Gael Faure : “J’aime communiquer avec les gens, voir l’instant vivant”

INTERVIEW – Il vient d’annoncer un concert au Petit Bain pour finir 2018 en beauté. Une année qui a été riche et dense pour Gael Faure. Une année durant laquelle il a défendu son album Regain sur les routes. On l’a rencontré pour en parler.

On le retrouve juste après les balances de son concert du soir, en première partie de Cœur de Pirate. Il est seul sur scène, entouré par toute l’installation grandiloquente de la Canadienne, coincé entre un piano et d’énormes escaliers. Les balances sont terminées, la salle est vide, mais il gratouille sa guitare électrique et fredonne quelques mots. Se lance dans une reprise de Julien Clerc, incongrue mais d’une délicatesse surprenante. Puis relève la tête et nous aperçoit. Le calme musicien se transforme alors en tornade d’énergie qui, avec un grand sourire, nous invite sur scène, remballe à la va-vite les magazines de Sciences & Vie qu’il trimballe avec lui, et nous embarque vers les loges où on ferme les fenêtres, et où on débranche le frigo. “Autant de brouhaha, sans arrêt, t’imagines ? Je vais m’acheter un casque anti-bruit je crois, mais j’ai peur de ne plus pouvoir m’en passer après !”. Place à une discussion à cœur ouvert, entre éclats de rire et coups de gueule engagés.

Rocknfool : Je n’ai pas préparé de questions très développées, je vais simplement te proposer deux choix à chaque fois, à toi de voir. Regain ou De Silences en Bascules ?
Ahah, génial… Mais j’ai envie de savoir ce que tu vas dire… Regain ?

Moi je ne vais rien dire, c’est toi ! Dis-moi pourquoi ce choix-là entre les deux ?
Parce que j’ai l’impression d’avoir été plus précis, plus dans la vérité, sans avoir peur de me livrer sur ce qui m’exaspère dans la vie, ce qui me rend fou, ce que je trouve beau, sur l’humain… Je suis allé plus dans la science et la vie de l’humain, à l’intérieur. Le premier était peut-être plus en surface, des sentiments un peu disparates, un ensemble un peu moins cohérent.

Tu as encore plaisir à le jouer ?
Je le joue de moins en moins, mais la dernière fois que j’en ai joué quelques titres, j’ai pris du plaisir. Je les joue moins souvent donc je les retrouve un peu, je les module… Il y a toujours des chansons intéressantes dans cet album.

Guitare ou synthés ?
Guitare, obligé !

“Un guitariste comme José Gonzalez me rend fou !”

Tu as pourtant ajouté beaucoup de synthés sur ton 2e album…
Oui, c’est vrai ! J’adore aussi les synthés. Mais guitare quand même parce que là, dans ma vie, c’est vraiment ma meuf, je suis tout le temps avec elle ! Je dirais même guitare électrique, surtout. Ça peut être très doux, très soft, très molletonneux, et mais c’est aussi comme une Cadillac, tu peux appuyer comme tu veux. Un peu comme la voix d’ailleurs. L’acoustique est assez limitée dans l’approche… L’autre guitare qui pourrait m’intéresser maintenant, c’est la guitare nylon, la guitare sèche classique. Un guitariste comme José Gonzalez me rend fou avec ça par exemple. Donc, définitivement guitare, les synthés aussi ça mais pas en solo…

Gaël Faure
Gaël Faure @ Laiterie

Ça tombe bien : solo ou groupe ?
C’est incomparable ! J’aime trop l’énergie du groupe pour tout le temps kiffer être en solo. L’agréable en solo, c’est que c’est vraiment toi qui es maître de ton bateau. Si tu veux ralentir ton groove, tu n’es pas obligé de faire signe à tout le monde, tu peux même tout arrêter, et puis reprendre… Mais le groupe, c’est quand même le partage. J’aime tellement partager sur scène que ça a tendance à me manquer au bout d’un moment.

Et sur la route ? Tu t’ennuies quand tu es seul ? Et-ce que tu préfères être en meute ?
Parfois seul, ça t’oblige à réfléchir plus tranquillement. En ce moment, c’est bien d’être seul, parce que l’album a un petit temps. J’ai un peu de recul dessus, je commence à réfléchir à ce que je pourrais avoir envie de dire sur un prochain, ou pas… Donc ça me plaît d’être seul. En groupe t’as plutôt tendance à faire le con, t’es moins avec toi-même.

Composer ou écrire ?
Je vais aller dans la difficulté, je dirais écrire.

Vers plus d’écriture…

C’est marrant, sur Regain tu as tout composé en terme de musique, alors que l’écriture…
J’ai beaucoup plus écrit aussi (quatre chansons seul), mais c’est vrai que j’écris moins. C’est un mécanisme que je mets moins en place. J’ai plein de thèmes en tête sans arrêt, mais je suis comme un gamin en fait ! C’est un travail qui me demande plus d’efforts, alors j’ai du mal à m’y mettre. Quand je m’y mets en revanche, je prends énormément de plaisir, parfois même plus que quand je compose ! Là j’ai noté 2-3 mots, des mots que je trouve beaux, forts, intemporels et qui me donnent envie d’écrire. Peut-être des titres pour le prochain album… Prochain challenge : pousser encore plus loin l’écriture, mais tranquille, je n’ai pas envie de me mettre de pression.

Français ou anglais ?
Oh tu fais chier (rires)… C’est vraiment incomparable, l’anglais ce n’est pas les mêmes sonorités, ça ne vient pas chercher les mêmes émotions pour moi.

Donc plutôt français pour l’instant ?
Oui oui, c’est sûr, j’adore le français…

Mais est-ce que tu vas aller plus vers l’anglais ? Parce que tu as tout de même deux magnifiques titres en anglais sur l’album (“Lonely Hour” et “Only Wolves”)…
Il y a beaucoup de gens qui me le demande. Mais c’est bête hein, c’est con, on est Français, on a tendance à avoir peur peut-être un peu… Je trouve que c’est plus couillu de faire du français. C’est plus difficile mais au fond, ça me parle plus, je sais comment appuyer sur quel mot pour toucher les gens, malgré le fait que je parle anglais et que je pense chanter assez bien en anglais. J’ai eu un bon auteur pour ça, Piers Faccini… Mais pourquoi pas faire un side-project en anglais. Un truc qui me décomplexerait encore plus, me ferait aller chercher d’autres émotions, lâcher, m’amuser… Ça, ce n’est pas interdit. Mais ce n’est pas encore là.

Rencontre avec le “soigneur de la musique”

Faccini ou Souchon ?
T’es dure ! Souchon, Faccini, Souchon, Faccini… Mais ça, ça voudrait dire que j’en aime moins un !

Non, c’est juste un choix, ici, à cet instant. Ils n’en sauront rien.
C’est compliqué, parce que je chante une chanson de Piers tous les soirs en ce moment (“Only Wolves”, ndlr), et je chante avec Souchon à Lille le 27 octobre… Allez, Piers Faccini. Parce que… Je ne sais pas pourquoi, mais je le vois dans son jardin… Il est parfois un peu trop cérébral, mais c’est un gourou, c’est un soigneur de la musique. J’aime sa manière d’aller rechercher toujours des choses élégantes. Ça me touche, il me parle.

Et la collaboration avec lui, comment ça s’est passé ?
Une super rencontre ! C’est une vraie influence dans ma musique… Je l’avais découvert sur MySpace à l’époque. Je lui avais envoyé un message, resté sans réponse. Plus tard, je signe sur Zamora Productions, comme Piers. Je dis à mon manager Sébastien, directeur de Zamora : “J’aimerais beaucoup rencontrer Piers Faccini”, donc lui “On va organiser ça”. Ça a mis un an. Il est venu à la maison, je lui ai joué une chanson que j’avais composée, “Colibri”. Il ne bougeait pas, assis comme ça, très à l’anglaise (il mime). Et en fait, il a fini par me dire : “Tu chantes exactement comme j’aime, tu joues comme j’aime.” Là, je me suis liquéfié. Je lui ai dit que j’avais deux titres, surtout un, que je voulais chanter en anglais, mais que je ne voulais pas écrire parce que j’avais peur d’écorcher sa langue. Je le lui ai envoyé, il a adoré et il a écrit les paroles en un soir. C’était “Only Wolves”. Plus tard vers Avignon, on s’est retrouvé un après-midi pour “Lonely Hour”. Et voilà !

Scène ou studio ?
À la fin, je dis toujours scène. J’aime communiquer avec les gens, voir l’instant vivant. C’est le risque, c’est la fatigue, c’est les tripes, c’est le trac, c’est la grâce. C’est se prendre les pieds dans le tapis, ça peut être l’enfer, mais en même temps c’est ce qui fait qu’on aime ça, je crois.

Ça a déjà été l’enfer sur scène pour toi ?
Oui, quand le son est mauvais, quand moi je me sens jugé… Mais heureusement ça disparaît de plus en plus. Je suppose que ça va avec la scène. Je ne sais pas si la nouvelle génération vit ça. Des gens comme Angèle, ils ont 20 ans, ils paraissent être nés dedans… C’est peut-être l’insouciance de la jeunesse.

Ville ou campagne ?
Campagne, 1000 fois. J’ai tellement besoin de campagne en ce moment que je suis obligé de te dire ça !

Tu vis en ville pourtant.
Oui, mais je suis souvent sur les routes. Je vis en ville mais je pars vite de la ville aussi. Je crois que je vais retourner en campagne. J’en parle beaucoup, je pense que ça ne va pas trop tarder.

Là-bas on dirait l’Ardèche

Alors Ardèche ou Islande ?
Justement, l’Ardèche. Mais là, j’ai l’impression qu’il va y avoir beaucoup de réfugiés climatiques qui vont venir nous envahir dans ces coins-là (rires).

Mais non, voyons, on ne les laissera pas rentrer, ou ils mourront en mer avant !
Arrête !

Je suis un peu cynique, désolée !
Non, quand même… Et puis il y a même des Italiens qui achètent des maisons en Bretagne, j’ai lu, à cause du réchauffement climatique ! Non mais l’Ardèche, parce que c’est respirer, ne plus avoir de bruit, ni de pollution lumineuse, voir les étoiles, la Voie lactée qu’on voit tellement bien… (il feuillette le Sciences & Vie à côté qui aborde justement le sujet, on parle étoiles et télescopes avant de revenir au sujet).

Cyril Dion ou Pierre Rhabi ?
Non mais t’es dure… Ce n’est pas “ou”, c’est “et” ! L’un n’est pas de la même époque, il a une pensée vraiment campagne locale, et l’autre plus de son époque qui essaye avec des films de toucher plus de personnes. Mais en même temps, Pierre fait encore beaucoup de conférences… Je ne peux pas choisir !

Essayons autrement. Qu’est-ce qui t’a le plus inspiré : Demain (film de Cyril Dion) ou La Sobriété heureuse (livre de Pierre Rhabi) ?
Hum… En fait, c’est fou mais j’ai lu le livre et vu le film au même moment. C’est sûr que La Sobriété heureuse, tu peux l’emmener partout avec toi, relire des passages, comme une bible… Qui fait beaucoup de bien… Mais non, je ne peux pas, je ne peux pas.

Ok, statu quo alors !
Oui voilà !

“Semer consciemment, sincèrement, profondément”

Printemps ou automne ?
Je dirais automne, parce que… Pas forcément la nostalgie, mais plutôt ces derniers rayons qui viennent te lécher un petit peu, te faire comprendre que c’est la dernière chaleur. J’adore le cocooning, ça pousse aux bons repas, aux soupes, au coin de cheminée, à la famille, à se retrouver dans un bar au chaud à boire des coups. La transition automne/hiver, c’est ce que je préfère.

C’est marrant parce que Regain c’est plutôt le printemps. Le paradoxe…
Bah oui, c’est complètement ça, tout à fait.

Semer ou récolter ?
Clairement semer… semer, semer, semer ! Ne pas se retourner. Et puis après, si la récolte est bonne, tant mieux. Mais semer consciemment, sincèrement, profondément. Là je suis content, je suis tombé sur un article dans le magazine Regain, sur un semencier qui s’appelle Pascal Poot, dans l’Hérault. Et lui pour le coup, c’est un héros parce qu’il se bat pour essayer de garder des graines anciennes et des variétés très résistantes, prêtes pour ce qu’il se passe déjà. Donc semer, à fond !

Tu dis “ne pas se retourner”, alors je ne vais pas parler du passé, mais présent ou futur ?
Présent, même si le futur me fait peur et que j’aimerais vraiment être là pour voir ce qu’il va se passer. Mais présent, parce que c’est maintenant qu’il faut agir. Moi, ça me fait chier ce qu’il se passe quand même en ce moment… Même en musique… Au fond si je suis has been tant mieux. Je ne sais pas où il faut être grave, où il ne faut pas l’être. Cet album parle beaucoup de ça. Je ne suis pas aigri, mais je suis assez agacé de toute cette bêtise.

Je crois que c’est malheureusement un peu pareil dans tous les milieux. Le dilemme, c’est de savoir si on y reste pour essayer de changer les choses, ou si on s’en écarte parce que ça nous touche trop…
Oui, c’est exactement ça. Pourquoi on n’arrive pas à trouver des vrais projets, de vraies idées ? Il y a trop de lobbies, trop de connards sur cette Terre. Ça fait peur. Et en même temps, tu ne peux pas en vouloir à des gens qui profitent de ce qu’on leur offre. Moi aussi, quelque part je profite. Mais ça me fait de plus en plus mal, ça m’atteint de plus en plus. Sur cet album-là, j’ai vraiment essayé d’être au cœur d’un truc vrai, même si ça ne révolutionne rien…”Siffler”, “Éreinté”… Les gens sont fatigués, je vois les gens crevés. Ce sont des morts-vivants, il n’y a pas de sourire, il n’y a plus rien dans les yeux. Je fais de la gymnastique respiratoire et ma prof me disait que les gens ont oublié comment respirer, en fait. On s’asphyxie à petit feu…

Pour ne pas finir sur un truc totalement négatif : quel est le futur de ton projet ? Un 3e album ?
Faire continuer encore un peu cet album plutôt… En tout cas, je n’ai pas envie que ça s’arrête d’un coup ! Et puis sinon, il y a le Chant des Colibris qui continue. Le but, c’est de continuer à programmer de beaux artistes, cohérents et qui ont des choses à dire.

Merci à Gael Faure pour cette interview, à Virginie Parny ainsi qu’à La Laiterie pour l’accueil.

Gael Faure en concert le 17 décembre au Petit Bain puis en tournée en France en mars. Et avec le Chant des Colibris le 10 novembre à Grenoble.