Pierre Lapointe : “Le mythe de l’artiste torturé me fait chier”

INTERVIEW – Dans une grande pièce de l’Hôtel de ville de Paris, pendant le Festival Fnac Live, on rencontre le non moins grand Pierre Lapointe, l’homme qui se surnomme lui-même le chanteur le plus dépressif du Québec. On a voulu vérifier en le soumettant à un interrogatoire…

Rocknfool – Vrai ou faux : Les chants les plus désespérés sont les plus beaux.
Pierre Lapointe – Faux. Je pense que tout peut être beau du moment que c’est bien fait. Je n’aime pas l’idée de s’enfermer dans une mélancolie ambiante. C’est pour ça que cela m’a pris autant de temps de faire ce disque et d’assumer toute cette mélancolie sans mettre de conneries dedans. Je n’aime pas les trucs monochromes.

Vrai ou faux : On écrit mieux quand on est triste ?
Les chansons les plus tristes que j’ai écrites, ont été écrites quand je ne l’étais plus. Je pensais qu’en étant triste je ferais de bonnes chansons, mais en fait c’était mauvais et pathétique. C’est une fois que la douleur et la tristesse sont digérées qu’on parvient à mettre les bons mots. Pour moi, c’est un peu un mythe. Et puis ce mythe de l’artiste torturé, ça me fait chier, je trouve ça compliqué pour rien. Je suis un bon exemple, je suis un type lucide, dans la vie de tous les jours je suis bon vivant, je vois des amis, je prends du plaisir et je considère que j’ai une belle vie mais ça ne m’empêche pas d’avoir des moments sombres.

Vrai ou faux : Pierre Lapointe est un mec déprimé.
Faux. C’est pour ça que je peux faire ces blagues-là. Je me suis surnommé moi-même le chanteur dépressif québécois parce que je trouve drôle de me surnommer ainsi. C’est vrai que naturellement, je peux avoir des côtés mélancolies…. En ce moment, j’écoute beaucoup Julien Clerc, notamment une chanson qui s’appelle “J’ai trente ans”, j’aime bien écouter Léo Ferré, j’ai écouté tellement de chose, quand on fait ce métier-là, c’est parce qu’on est passionné de musique, Daniel Bellanger… Christine & The Queens que j’ai découvert l’année dernière, Feu Chatterton, j’adore la voix du chanteur. Il y a une période où je n’écoutais pas du tout de musique..

Vrai ou faux : c’est facile d’écrire des chansons.
Faux. Il y a une période où je n’ai pas écrit pendant deux ans… Mais je crée ailleurs et j’essaie de me garder dans une dynamique artistique. Je suis ouvert à tout. Je n’essaie pas de partir dans des idées, je préfère avoir un quotidien éclaté. J’accepte aussi le fait que parfois je n’ai rien à dire… et ça peut durer longtemps. En ce moment je n’écris pas de chansons mais je suis en train d’écrire une émission pour la télé québécoise. Je ne crée pas de chansons, mais je crée autre chose.

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Il ne faut pas se stresser quand ça ne vient pas. Il faut laisser venir, il faut que ça monte. Là, je sens que ça monte et que j’ai des choses à dire. Mais les chansons ne sont pas encore là, je sais que je vais devoir m’asseoir à une table mais si ça ne vient pas, ce n’est pas grave. Pour moi, écrire des chansons, c’est une expression de la vie, il faut rester en phase avec ça. C’est comme quand tu essaies de trouver l’amour à tout prix, tu ne tombes que sur les pires cons ! Parce qu’on force les choses. En musique c’est pareil. Quand ça ne vient pas, il ne faut pas se forcer.

Vrai ou faux : les actrices font de mauvaises chanteuses
C’est rare de tomber sur des actrices qui chantent vraiment bien. C’est très rare. D’ailleurs dans les plus grandes comédies musicales, ce ne sont pas les actrices qui chantent, elles sont doublées. Mais il y a de grandes chanteuses qui sont devenues de grandes actrices. Mais il y a quelque chose de drôles. J’écoute beaucoup Isabelle Adjani, elle a une voix très moyenne, mais elle donne un certain charme à ses chansons. Ce qui nous attire, c’est leur aura, Et les actrices ont une très grande aura. Et puis, il y a quelque chose d’intéressant dans ces voix qui ne sont pas forcément puissantes et forcément justes. C’est facile de rire de ça, parce que ce sont des cibles faciles mais en vrai, je rêverais d’écrire pour une grande actrice. Si on me propose ça, je dis oui tout de suite. Après, c’est rare aussi des acteurs qui sont bons chanteurs. Ce sont des métiers. On apprend, on peaufine notre art, mais ce n’est pas interdit de jouer dans la cour des autres. Les mariages sont toujours intéressants. Donc toutes les actrices chantent mal, c’est faux…mais un peu vrai ! (rires)

Pierre Lapointe
Pierre Lapointe (c) Emma Shindo

Vrai ou faux : Pierre Lapointe ferait un très bon acteur.
Si je me retrouve dans une situation dans laquelle je suis vraiment bien dirigé, au cinéma, dans un cadre très contrôlé et si je suis la bonne personne pour ce rôle : oui. Maintenant, être bon acteur, c’est plein de chose que je ne maîtrise pas. Mais si je me retrouve sur les planches à jouer quelque chose avec de la musique, peut-être. C’est pas oui, c’est pas non. C’est peut-être. Mais je n’ai jamais essayé, alors je ne peux pas dire oui.

Vrai ou faux : écrire en français est plus difficile.
C’est totalement faux. Écrire n’importe quoi dans n’importe quelle langue c’est toujours facile (rires). Moi j’ai une vision très puriste de l’écriture et je l’assume et j’admire le fait qu’il y ait des gens qui écrivent de façon plus légère. Et puis, il y a des gens qui pensent qu’ils écrivent de grandes choses et ce n’est pas le cas. C’est peut-être mon cas ! (rires). Je pense juste que si l’on a une bonne oreille musicale, on peut écrire de belles choses, on peut faire ce qu’on veut avec cette langue-là, faut juste avoir une bonne sensibilité et l’envie d’aller vers cette langue. Et surtout, il faut se donner la liberté de faire ce qu’on veut avec la langue française, en étant rigoureux. C’est triste ces artistes qui partent avec une idée préconçue au lieu de changer les règles. Moi je suis dans la démarche de “ça ne se fait pas, je le fais, et puis si c’est compliqué, on va se débrouiller et on va trouver le bon chemin pour que ça marche avec ma personnalité”. C’est très personnel et c’est parce que j’ai envie de bousculer les choses de façon très gentille et très douce.

Vrai ou faux : les Canadiens sont plus décomplexés par rapport à la langue française.
Je ne sais pas, je pense juste que chez nous on a un poids historique moins grand. Jusqu’aux années 1960 la chanson n’existait pas vraiment. L’Amérique a donc cette liberté que le Vieux Continent n’a pas par rapport au français. Mais il y a des groupes français qui sont décomplexés, je pense aux Rita Mitsouko, à Christine & The Queens en ce moment, Feu Chatterton!. Au niveau de l’écriture, c’est hyper structuré, très bien fait, c’est très contemporain dans la manière de décrire une situation, c’est magnifique. Je pense à BabX, à Albin de la Simone… il y a beaucoup de chanteurs qui écrivent extrêmement bien et qui jouent très bien avec le poids de l’histoire.

Vrai ou faux : on peut électriser un festival en piano-voix.
Oui, si on est très connu ! Si on n’est pas très connu, il y a plein de points d’interrogation dans les yeux mais c’est pas mal. Tu me fais faire un show en piano-voix au Québec, les gens vont chanter du début à la fin, applaudir, s’abreuver au moment. En Europe, c’est vrai pour 10% des personnes qui sont dans l’audience ! (rires)

Vrai ou faux : les Français sont coincés.
C’est culturel hein mais je pense que oui. Ça dépend du contexte, mais oui par rapport à la sexualité… Il y a un moule social plus fermé ici, vous avez coupé la tête de vos rois mais il y a encore une hiérarchie très établie qu’on n’a jamais eue chez nous. Quand je regarde l’histoire des Amériques, les gens qui sont venus au Québec, c’était un peu pour faire un doigt d’honneur à la royauté. C’étaient des explorateurs, des gens assez libres et c’est resté. Ça se sent encore aujourd’hui.

Propos recueillis par Sabine Bouchoul