“Saint-Clair”, les choses de la vie selon Benjamin Biolay

CHRONIQUE – C’était l’un des albums le plus attendus de l’année 2022. Le 9 septembre, Benjamin Biolay publiait “Saint-Clair”, un album dans la digne lignée de “Grand-Prix” où l’artiste se met plus à nu que jamais, sur fond de guitares électriques et de romantisme.

Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui“.

Alfred de Musset


La citation est issue de l’œuvre On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. C’est à cette citation que j’ai immédiatement pensé en écoutant la première fois Saint-Clair de Benjamin Biolay. En lisant les différentes chroniques et interviews, j’ai remarqué que les confrères s’arrêtaient que sur un point : l’hommage du chanteur à la ville de Sète. Oui, il y a ça. Mais j’y vois autre chose. J’y vois le journal intime d’un homme qui arrive à la cinquantaine. Alors non, Benjamin Biolay n’est pas sur le bord de sa tombe. Mais il arrive sans doute à cet âge où on se retourne pour regarder en arrière. Et s’il y a une chose qu’on ne peut pas retirer à Biolay, c’est qu’il n’est certainement pas un être factice.

C’est un artiste entier, qui a vécu, aimé, souffert, s’est trompé. Qui vit, aime, souffre et se trompe encore parfois. C’est surtout un artiste qui n’a pas la langue et encore moins la plume dans sa poche. Un artiste qui n’a pas peur des mots. Ils blessent, fâchent, irritent certains, séduisent d’autres. Ses mots (voire ses maux aussi) attendrissent, dessinent des sourires sur les lèvres, arrachent des larmes, font chavirer le cœur et enfin parlent à nos âmes.

“Ainsi va la vie, ce joyeux bordel mêlé d’ennui.”

Saint-Clair ressemble à une autobiographie musicale sur fond de guitares. Un bilan. Ce serait presque une traduction un peu rock du classique Les Choses de la vie de Claude Sautet. Dans ce film, un homme est victime d’un grave accident de voiture. Au bord de la mort, il se remémore son passé, ses amours, sa femme qu’il a quitté pour une autre, son fils. “Un(ravel)”, le troisième single issu de ce neuvième album, aurait pu avoir en sous-titre, Les Choses de la vie. Biolay s’y met à nu, parle cru, parle surtout vrai avec une sincérité désarmante. Le fameux “j’ai fait prostitué” a d’ailleurs fait le tour des sites web et surtout sites people à l’affût de la moindre petite phrase qui pourrait faire le buzz. Quel dommage de ne retenir que ça car ce titre est sans doute l’un de ses plus beaux morceaux (après “La Mémoire” qui me fait encore pleurer aujourd’hui), aussi bien niveau mélodique que niveau écriture. Moi, je retiendrai une phrase : “ainsi va la vie, ce joyeux bordel mêlé d’ennui”.

Dans ce joyeux bordel qu’est la vie, on trouve la religion, l’amour, le sexe, la haine, la tristesse, les séparations, les rencontres, les premiers émois et les derniers fracas avant les ruptures et au milieu les tentatives souvent ratées pour refaire vivre la flamme des débuts. Ce sont les thèmes que l’on retrouve dans Saint-Clair. Un album teinté d’une jolie mélancolie. Sans tristesse où amertume. Il pourrait être la bande-son du film de la fin des vacances d’été, une bande-son colorée à la nostalgie heureuse.

D’ailleurs, ce n’est sans doute pas pour rien que les arrangements piano et orchestraux – qui étaient pendant longtemps la marque de fabrique de Biolay ont laissé place à des mélodies plus rythmées dans la lignée de Grand Prix. Il nous offre une traversée aux accents rock et aux riffs de guitares inspirés (et assumés) des Strokes voire même de Depeche Mode avec le très sexy et sensuel “Numéros Magiques” dans laquelle chacun peut trouver dans un écho, une phrase, un mot qui nous rappelle notre propre existence. Parce que malgré tout, on a beau être des individus avec nos propres sentiments, nos propres chemins tracés ou de traverse, on éprouve les mêmes joies, les mêmes peines, on connaît les mêmes accidents de vie. Et quand on fait le bilan, on se dit tous “je me plains, mais au fond j’aime bien ça. Je l’aime cette belle putain de vie”. Cela fait de nous des êtres humains et non des êtres factices.

Saint-Clair – Benjamin Biolay (Polydor)