), étaient sa façon d’impliquer le public à la maison. Ce spectacle-là, qui lui a valu la première place des préliminaires, il l’a énormément préparé. Musicalement et scéniquement. Ce qui a donné un feeling d’ultra-confiance alors qu’il avait l’impression que sa jambe shakait sur scène. On n’a rien vu de ça. On avait toutes et tous le show gravé dans notre corps, j’étais tellement prêt que j’ai pu faire confiance à la mémoire musculaire de mon corps. Ça, on veut bien le croire.

C’est par ailleurs le premier concert avec son groupe. Sa sélection aux Francouvertes, en plus d’être bénéfique pour rencontrer d’autres artistes, se faire de l’expérience et se faire voir de l’industrie musicale québécoise, lui a permis de se fixer un ultimatum. Je repoussais depuis un certain temps le moment de jouer avec un band. Ça me stressait un peu de trouver les bonnes personnes. Il semblerait que ça ne soit plus un problème. Avec Simon Kearney, Bruno St-Laurent, Julien Comptour, Flavie Melançon et Sabrina Fournier, il est entouré de petits génies et de beaux humains. Une belle cohésion et un évident plaisir à jour ensemble.

J’aurais pu ne pas passer en demi-finale. Il y a plein de choses que j’ai pu avancer juste en étant sélectionné aux Francouvertes. En revanche, ce qui est dommage avec la covid, c’est qu’on rencontre moins les autres artistes. Mais, si on chiale sur tout ce qui est plate de la covid, on n’en finit pas. Et ce samedi midi, en rentrant chez moi avec “Demain il fera beau” dans la tête, je me dis que je suis finalement bien chanceuse d’avoir attrapé un coup de soleil sur le nez après avoir passé une heure avec ce bel artiste et être humain.

“Demain il fera beau, le soleil sur ta peau. L’amour te retrouvera, le printemps dans la voix. Demain ça ira mieux…”

Étienne Coppée sera en concert virtuel le 27 avril lors des demi-finales des Francouvertes, aux côtés de Douance et Tremble.

Photos : Emma Shindo