On a écouté : Warpaint, de Warpaint
Un premier EP splendide, produit par John Frusciante, un premier album à part, captivant. Comment donner une suite à cela ? Les cinq californiennes de Warpaint sont de retour sur le devant de la scène et présentent aujourd’hui leur second album, tout simplement nommé Warpaint.
On avait pu découvrir, il y a quelques semaines, un “Love Is To Die” en demie teinte, puis un “Biggy” plus rassurant.
C’est qu’on ne sait pas très bien à quoi s’attendre avec ce groupe. On a peur qu’elles tombent dans la facilité, en fait. Parce que l’on peut rapidement tourner en rond dans ce genre de musique. Cependant, ces demoiselles ont en elles un sens inné de la mélodie, et quoi qu’elles fassent, il fera surface. Et, inévitablement, il a fait surface sur Warpaint.
Sur cet album, les Californiennes ont poussé le vice plus loin encore que sur le précédent. Les envolées mélodiques se font hypnotiques, les étoiles se font sauvages, terriblement sauvages. Le niveau de sensualité a grimpé de quelques points. Une sensualité venimeuse, sombre, moite. La faute à une basse se faisant encore plus imposante qu’à l’accoutumée, camouflée ça et là sous des effets gothiques. La faute à une batterie qui frôle le tribal, en restant toujours aussi précise, voire tranchante. La faute aux arrangements, presque minimalistes.
La flamboyance du précédent opus écartée, on parvient désormais à déceler une réelle identité sonore, très ancrée dans des racines Coldwave, Shoegaze, Post Punk (Siouxie n’est pas très loin, encore une fois), mais palpable. Elles explorent en profondeur ce qui a forgé leur son, et nous en distillent sur cet album le nectar.
Une chanson se démarque dès la première écoute : “Disco // Very“, reflet parfait de l’album. Rugueuse, lancinante, lascive, lourde. Puis une deuxième, une troisième, et c’est au final tout l’album qui se révèle être digne d’intérêt. Warpaint se considère véritablement dans son intégralité, sa cohérence est frappante. Tout est différent, mais tout s’enchaîne sans même y penser, rien ne peut être extrait. Les chansons ne se picorent pas individuellement, sans perdre leur saveur. J’ai évoqué un peu plus haut “Love Is To Die“, qui, en single, est presque fade. Suivie de «Hi» et “Biggie“, elle devient aussi puissante qu’elles.
Impossible donc de décortiquer cet album sans le faire titre par titre, dans l’ordre d’écoute.
“Intro»” et “Keep It Healthy“, c’est un peu le calme avant la tempête. Du beau Warpaint, qui aurait également pu introduire “Burgundy” sur le premier EP. La basse gothique, presque fantomatique, envoute dès les premières secondes. On sent que ces deux premières chansons ont été construites lors d’improvisations live, elles transpirent la scène. Puis vient le premier single de l’album, “Love Is To Die“, qui prend des couleurs et se révèle doucement à chaque écoute. On nous emmène ensuite dans le trip hop avec “Hi“, dont Tricky n’aurait pas renié l’instru. Cette inspiration Hip Hop évoquée en interview se fait très clairement sentir. Le tempo ralentit à peine pour laisser place au magnétisme de “Biggy“, mais surtout à sa ligne de basse. Et quelle ligne de basse. Puis, pour la première fois sur cet album, la guitare acoustique remplace l’électrique. Moment de douceur donc que ce “Teese“, un peu Radiohead sur le refrain (Nigel Godrich est à la production), un peu Frusciante dans la construction. Doux, agréable, dans la lignée d’un “Baby” de The Fool. Changement total d’ambiance avec “Disco // Very“. On est transporté au beau milieu d’une cave miteuse et sombre, les néons rouges marchent par intermittence. On ne sait pas trop ce qu’on fait là, mais on veut y rester. De toute façon, vu l’état dans lequel on est, on est obligés de rester. “Go In“, c’est un peu la fin de soirée qui précède la gueule de bois. Tout est sourd, étourdi, on entend des voix qui chantent quelques trucs, mais on est tellement ailleurs qu’on y prête difficilement attention. On reprend peu à peu ses esprits avec “Feeling Alright“. Le titre le plus «Warpaint» de l’album. Les toms basse renforcent le rythme, contrebalancés par la finesse des guitares, étincelantes, dans un format presque pop laissant une place proéminente à la section rythmique. Dans le même tempo, “CC” et son ‘Gimme more I’ve been had this before’ sonne comme une alerte, à l’instar de la basse presque en boucle. Puis, arrive “Drive“. La chanson insignifiante au départ, dont on se dit «c’est sympa, mais il manque quelque chose». Couplet à la “Tick Of The Clock“ de The Chromatics, la mélodie monte, timidement. Et la chanson bascule à sa moitié. Absolument enivrante. Sûrement la meilleure chanson de l’album. Et elles auraient dû s’arrêter là, et nous dispenser du dispensable “Son“. Finir un album avec un morceau au piano, c’est cliché, c’est pathos, c’est … plein d’ennui. C’est une belle chanson, certes, mais elle aurait pu faire partie des bonus.
Cet album est un véritable ascenseur émotionnel. Chacun en aura sa propre perception, pourra s’écrire sa propre histoire, tant chaque chanson colle à une couleur, une ambiance. Mais pour cela, il faudra prendre le temps de l’écouter plusieurs fois, et dans son intégralité, pour arriver à être totalement possédé par ces compositions, brutes mais toutes en nuances, subtiles. Un doux poison à déguster sans aucune modération.
Le Top 3 : «Drive»// «Keep It Healthy» // «Biggy»
À écouter ICI.