On a lu : “Carnets de thèse” (éd. du Seuil)

Quand j’ai lu Carnets de thèse de Tiphaine Rivière, j’ai immédiatement pensé à Oriane, actuellement thésarde en théâtre (sans financement, bien entendu). Parce qu’Oriane est à 99.9% dans la même situation que Jeanne, l’héroïne de ce roman graphique publié au Seuil (une première pour les sciences humaines !). Alors logiquement, je lui ai demandé de nous parler objectivement de ce premier roman graphique de Rivière, qui comme bien des auteurs de bande-dessinée actuels a réussi à se faire remarquer grâce à son blog.

carnets de thèse

Objectif Thèse !

En novembre 2013 j’ai démarré une thèse. Sans financement, vivant grâce aux autres, déterminée à aboutir cette recherche coûte que coûte. La Jeanne Dargan de Tiphaine Rivière c’est un peu (beaucoup) moi et tous les autres doctorants à la fois. Jeanne est une jeune professeur de collège, complètement euphorique d’avoir été acceptée en thèse et d’entrer dans la jungle universitaire. Comme beaucoup, Jeanne déchantera très vite. Comme peu d’entre eux, Jeanne s’accrochera jusqu’à la soutenance.

Dans ce roman graphique hilarant, parfois proche de l’humour noir, on trouve un véritable condensé de la vie de doctorant : les troubles internes, le surplace de la réflexion, les angoisses, la mesquinerie de l’université… C’est à celui qui aura l’étiquette la plus grosse lors du prochain colloque.

L’angoisse du réussir-à-tout-prix et la place obsessionnel que finit par prendre le sujet de thèse dans la vie du doctorant sont des réalités : ne dit-on pas que, si tu ne vois pas ton sujet partout, c’est que tu ne l’as pas encore trouvé ?

Mais c’est aussi la précarité dans laquelle sont plongés les étudiants en thèse qui est très bien décrite. Carnets de thèse appuie là où ça fait mal et dénonce un État français qui, du jour au lendemain, abandonne financièrement ses jeunes chercheurs. Ses élèves les plus brillants, soutenus pendant des années, se retrouvent subitement lâchés après leur Bac+5 : encore étudiants sans bénéficier des avantages (adieu bourses sur critères sociaux, Crous…), mais pas encore salariés (bonjour heures de cours en faculté à des élèves de Licence, payées avec un lance-pierre à la fin du semestre…), les élèves de thèse sont condamnés à ramer. Ils entrent subitement dans un combat infernal, se battant pour défendre la culture et la recherche française, mais sans soutien des tutelles ni promesse d’emploi à la clef. C’est à bout de souffle, nourris de patates et vivants chez leurs parents, que les doctorants tentent de faire avancer la recherche et d’apporter leur pierre à l’édifice intellectuel français. Un combat pour la gloire pourrait-on dire.

Le graphisme sobre et efficace rend bien compte de la situation : les entrailles de la BnF, la vieille secrétaire qui pose ses seins trop gros sur le bureau (oui, partout où il y a un thésard, la secrétaire Brigitte est là !), les cernes, le café, la dégaine du parfait doctorant (plutôt proche de l’ermite des montagnes que de Beyoncé) sont loin d’être des clichés. Néanmoins, je souhaite à toutes les thésardes (moi compris) de ne pas passer, comme Jeanne, ses journées à déprimer seins nus dans son appartement. Y’a des limites !

Carnets de thèse de Tiphaine Rivière, Éditions du Seuil, 2015

Par Oriane Maubert

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