Être folk en 2019, la question de ce début d’année…
QUESTIONNEMENT – « Toujours pas de réponse à cette question existentielle dont peu semblent s’émouvoir : c’est quoi être folk en 2019 ? ». On tente une réponse.
On m’a envoyé une photo d’une page de Rock’n’Folk, avec cette question que se pose un lecteur. « Toujours pas de réponse à cette question existentielle dont peu semblent s’émouvoir : c’est quoi être folk en 2019 ? » Ça m’a parlé. Je me pose la même question depuis deux mois. Je voudrais donc le rassurer : peut-être qu’on ne s’en émeut pas à Rock’n’Folk, mais du côté de Rocknfool, si. Alors c’est quoi, être folk en 2019 ? Vaste question.
J’avoue que je n’ai pas vraiment la réponse. Et ça m’inquiète. Depuis ce début d’année, je ne trouve aucun (vraiment aucun) folkeux capable de m’émouvoir sincèrement. Oh il y en a des nouveaux, dans le paysage de 2019. Il y en a même de plus anciens qui signent leur grand retour cette année. Ils sont tous bons, très bons même. Mais voilà, pas de frisson. Pas de crush instantané, pas de cœur qui se serre, pas de truc inexplicable qui se passe à l’écoute de leurs voix. Alors quoi ? Est-ce une question de sensibilité personnelle ? Peut-être. Est-ce une crise de la musique folk en 2019 ? Peut-être un peu aussi. Essayons de démêler tout cela.
Cette musique folk dont on parle, on la connaît depuis les années 1960 environ. Héritière de la tradition orale et musicale, croisement de folk traditionnelle, de country, de soul selon les régions, elle a toujours été accompagnée d’instruments acoustiques. Que ce soit la guitare ou l’harmonica, ils sont restés les vecteurs principaux de cette musique “simple”, “proche du peuple” et itinérante. Mais ces instruments-là, aujourd’hui, ont-ils encore beaucoup de place dans la musique de 2019 ?
De l’acoustique à l’électronique
Le premier problème vient peut-être de là. Cette sorte, non pas de désaffection pour les guitares ou pour l’acoustique, mais plutôt de curiosité pour les nouvelles sonorités, est un peu venue chambouler le genre. L’heure n’est plus à l’acoustique. L’heure est à l’électronique, au synthétique, aux beats et au mix a posteriori plutôt qu’à la création brute et instantanée. On pourrait forcément construire un parallèle avec notre société. Son évolution dicte bien sûr celle de la musique, et à l’ère du contrôle de l’image, il est cohérent de voir s’étendre toutes les techniques possibles pour contrôler le son, l’amener où l’on veut, l’habiller comme on le veut, sur mesure. Au risque de l’homogénéiser à l’excès.
C’est ce que je me suis dit en écoutant le nouveau titre de Charlie Cunningham. Tu sais, cet artiste qui maniait comme personne la guitare pour en faire sortir des rythmes hispanisant envoûtant ? Celui qui hypnotisait tout le monde en concert juste en regardant ses doigts courir sur ses cordes… On te met au défi de la sentir, cette guitare, dans ses nouveaux titres “Sink In” et “Permanent Way”. Je ne dis pas qu’ils sont mauvais. Mais ils ont perdu toute l’âme folk qui me touchait. Bienvenue dans l’ère du retour au shoegaze. L’excellent projet Ex:Re d’Elena Tonra (Daughter) présente la même caractéristique. Et sans aller aussi loin, on pourrait aussi citer les traitements des derniers titres de Bear’s Den ou de Ray LaMontagne par exemple… Sans même parler de Bon Iver…
Le retour aux racines
En parallèle a l’air de se développer une réaction opposée du côté de quelques musiciens attachés à leurs aînés. Ces jeunes musiciens folk qui fleurissent et font parler d’eux semblent vouer un culte aux grands noms du folk des années 1940 à 1960. Woodie Guthrie, Bob Dylan, Leonard Cohen deviennent les noms incontournables quand il s’agit de citer leurs influences. Tales Of America, de J.S Ondara, Songs of the Plains de Colter Wall, ou Caught It From The Rye de Tre Burt en sont des exemples criants. Et c’est peut-être les seules choses qu’on pourra vraiment leur reprocher… Cette trop grande proximité avec des choses déjà faites… Sam Fender, nouveau prodige et chouchou des critiques anglais, disait dans une interview que les musiques à guitare n’inventaient plus rien de neuf, et qu’il fallait désormais chercher du côté du hip-hop. Et si c’était vrai ?
Je nuancerai tout de même le propos. Faut-il chercher la nouveauté ? Est-ce cela qui a guidé le folk depuis plus d’un demi-siècle maintenant ? Non. N’oublions pas les protest songs. N’oublions pas que les folk singers les plus connus l’ont été grâce à leur prise de position sur la société qui était la leur, sur la politique alors à l’œuvre, sur leur génération toute entière. Est-ce le hip-hop qui remplit cette fonction aujourd’hui ? Je me permets d’en douter, même si je ne suis pas une professionnelle du genre. Aujourd’hui, mes découvertes et mes coups de cœur me font me tourner plutôt vers ce qu’on appelle actuellement le post-punk. Parce que, oui, les temps sont durs. La politique, la société et notre génération portent leur lot de défauts (doux euphémisme) contre lesquels s’élèvent quelques voix. Celle de Joe Talbot (IDLES), Charlie Steen (Shame), Ellie Roswell (Wolf Alice)… sont celles qui dénoncent et crachent leur verve avec une honnêteté cinglante. Elles sont là, les protest songs. Dans une fosse de concert, le poing levé, plutôt que sur des étendues verdoyantes.
Le folk est mort ?
Alors finalement, c’est quoi être folk en 2019 ? C’est être tout sauf populaire, sans doute. C’est peut-être être tiraillé entre les grands noms du passé et les possibilités technologiques actuelles. Le dilemme est grand, mais la difficulté pas insurmontable. 2019 est sûrement pleine de promesses encore inconnues, qui viendront probablement d’ailleurs. Hors de ces terres anglo-saxonnes lassées et en manque d’originalité. Les promesses d’artistes qui auront le courage de se mettre complètement à nu, l’insolence de ne pas trop respecter leurs aînés, et l’imagination de pousser toujours plus loin un genre qui ne s’éteindra pas de sitôt. Mais qui devra, forcément, se transformer et se réinventer pour continuer d’émouvoir.
Pour aller plus loin, lecture conseillée : Folksong (racines et branches de la musique folk des États-Unis, Jacques Vassal, 1971