On a vu : “Frantz” de François Ozon avec Pierre Niney
Les films de François Ozon sont toujours attendus impatiemment par le public. Avec Frantz, le prolifique réalisateur s’est lancé dans la libre interprétation d’une pièce de Maurice Rostand (fils d’Edmond), L’Homme que j’ai tué, publié en 1930. C’est le deuxième film inspiré de cette pièce… le premier ayant été réalisé par Ernst Lubitsch en 1932.
Un scénario (trop) léger
Frantz raconte l’histoire sentimentale ambiguë post-guerre 1914-1918, du Français Adrien (Pierre Niney) et de l’Allemande Anna (Paula Beer). Anna, récente veuve éplorée, se rend chaque jour sur la tombe de son fiancé Frantz, dans un petit village allemand en Saxe profonde, où elle demeure avec ses beaux-parents, suite à la mort au front de son bien-aimé. Un jour, elle y découvre des fleurs, apportées par un Français, venant tout juste d’arriver dans le village. Curieuse (et n’ayant de toute façon que peu d’occupations), elle s’y intéresse. Le jeune homme moustachu se rend de lui-même chez les Hoffmeister, où l’accueil qui lui réservé est loin de ses attentes. Mais Frau Hoffmeister et Anna insistent, si bien que Herr Hoffmeister cède et invite Adrien à venir confier les raisons de sa visite : Adrien explique avoir connu Frantz alors que celui-ci faisait ses études en France, il leur raconte les souvenirs en commun de cette belle amitié, mettant du baume au cœur à cette famille d’adoption.
Bien sûr, il n’y a pas que ça. Adrien cache un lourd secret au couple endeuillée, qui semble sortir doucement de la torpeur dans laquelle les a plongés la mort de leur fils unique. Anna de son côté, retrouve un semblant de joie de vivre aux côtés d’Adrien qui semble posséder toutes les qualités de Frantz. Elle n’hésite pas une seconde à prendre son parti lorsque ce-dernier est victime de racisme nationaliste post-défaite. On comprend rapidement les raisons pour lesquelles Ozon n’a pas repris le titre de la pièce, préférant maintenir un semblant de suspense pendant plus de la moitié du film (soit pendant plus d’une heure !).
Le noir et blanc
Si l’on n’a pas de mal à entrer dans l’histoire, on peine à y rester. Le rythme est lent. Ou plutôt long (1h54 !). On a d’abord beaucoup de mal à comprendre le choix artistique du noir et blanc qui aurait pu, à première vue, se justifier, pour l’aspect esthétique rétro, l’ambiance, et la mise en valeur des acteurs, magnifiés par la bichromie. Seulement le réalisateur a choisi de passer certaines séquences heureuses en couleurs. Quelques scènes, par-ci, par-là, arrivant comme un cheveu sur la soupe. Des couleurs ternes, à l’instar des films en technicolor. Comme si la guerre et la banalité correspondaient au noir et blanc, et le bonheur et l’humanité à la couleur. On ne voit pas vraiment l’apport de ces touches épisodiques qui, à nos yeux, n’apportent que de la gène et une rupture dans le récit. C’est soit incohérent, soit trop élémentaire pour être vrai.
Cliché sur cliché
Deuxième chose qui nous a profondément gênés : le manichéisme poussé à l’extrême des mentalités post-guerre. Comprenez bien, nous sommes quelques mois après la signature de l’armistice de 1918. Les Français sont de fiers vainqueurs prétentieux, les Allemands, de fieffés perdants humiliés réfléchissant déjà à la vengeance. Frantz exploite ces deux mentalités avec une candeur déconcertante et infantile : ces Français déjeunant calmement dans une brasserie parisienne, qui ne peuvent s’empêcher d’entonner une Marseillaise unanime, alors qu’un groupe de militaires (ressemblant tous étrangement à Pétain) vont s’attabler. Et on se tape l’hymne en entier, sous les yeux médusés d’Anna. Je ne vous parlerai pas du dîner de la haute bourgeoisie bourguignonne, avec une duchesse qui, pour couper court à l’humour douteux d’une invitée préfère dévier l’attention de la tablée en sommant le “fromââge” à son personnel. Du côté de l’Allemagne, on a ce groupe de grands hommes du village qui se réunissent pour pleurer la mort de leurs fils envoyés au combat par leurs soins, buvant des chopes de bières sculptées, et médisant sur ces maudits Français. C’est trop. TROP. Car bien sûr, tu le sens venir à 1000 km, Anna et Adrien, ainsi que Frantz, sont/étaient de profonds pacifistes. D’ailleurs tu ne le savais pas, mais le couple franco-allemand Hollande et Merkel doivent tout à Adrien et Anna.
Bon, et on ne vous parle pas de la bande-son digne d’un vilain thriller des années 1980, avec des violons empathiques (coups d’archets dramatiques…) illustrant les scènes tragiques…
Quelques points positifs
Cela dit, il n’y a pas que des points négatifs. On a aimé les jolis plans poétique (la photographie est sublime, notamment cette scène d’Anna dans le lac…), et cette indolence des moments partagés par Anna et Adrien, hors du temps. On a aimé tous ces regards, notamment ceux de Paula Beer, si profonds, compatissants, accablés, mélancoliques, et torturés. On a aimé Pierre Niney par moments, qui malgré quelques emportements très Comédie française, est toujours un acteur remarquable (par contre on ne croyait pas une seule seconde à son jeu de violoniste… il aurait peut-être fallu penser à bien caler son archet et ses vibratos avec la bande-son non ?).
Bref, tu l’auras compris, on a revu nos espérances à la baisse pour un film qu’on avait vraiment hâte de voir. Comme d’habitude avec Ozon (Huit Femmes, Swimming Pool, Jeune & Jolie…) , les femmes sont les personnages forts du film, mais aussi les plus équivoques… Le scénario réinterprété était peut-être un peu trop sommaire, le thème déjà mille et une fois traité, et les choix artistiques nous paraissent largement superflus. Le scénario s’engourdit fréquemment, pour mieux bâcler certains moments qui auraient mérités plus de développement, et les lourdeurs foisonnent le long-métrage. Dommage.
► Frantz, de François Ozon, avec Pierre Niney, Paula Beer… en salles.