The Delta Saints : “On est tous arrivés à Nashville avec le même rêve en tête : réussir”

Rencontre avec 2/5 des Delta Saints, ces sympathiques bluesmen tout droit venus de Nashville pour une étape parisienne.

Je leur ai tout avoué en début d’interview : j’ai découvert les Delta Saints sur le tard. Pourtant leur blues-rock est absolument addictif. Faute à moitié avouée, à moitié pardonnée ? J’ai pu discuter avec David Sapiro (basse, à g.) et Nate Kremer (clavier à dr.) dans leur loge haut-perchée du Réservoir où le groupe se produisait fin juin. Les Américains étaient de passage, express, à Paris pour la sortie de Bones leur deuxième album. J’ai rencontré deux mecs absolument adorables, d’une sincérité bluffante, ravis de s’arrêter à Paris, malgré la chaleur étouffante de la capitale. On a beaucoup ri.

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The Delta Saints

Rocknfool : Je me demandais comment se fait-il que n’importe qui puisse trouver dans Bones, au moins une chanson qu’il apprécie tout particulièrement ? Est-ce lié à cette variété d’atmosphères et de sons que vous avez exploré dans ce nouvel album ?
Nate : Je crois que ça vient du fait que chaque membre du groupe vient d’un milieu musical tellement différent, que lorsqu’on se retrouve pour jouer, toutes ces influences sont mixées toutes ensemble, comme une grande pizza. Et tout le monde aime la pizza !
David : Cool cette référence mec ! (rires)
Nate : Peu importe le sujet, la métaphore de la pizza fonctionne toujours !

Vous n’aviez pas de pianiste dans le groupe. Comment cela a-t-il modifié votre travail sur cet album, notamment dans l’écriture de vos chansons ?
Nate : Vraiment drastiquement ! Quand l’un de nous peut jouer des accords, et des suites de notes, cela change tout car tu peux avoir ces panoramas, ou devrais-je dire ces paysages sonores. Avec un clavier tu peux donner vie à tellement de choses, ça permet simplement de développer le son. C’est un gros changement.

Ça change vraiment tout au niveau de l’atmosphère et du spectre sonore, comment travailles-tu en sachant cela, tu as une idée et hop tu l’essayes comme ça ?
Nate : Oui (sourire). En gros ce qui a changé c’est d’avoir un membre du groupe, moi, qui contrairement aux autres membres debout et en mouvement, est assis tout du long. Du coup j’essaye de jouer debout le plus possible pour ne pas perdre l’énergie du groupe… Peut-être que tu peux en parler plus David ?
David : En ce qui concerne l’écriture, avec Nate, les claviers sont à mon avis le meilleur instrument pour composer, tu peux ressentir tout ce qu’il va se passer…. Il y a tellement d’options possibles… Avant on écrivait nos chansons avec l’harmonica, sauf que cet instrument là t’impose mécaniquement un son blues. Les claviers permettent de composer n’importe où, n’importe quand, n’importe quelle ligne musicale, et ne pas être réduit à un riff blues à l’harmonica.

J’ai beaucoup aimé voir la relation spéciale nouée entre la basse et la batterie qui entrent en interaction constamment, par exemple dans “Heavy Hammer” ou “Bones”, c’est toujours très rythmique, comme si elles étaient toutes les deux en symbiose.
David : C’est un super mot la symbiose ! Comme beaucoup de batteurs et de bassistes, j’ai toujours approché la relation batterie-basse comme un tout : on est avant tout une équipe. Si tu nous vois en concert, je vais être constamment en train de jeter des coups d’œil à la batterie et à se dire “ok, on est bons”. C’est vraiment sympa, et c’est une relation spéciale, car en étant bassiste ou batteur, tu n’es pas sur le devant de la scène à faire des solos, tu restes derrière à te concentrer sur le rythme et la pulsation, en étant le mécanisme secret qui soutient et porte le reste.

En effet j’ai pu voir ça sur certaines vidéos, où on vous voit vous jeter des regards complices…
David : (rires)
Nate : On aime bien ça flirter sur scène (sourire).

Vous êtes partis en studio avec Eddie Spear qui a surtout travaillé avec des gros groupes de rock [Jack White, Arctic Monkeys, Neil Young… ndlr]. Comment ça s’est passé ? Avez-vous pu lui suggérer quelques idées malgré tout ?
Nate : Eddie est un super musicien, il est jeune et il a un tas d’idées géniales. Il est très doué pour extirper nos points forts et il est très honnête : il n’hésite pas à nous dire “c’est nul”, ou “ça c’est bien”, ou “faîtes ça, c’est pas mal”, ou “surtout ne faîtes pas ça”. C’est dans ces moments là où tu as besoin de lui, car souvent tu perds un peu de perspectives et de recul quand tu es enfermé dans un studio sous terre, sans fenêtre : tu commences à perdre un peu les pédales. C’est donc agréable d’avoir un mec comme Ed, un pro, pour te guider à travers cette épreuve, pour te dire de lui faire confiance en tant que capitaine du navire car c’est lui qui tient la barre… Bon, même si je ne crois pas qu’il ait dit ça exactement (rires).
David : Il faut vraiment quelqu’un dont la personnalité correspond à celle du groupe, car nous sommes des artistes et nous mettons tout notre cœur à l’ouvrage. N’importe quelle personne ne peut pas te dire en face, sans te vexer, que ce que tu fais est nul, et que tu dois faire les choses autrement. Et Ed sait faire ça comme personne, il catalyse toutes nos idées, en restant très créatif.

Vous comptez retravailler avec lui par la suite ?
David : On travaille avec lui en ce moment !

J’ai lu que pour vous, la route et la tournée n’étaient pas des sources majeures d’inspiration. Qu’est-ce qui vous inspire pour écrire du coup ?
Nate : Nous-même on se le demande (rires). C’est drôle, car quand des idées nous viennent à l’esprit, elles sortent souvent de nulle part… L’un de nous va arriver avec un riff en tête, un bout de paroles, une mélodie, il la propose aux autres qui suggèrent alors d’autres éléments pour l’étoffer… Pour ce qui est de nos sources d’inspiration c’est un peu difficile de saisir leurs origines car l’on vient tous les cinq de différents horizons, avec différents expériences… C’est difficile de répondre à cette question… J’aime les pizzas cela-dit (sourire).
David : Revenons aux pizzas ! (rires)

Vous avez souvent raconté l’histoire de votre chanson “Butte La Rose”, mais en ce qui me concerne, j’adore “Dust”, la lente progression en intensité, sans jamais atteindre l’explosion, la basse bien lourde, les solos de guitare… Je me demandais si vous pouviez me raconter l’histoire de cette chanson.
David : Malheureusement Ben [le chanteur ndlr] serait celui qui pourrait t’en parler le mieux, notamment pour les paroles car c’est lui l’auteur. Il me semble qu’il s’est inspiré de son grand-père dans le désert du Midwest. Tu peux l’entendre dans la chanson, qui sonne comme une tempête de sable qui te fonce droit dessus. Je crois que cette chanson est née d’un riff de guitare… ou d’une ligne de batterie ! C’est tellement différent d’une chanson à l’autre… c’est marrant de voir la progression de chacune, avec toutes les étapes depuis le début, voir combien elles ont été transformées… Ça part de rien, puis c’est retravaillé pendant des heures, on y ajoute des éléments que l’on enlève après, c’est poli, puis très brut à nouveau…

En fait quand j’ai écouté cette chanson je me suis dit qu’elle collerait tellement à des séries comme Sons of Anarchy ou Peaky Blinders par exemple !
David : Oui tellement !
Nate : Tu devrais leur écrire un courrier pour leur dire ! (rires)
David : C’est certain que c’est une chanson très cinématographique, elle te transporte quelque part.

Vous passez une grande partie de l’année en tournée. Est-ce que ce n’est pas trop dur de revenir en Europe et de se retrouver devant un public plus habitué à entendre de l’électro que du blues ?
Nate : C’est excitant en fait ! Car les gens qui viennent nous voir sont des passionnés et nous écoutent avec attention, c’est pour cette raison qu’on aime autant revenir ici. C’est marrant car vu qu’on est Américains et que l’on est énormément entourés par le blues et le rock, on commence à apprécier l’électro et la pop (David rit).
David : Pas l’électro de club… (il imite de la techno)
Nate : Oui, pas ça ! Mais genre l’un de mes groupes préférés est Phoenix… ou Air aussi !

Il y a ici en France, et en Europe, un mythe autour des groupes qui viennent de Nashville. Est-ce qu’on vous en a déjà parlé de l’aura qui entoure cette ville, que l’on voit comme le paradis de la musique sur Terre ?
David : Oh oui ! La plupart d’entre nous sont arrivés à Nashville avec le même rêve en tête : réussir. Mais il y a des milliers de personnes avec leurs guitares et des chapeaux de cow-boys… c’est une ville très stigmatisée et c’est plutôt drôle, mais parallèlement ça te forge et te motive pour tenter de devenir un professionnel de la musique.

On doit ressentir une certaine pression là-bas…
David : Il y en a oui.
Nate : Beaucoup de compétition aussi.
David : L’enjeu est élevé, surtout quand tu joues là-bas, parce que tout le monde dans la salle est musicien, et la plupart d’entre eux sont super bons, meilleurs que nous le sommes ! C’est super flippant car tu ne veux pas rater une note…

Vous avez sans doute déjà répondu à cette question, mais ça m’intrigue vraiment : comment cette ville influence votre musique jusqu’à présent ?
David : Pour moi, je pense que Nashville m’a fait m’intéresser à tout ce qui n’est pas de la musique pure et dure : par exemple comment survivre dans un groupe, comment se comporter sur scène, être professionnel… et tous ces autres éléments auxquels on ne pense pas forcément quand on écoute un album. À Nashville tu es entouré par des personnes qui savent faire tout ça très très bien, donc c’est plutôt inspirant de les observer et de s’en inspirer pour progresser.

On aime bien finir nos interviews avec des questions moins sérieuses… Est-ce que vous avez un petit plat préféré en tournée ?
Nate : Aah ! Les pizzas ! (rires)
David : Tous les chemins mènent aux pizzas !
Nate : Sinon on aime beaucoup la nourriture thaï, les bons curry… Enfin la nourriture en général, surtout en Europe, est de si bonne qualité…
David : C’est tellement meilleur que chez nous… Dès qu’on arrive en loge on a ce qu’on appelle une “snack attaque” avec le pain, les fruits, le fromage… on devient un peu fous et on mange, on mange, on mange.

Vous avez eu l’occasion de voyager un peu partout à travers le globe, quelle est votre bière préférée pour le moment ?
Nate : C’est facile ! La Westvleteren 12 de Belgique !
David : Je crois de toute façon notre top 5 en bières est entièrement belge.
Nate : C’est dur de battre la Belgique…
David : Ils sont vraiment bons…

Quelle est la chose la plus drôle qu’une personne du public a crié alors que vous étiez sur scène ?
Les deux : (rires)
David : Je ne sais pas si c’est convenable de le dire…
Nate : C’est pas grave si ce n’est pas très poli ? En fait Ben allait jouer “My Love” qui est une chanson pour sa femme. Il présentait la chanson et commençait à devenir un peu fleur bleue en expliquant qu’il s’agissait d’une chanson d’amour etc., et là quelqu’un a crié “you bitch !” (David rit) et on a tous éclaté de rire… C’était juste crié au bon moment…
David : Tout était silencieux et là “you bitch !” (ils rient)

Est-ce que vous avez une rumeur préférée que vous avez entendue à propos du groupe ?
David : Oh man…
Nate : Je ne connais aucune rumeur… Mais j’ai entendu que le claviériste était un mec excellent.
David : Et un loup-garou.
Nate : J’ai aussi entendu qu’il pouvait battre n’importe qui à FIFA…
David : Je n’ai aucune rumeur en tête…

C’est bon signe !
David : Oui sans doute, ou alors tout le monde nous les cache !
Nate : Si, il y avait cette rumeur au début du groupe, quand je n’étais pas encore là : Ben avait l’habitude de s’asseoir pour jouer sur scène, et tout le monde pensait qu’il était aveugle…
David : Non ?! (rires)
Nate : Ça va de pair avec la tradition blues…

J’ai lu quelque part que vous étiez de gros geeks…
Nate : C’est pas vrai… on est vachement plus cools que ça !
David : Bien plus cools… On est des gros clubbeurs (rires).

… je me demandais qui vous seriez si vous pouviez être un super-héros ?
Nate : Quand j’étais petit je m’identifiais beaucoup à Spiderman car Spiderman c’est juste un pauvre type de 16 ans qui n’a rien de spécial, et je sais que les gens se moquaient de moi car ils le trouvaient faible…
David : J’adore Spiderman aussi ! Moi je pense plus à Superman, il peut voler, il est invincible… Je sais que c’est super facile, mais c’est ce que je choisirais.

Il faudrait que tu portes une combi…
David : Je porte super bien le bleu.
Nate : On a tous la grande classe en élasthanne ! (rires) Sinon je crois que j’aimerais pouvoir me téléporter, car le décalage horaire c’est tellement brutal…

Une chanson que vous chantez tout le temps sous la douche en ce moment ?
Nate : Malheureusement on n’a pas arrêté de chanter “Work Work Work” de Rihanna ces derniers temps… Je ne sais pas si on l’apprécie mais en tout cas, cette chanson reste en tête !
David : Tu la connais ? (je confirme) Sinon j’allais te dire de ne jamais l’écouter, retiens toi encore si tu peux le faire… Cela dit je pense que c’est significatif pour une chanson d’avoir ce pouvoir de rester dans le crâne non ?!
Nate : Je crois que bien me souvenir que j’ai chanté la chanson du Lion Peureux dans le Magicien d’Oz [il chante “If I Were King of the Forest“], c’est juste super marrant à faire dans la douche, ça résonne !

J’aime beaucoup vos Van Jams ! Qui a eu cette brillante idée ?
David : C’était une idée commune…
Nate : On a du voir des groupes plus cools que nous le faire, du coup on s’est lancés également !
David : En fait on a vu la vidéo d’un groupe qui faisait un Q&A dans leur van sur Twitter, et lors d’une de nos tournées au lieu de partir en after, on s’est juste posés dans le van avec un iPad et on a téléchargé des applications qui imitaient les instruments dont le clavier, et on s’est dit qu’on pourrait jouer de la musique de cette façon…

Quelle sera la suivante ?
David : Aucune idée ! Mais on prend des demandes ! Peut-être “Work Work Work” ? Les paroles sont faciles en tout cas…

Un cliché sur la France qu’est avéré vrai ?
David : Alors que l’on était sur la route pour venir ici, à quelques kilomètres de Paris à peine, on avait les fenêtres ouvertes et notre batteur a du avoir un eye contact avec ce mec… Un mec sur une Vespa qui s’est arrêté à côté du van, a sorti trois baguettes et nous les a tendues à travers la fenêtre… (sourire) Donc on était là “c’est cool, on est en France !”. Vince notre batteur a vraiment cette aura positive où il lui arrive plein de trucs comme ça…

Propos recueillis par Emma Shindo (29 juin 2016 à Paris).