Charlie Cunningham : “Si tu arrives à transmettre au moins une émotion, c’est l’essentiel”

INTERVIEW – Dix ans après notre première rencontre, Charlie Cunningham se confie sur son dernier album “In Light”, son retour en solo et ses questionnements autour de l’essentiel en musique.

Charlie Cunningham et Rocknfool c’est une histoire qui remonte à longtemps. En farfouillant un peu dans nos archives, je me suis rendu compte que notre premier article sur lui datait de février 2015. Et notre première entrevue s’est déroulée à Paris en juin 2016 (À LIRE ICI). Nous voilà dix ans plus tard, quelques cheveux blancs en plus… Mais la musique orfèvre et émotive de Charlie Cunningham est toujours l’une de nos préférées au monde. Elle, elle n’a pas vieilli.

On rencontre Charlie après ses balances au Gesù (dans le cadre du Festival de Jazz de Montréal), dans sa loge un peu basse de plafond (pour lui). L’occasion de lui poser quelques questions sur In Light, sorti en mars dernier. Son dernier album est plus léger (sans mauvais jeu de mots – light en anglais signifie autant lumière que léger) et son jeu de guitare y prend davantage de place que sur ses précédents albums. Mais surtout, il semble avoir tenté de se débarrasser de cette fameuse et mauvaise habitude des artistes : la quête de la perfection.

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[Lire cette interview en anglais]


Pour bien commencer l’interview : dans Happening Lately tu dis plusieurs fois “we’re alright”. Comment ça va, toi ?
Charlie Cunningham : Ça va (sourire), en fait ça va vraiment bien ! Je rejoue en solo, ce que je n’avais plus fait depuis très, très longtemps. C’est vraiment agréable d’interpréter les chansons de cette façon. Il y a une belle énergie, et j’aime les concerts intimes. C’est aussi génial de revoir les gens en vrai et d’être de retour à Montréal. On y passe toujours de bons moments.

J’ai relu notre interview de 2016 et tu disais que tu allais : “Ouvrir un peu plus la musique avec le temps, continuer à développer, à essayer, ne pas se limiter à une seule chose…” Tu es fidèle à tes propos !
N’est-ce pas !? (sourire) Quatre albums plus tard, nous y voilà ! Ce n’est pas une énorme déviation. Ça doit rester moi, une véritable représentation de là où j’en suis. Je suis content de l’avoir fait, et je vais continuer.

Tu ouvres ta musique et continues à développer ton son donc, mais j’ai l’impression que dans Frame il y avait moins de guitare que dans In Light. La guitare acoustique de tes premiers EPs est de retour ? Est-ce que tu es revenu à l’ancien toi ?
C’est toujours une progression naturelle, en fait, ça s’est passé comme ça. Dans Frame, il y avait un tout petit peu de guitare, mais beaucoup de piano. C’était vraiment plus un disque de “groupe”. La guitare sera toujours là, ça sera toujours mon premier amour. Je ressens encore cette envie de me tourner vers la guitare et j’ai l’impression de l’avoir pas mal fait sur ce dernier album.

C’est vrai que tu nous avais prévenus, il y a longtemps, que tu allais ajouter de l’électronique à ta musique, notamment des paysages sonores.
J’adore créer des atmosphères sonores et une musique émotionnelle. Mais avec cet album, je continue à développer ma curiosité pour atteindre le cœur de tout ça. Quand on dépouille le tout, qu’en reste-t-il ? Surtout dans le climat actuel, l’IA et tout le blabla. Pour moi, il est important de vraiment essayer de saisir ce que c’est qu’être humain dans tout et à travers tout. En explorant différentes choses et formes, entre tout ça…

J’ai lu quelques articles à propos de ton dernier album. Ils parlaient des technologies et de l’intelligence artificielle, et disaient que ton album allait à l’opposé de ça. Mais les musiciens ont quand même besoin de technologies pour travailler et promouvoir leurs chansons, non ?
Je pense que beaucoup de choses incroyables émergent de l’IA, c’est certain. Je ne suis pas anti-IA, surtout pour la médecine, c’est incroyablement révolutionnaire ! Ce qui est un peu plus difficile pour moi, c’est quand l’IA cherche à surpasser l’Homme, à court-circuiter les vraies expériences humaines. Être conscient de ça, c’est déjà bien, on verra bien comment tout ça évolue. Peut-être que les gens devraient être plus attentifs à ce qui sonne humain. J’espère qu’on apprendra à identifier plus clairement ce qu’est la vraie essence humaine. C’est assez difficile à définir, donc je pense que nous avons une forme de responsabilité vis-à-vis de ça. Nous sommes tous des individus, et c’est important de chercher ce qui fait que nous sommes nous.

“Nous sommes tous des individus, et c’est important de chercher ce qui fait que nous sommes nous.”

Quelles ont été tes premières réactions, tes émotions, quand In Light est sorti ? Tu l’as enregistré en prises uniques et tu as dit qu’il y avait forcément quelques imperfections.
J’ai été très soulagé, profondément soulagé, un vrai lâcher-prise. Je sais que c’est un cliché, mais voilà ! Ensuite, j’ai ressenti un peu d’appréhension, parce qu’on est exposé et très vulnérable pendant un moment. J’ai l’impression que toutes les prises de l’album sont des performances authentiques et je les considère comme authentiques et émotionnelles. Ces chansons sont ce qu’elles sont. Ça m’a apporté beaucoup de résolutions.

J’avoue que j’aurais été voir les commentaires, j’aurais été tellement anxieuse de ne pas savoir…
Il faut être très prudent avec les commentaires. D’habitude, ça n’aide pas de les lire, mais on le fait quand même, surtout quand on n’est pas un gros artiste. On est un peu curieux. Mais les gens ont été plutôt bienveillants, ce qui est toujours cool… heureusement !

Penses-tu que les albums devraient être plus comme In Light, plus spontanés dans leur conception ? Parce qu’en général, quand un disque sort, il a été composé quelques années auparavant. Je suppose que In Light a été écrit pendant ta dernière tournée ?
Le début de certaines chansons, ou des lignes de guitare, ont été écrits en tournée. Mais pour la majorité, c’était après les nombreux concerts qui ont suivis la sortie du dernier album. On s’y est mis directement. Je ne sais pas si les albums devraient être plus spontanés ou autre… Ce qui est important pour moi, ce vers quoi je tends, c’est ce qui sonne comme des émotions réelles, peu importe lesquelles. Il y en a des millions. Si tu arrives à n’en transmettre qu’une, c’est l’essentiel. Parfois, quand tu entends de la musique sans émotion, c’est plus dur de s’y raccrocher…

“J’essaie de moins tout suranalyser et peut-être que cet album en est l’exemple.”

D’où est venue l’inspiration cette fois ?
Je ne sais pas vraiment… Je suis une personne assez introvertie et quand je pars en tournée, je dois alors être très sociable. J’aime être social, mais ça peut être épuisant. Naturellement, après la tournée de Frame, j’ai eu envie de me mettre un peu en retrait, de revenir en moi-même. Et puis, comme pour tout le monde, on doit gérer plein de choses difficiles, constamment. Ça m’a simplement semblé être le bon moment pour que ces chansons naissent. Pour moi, c’est apprendre à croire en ses émotions. En avançant, j’essaie de moins suranalyser, et peut-être que cet album en est l’exemple. D’essayer juste d’aller avec ce qui vient.

Penses-tu faire la même chose pour ton prochain album ?
Je ne sais pas ce que je vais faire ensuite. J’espère que la bonne chose se présentera à moi. Mais en ce moment, j’aime vraiment rejouer seul. Le simple fait de pouvoir repartir assez facilement en tournée, prendre un train ou un avion, sans trop de matériel… Et revenir à l’essentiel. C’est sans doute ça le point de départ… qui sait ? On verra bien !

C’est tellement bien que tu refasses ça. Tu joues aussi dans des salles plus petites et tu vas être très proche du public ce soir !
Je sais ! (sourire) Quand c’est un peu trop proche, je regarde vers le haut. C’est ma technique pour éviter de croiser le regard de quelqu’un…

Tu ne regardes jamais le public ?
Si, un petit peu, mais seulement après avoir joué quelques morceaux. Sinon, tu projettes toutes sortes de choses sur les gens. Comme “oh mince, ils ont entendu la fausse note !” ou “cette personne là-bas s’ennuie…” (rires).

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Propos recueillis par Emma Shindo (crédit photos : id.)

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