Route du Rock hiver 2022 : retour sur un samedi idéal
LIVE REPORT – On l’attendait tellement, cette soirée 100% rock. Avec une affiche pareille, on a touché à la perfection. Tout était là.
Après une recharge des batteries à coup de vent, sieste et bruit des vagues, retour à la Nouvelle Vague pour la 2e soirée rock de cette édition hiver de la Route du Rock 2022. LA soirée qu’on attendait depuis un moment.
Ouverture par les Anglais d’English Teacher. Ils sont quatre, viennent de Leeds, sont ultra-jeunes et ultra-heureux d’être là. Voilà ce qu’on ressent dès leur arrivée. Cette joie, ces sourires, cet enthousiasme débordant pour la scène et les nouveaux publics à conquérir. Et la volonté surtout de partager un bon moment. Est-ce propre aux groupes qui se sont formés, comme eux, aux alentours de la période Covid ? Peu importe finalement, l’effet est immédiat.
Lily Fontaine, la front woman à la voix, aux synthés et à la guitare (rien que ça) attire tous les regards. Elle ne laisse aucune chance au public de se détacher de la scène, happé par son énergie contagieuse, son phrasé, et ses paroles ultra ancrées dans l’époque. Les autres (Douglas, Nicholas et Lewis), encadrent leur leader et lui assurent à la fois le soutien et la place qu’il lui faut, tout en déployant des rythmiques catchy et survoltées. Un groupe à voir grandir.
Entre rock et poésie, les claques féminines du soir
S’en suit Anika. On calme d’office le jeu, avec un groupe 100% féminin et une position à première vue assez nonchalante et statique sur scène. De quoi me refroidir après la folie anglaise. Mais plus le concert avance, plus je suis captivée par la beauté croissante qui en émane. Entre rock, psychédélisme, et poésie, les nappes de synthés et une basse profonde portent une voix singulière, à la fois marine et atmosphérique. La lumière est divine, écrin dorée quand Anika sort son petit carnet, mais délire violacée quand il faut envoûter. Et envoutée, je finis par l’être complètement avec des titres comme Change, qui n’est pas sans me faire penser à Noah and The Whale. Sans que je me l’explique, Anika me faire ressentir la même chose : cet état de paix intérieure quand on accepte que les choses sont ce qu’elles sont. Et il faut bien accepter que ce concert est ce qu’il est : une pure beauté.
Parce que jamais deux sans trois, Sinead O’Brien. Quand on croit qu’on ne pourra définitivement pas apprécier davantage la soirée, la voici qui arrive dans sa longue robe noire, mi-gothique, mi-grunge. Elle se plante sur son côté de scène, et déroule un set sous forme de claque musicale monumentale. Je reste scotchée par la beauté, la puissance, la maîtrise, l’incarnation, de chaque chanson. C’est moins un concert qu’une expérience à vivre, tant Sinead est du même acabit que des chanteuses comme Soap&Skin. De celles qui vous hypnotisent malgré vous, vous entraînent dans leur monde obscur et vous laissent exsangue à leur départ, aveuglés par la soudaine luminosité et suppliant qu’on vous ramène à la nuit. Le résultat de son chant parlé (ou parler chanté ?), ou de son passé de sorcière dans une vie antérieure ? Je ne sais pas. Mais j’en veux plus.
Shame, inlassablement
Mais il est temps de se remettre de toutes ses émotions pour aborder sereinement le retour de mes chouchous Shame. Cinq ans après les avoir découverts au même endroit, un seul constat : qu’il est beau le chemin qu’ils ont parcouru. Quelle évolution, immédiatement visible dans le set qu’ils nous proposent ce soir. Shame version 2022, c’est le meilleur de Shame version 2017, qu’ils ont su préserver envers et contre tout : leur fougue, leur verve, leur redoutable efficacité « in your face ». C’est aussi le meilleur de Shame version 2021, ce gain de maturité, de profondeur, de qualité et d’expérience.
Mais Shame version 2022, c’est surtout la promesse de la suite, qu’ils nous montrent à travers les nouvelles chansons du set. Plus longues, plus riches, pleines de changements de rythmes, de riffs de guitare dans des styles qu’on ne leur prêtait pas, mais étrangement toujours aussi cohérents avec leur univers… Quelle perfection qu’un concert de Shame ! Quelle preuve qu’ils sont au-dessus de la mêlée, sachant toujours continuer à évoluer sans jamais, jamais, oublier leur ADN. Une cohérence incroyable, une constance dans ce qu’ils donnent au public, inlassablement, sans jamais décevoir, et en étonnant, toujours. De quoi me laisser en fin de set la gorge nouée par l’émotion, sur les dernières notes de Station Wagon. Que je les aime, ces gars-là.
Encore, encore !
On aurait pu finir là-dessus, comme une partie du public l’a d’ailleurs fait. Mais quelle erreur cela aurait-il été ! Le dernier groupe, on l’attendait grandement. Les Anglais de Folly Group, qui m’avaient happée avec Awake & Hungry il y a quelques temps, a clôturé en apothéose cette édition hiver de La Route du Rock. Un mur de son et d’énergie bruts. Guitare à gauche, basse à droite, et au centre, la section percu : deux batteries, une électronique et l’autre classique.
Le groupe a la fougue de la jeunesse. Pas de balance d’avant soirée, une préparation sommaire directement avant le set, enchaînement direct, et c’est parti pour une débauche de rythme. On ne sait pas trop par quoi notre corps se laisse finalement conduire. Ces deux batteries ? Ou cette dingue de basse ? Seule certitude atteinte quand le public chante en cœur « Oh I raise you, the price of your head ! », dans une tentative désespérée de faire revenir le groupe qui a terminé le concert aussi rapidement qu’il l’avait entamé. N’est-ce pas la plus belle preuve, à 2h30 du matin, que l’objectif a été atteint ?