Entretien avec UssaR : “J’aime la froideur de la machine.”

INTERVIEW – Pas encore d’album à son actif, mais déjà une solide réputation après un EP : on a voulu en savoir plus à propos d’UssaR.

C’est un projet tout jeune et qui attire déjà tous les regards. Avec l’EP éponyme et sa version longue Étendues, UssaR s’impose doucement mais sûrement comme l’artiste à suivre. Premières parties qui se multiplient, MaMa Festival, sélection du Chantier des Francos 2021… Emmanuel Trouvé, l’homme qui se cache derrière UssaR, avance d’un pas certain sur le chemin de la lumière. Rencontre.

En survêtement rouge, costume de scène dont la couleur rappelle l’uniforme des hussards, Emmanuel Trouvé en impose derrière ses claviers dans la petite salle montreuilloise où on le rencontre. Après un début de concert qui nous plonge directement dans l’ambiance sombre et mélancolique de son projet UssaR – parce qu’il « aime cultiver une certaine élégance » et que c’est « important qu’il y ait un personnage qui se pose » -, Emmanuel bascule subtilement vers un rapport plus doux à son public. « UssaR, ce n’est pas Emmanuel Trouvé». Mais sur scène, « il y a ce doux mélange avec Emmanuel qui fait des grands sourires pour dire “ce n’est pas grave, on va chialer, mais on va chialer ensemble” ».

Alter ego vers la lumière…

Parce que, oui, les titres d’UssaR peuvent arracher des larmes. “6 milliards” en est sûrement la preuve la plus partagée. Un titre emprunt de la grâce du dénudé piano-voix, qui porte l’intemporalité de la chanson d’amour à travers sa mélodie, tout en étant douloureusement inscrite dans son époque par ses paroles. « La période est sombre. Les gens sont sombres. La société est sombre. Nos amours sont sombres. Nos rapports humains sont sombres », constate Emmanuel Trouvé. Pourtant, c’est avec la volonté que tous ses morceaux aillent vers la lumière, vers un « et si » porteur d’espoir, qu’il compose. Tendre vers les sourires doux-amer, voilà l’objectif de fin de concert pour cet artiste qui a fait de son projet une catharsis.

UssaR, un projet d’à peine 2 ans d’âge

La catharsis est forcément nécessaire, quand on vit à Paris à l’époque qui est la nôtre. « Je déteste [Paris] mais je ne peux pas vivre sans elle. Paris, c’est vraiment dur. Le métro, l’aigreur des gens, c’est âcre. » C’est pourtant cette ville qui transpire dans une grande partie des titres d’UssaR, en particulier dans « Loin ». « C’est le morceau composé à la fin du confinement, je savais qu’on allait tous se dire « oui, c’est super ! », et en même temps tous replonger dans ça. “Ça pue le vide”. Ça pue notre aigreur ». Et si le confinement a été source d’inspiration, il a surtout été une force motrice pour le projet. En effet, la crise sanitaire marque l’arrêt des tournées auxquelles Emmanuel Trouvé participait, en tant qu’arrangeur, producteur, directeur artistique depuis l’abandon de ses études de droit. Ces casquettes, il les portait pour de nombreux artistes, notamment Kery James, celui qu’il a le plus accompagné. UssaR « a pris un énorme coup de boost avec le confinement. Comme il ne se passait rien, je me suis dit autant qu’il se passe quelque chose pour moi ».

Mais c’est un an plus tôt que l’histoire d’UssaR commence réellement, même si « ça n’a pas été une décision vraiment nette ». « Comme pour beaucoup de décisions qu’on prend dans la vie, tu te rends compte que tu les as faites a posteriori. Je me suis vu en train d’écrire des chansons, et j’ai eu une espèce de frénésie à les écrire, à les finir, à les produire. Quand il y en a eu une quinzaine, je me suis dit “il va falloir que j’y aille”. Il fallait les sortir. » La toute première chanson, écrite en avril 2019 et appelée “Hôtesse tristesse”, n’a pas été retenue pour le premier EP, sorti quelques mois plus tard. « Elle était cool mais trop scolaire. Les chansons te poussent vers un certain style, une certaine prod, elles ont leur vérité en elles-mêmes. Quand une chanson est aboutie et qu’à la fin elle ne te plaît pas, il ne faut pas essayer de la torturer. »

Un “rapport très libre” au piano

C’est ainsi que de ces premiers essais, il ne reste que “Le Havre”, titre co-écrit avec sa sœur, Camille Trouvé. Et cette sœur, justement, a joué un rôle important dans la construction d’UssaR. Marionnettiste, et directrice du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, Camille Trouvé lui a « donné des clés dans la dramaturgie des chansons » et permis de ne jamais se « perdre dans le marasme des images ». « Elle a un terme que j’aime beaucoup : “Ne reste pas encapsulé.” Dans les chansons, il faut que ce soit transmissible, il faut qu’il y ait un fil qui se tire entre ta sincérité et l’oreille de l’auditeur. »

Mais chez les Trouvé, il n’y a pas que la sœur. Avec un frère psy « pour soigner les autres », et un autre directeur d’une école de musique à Clamart, Emmanuel l’avoue, il a un rapport très important à sa famille. « Tout le monde a son mot à dire. Je suis très, très bien entouré. » Tellement que c’est au sein de l’école de son frère, et sur ses conseils, qu’il choisit le piano à 15 ans. Il fait ses premières armes avec Sébastien Lovato, un pianiste de jazz qui l’a « vraiment illuminé » et lui a donné un rapport très libre avec son instrument, basé sur l’improvisation. « Quand j’arrive au piano, je ne sais pas ce que je vais jouer. On va commencer une discussion. » Aujourd’hui, il continue de voir le piano comme un moyen d’accéder à la musique, plus que comme un instrument en soi. « Bien sûr, quand il a fallu, je suis allé me mettre du Chopin sous les doigts, pour me confronter à plus de difficulté. Mais j’ai toujours un rapport très libre au piano. »

De la boxe à la scène

Un rapport très libre, mais un rapport très ambigu. Il le confesse, son piano, « des fois c’est le plus bel instrument du monde, et des fois il me fatigue, à faire toujours le même son ». C’est peut-être ça qui le pousse très jeune à commencer à travailler la production sur MPC ou Live Ableton. Mais attention : « Même quand je suis en train de bosser de l’électronique, je vais faire pause et retourner au piano, à la vérité brute de la chanson, pour voir si ce qu’il se passe derrière est intéressant. » Le résultat : des titres qui, pour la plupart, fonctionnent sur scène aussi bien « en costume 3 pièces » qu’« à poil ».

Le choix, quand il existe sur ses premières parties, se fait en fonction de l’attention d’un certain type de public. « Quand tu fais des premières parties devant des gens qui ne sont pas là pour toi, des fois c’est dur. Tu es dans un rapport de séduction et aussi de confrontation avec les gens. » Pour gérer ça, Emmanuel a pu puiser dans son expérience de la boxe. « C’est une école de camaraderie, de non-violence, une vraie aide. Ça t’ancre. Ça apprend à recevoir des coups, mais aussi à en donner. Ça a été le plus compliqué pour moi, donner des coups, voir un visage qui se déforme… » Et quand il joue devant des gens qui ne sont pas là pour lui, justement, des coups, il en reçoit, mais il en donne aussi. Il termine sur un joli jeu de mot :  « Faut prendre le coup ».  

L’addictologie d’UssaR

Mais au vu des qualificatifs élogieux que la presse attribue de plus en plus à UssaR, nul doute que les dates en tête d’affiche finiront par pointer, avec des publics acquis à sa cause. Alors quand on lui demande si à terme, on doit s’attendre à voir plus d’instruments sur scène, il nous partage ses fantasmes. « Je fais de la musique qui n’existe que par sa prod électronique. Je n’ai pas envie d’aller “popiser” ou “variétiser” les basses ou les drums. J’aime la froideur de la machine, les choses impossibles à jouer. Mais oui, j’ai des envies de cordes, de baroques, d’orchestre, forcément… » Des sets d’UssaR mêlant beauté froide de l’électronique et chaleur grandiloquente du symphonique ? Des envies bien éloignées de ses premières armes à plusieurs dans des groupes de jazz rock puis hip hop.

Est-ce qu’en attendant, on peut l’imaginer prendre lui-même la charge d’autres instruments ? « Je suis un peu addict », admet-il. « Quand je me mets à quelque chose, il faut que ce soit bien, ou je ne le fais pas. Je travaille plusieurs aspects de mon savoir musical. Mais le savoir-faire de prod’ et le savoir-faire pianistique me demandent déjà beaucoup. Pour le reste, je préfère appeler quelqu’un qui va me proposer des choses. Je ne suis pas persuadé que le côté Pic de la Mirandole, l’homme de la Renaissance qui sait tout faire, soit vraiment pertinent quand on parle de musique. Je crois assez fort à la spécialisation, être pointu dans ce que tu sais faire. Avoir son propre son. »

Et ça, ça semble plutôt déjà gagné.

► En concert à Strasbourg à l’Espace Django le 16 décembre, et partout en France