Charlotte Brousseau, se disperser, se (re)trouver, avancer
INTERVIEW – On a eu un gros coup de cœur sur Charlotte Brousseau qui n’a cessé de se confirmer au fil de ses performances live. On avait très envie d’en savoir plus sur elle.
Avec Charlotte Brousseau, ça faisait un bon moment qu’on se courait après. Façon de parler bien sûr. Je tenais beaucoup à rencontrer cette artiste dont le premier EP sorti pendant la pandémie m’avait beaucoup touchée, et dont les performances aux Francouvertes l’année dernière n’ont fait que confirmer mon coup de cœur.
On se retrouve en fin de journée dans un café “branché” à la limite de Parc-Ex (c’est Google Maps qui le dit). Charlotte n’a pas un bon sens de l’orientation et pas de chance, son iPhone s’est vidé de sa batterie à cause du froid. On poursuivra notre longue conversation autour de beignes et de thés brûlants dans un Tim Horton’s à quelques pas de là. Entourées d’une date de cinquantenaires franglais, d’une musique pop-disco rétro, et d’une dame qui quêtait pour une nuit dans un foyer. Deux salles, deux ambiances.
Condenser 1h30 de discussion dans un article n’est guère aisé. Je le fais de surcroît plusieurs mois après l’enregistrement (mea culpa). Cela dit, j’ai de la chance, Charlotte semble encore être plongée dans le processus créatif de son premier album, ce qui heureusement me laisse encore un petit peu de temps pour vous parler d’elle.
“Je voulais faire de la musique, je ne voulais plus être dans un bureau.”
Charlotte est née et a grandi à Québec. Quand vient le temps de l’université, elle part s’installer à Montréal où elle passera presque dix ans. Elle n’a pas toujours été musicienne, mais la musique a toujours été “à côté d’elle”. Enchaînant les boulots créatifs sans être vraiment heureuse, il lui a fallu plusieurs années pour canaliser son énergie et passer le cap : devenir une artiste, une vraie, “car c’est ça que je suis dans le fond”.
Le déclic lui vient d’une publicité de l’École nationale de la chanson de Granby sur Facebook. Elle qui a étudié en sciences de la nature et en métiers du cinéma. Elle qui a fait de la clarinette en secondaire, mais jamais de formation musicale. Elle se jette à l’eau, elle postule.
Pour soumettre sa candidature, elle écrit ses premières chansons. Quand ils l’appellent pour lui annoncer qu’elle est prise en audition, elle pleure. “Je ne savais pas ce que j’allais faire si cela ne fonctionnait pas”. Sans surprise, ça fonctionne.
À Granby, alors âgée de 30 ans elle réapprend à aimer jouer de la guitare et plus. Elle qui aimait déjà chanter et créer de petites compositions perdait son temps à se disperser et à essayer de se trouver à travers des relations qui vont et viennent. La conclusion est unanime : “aller à l’école faire de la musique a été une révélation”.
Ne plus repousser
En pleine pandémie, de retour à Québec cité, avec ses maigres économies, elle sort Boucles, son premier bel EP. Elle a 32 ans et insiste là-dessus. Enregistré avant mais mixé pendant, elle ne voulait plus attendre ni repousser.
“Jean-Etienne (Collin Marcoux), un des fondateurs du Pantoum, avec qui j’ai étudié au secondaire était un peu mon seul lien avec la musique à Québec.” Son projet l’intéresse, il la pousse et lui parle de studio rapidement. Elle l’admet : “si c’était moi, j’aurais probablement encore attendu un an. Ça me prend souvent un cadre, que ce soit une personne, un programme, une école… quelque chose pour m’aider à me structurer un minimum.” En tout cas, Charlotte fait parler d’elle.
On la retrouve ensuite aux Francouvertes, où elle se dit chanceuse d’avoir pu jouer face à un public, contrairement à la promotion précédente, Covid oblige. Elle en profite pour sortir un single, une ancienne maquette du Pantoum qu’elle retravaille, et dont elle arrête de repousser la sortie. C’est à cette occasion qu’elle approche pour la première fois Antoine Corriveau. Elle n’atteint malheureusement pas la finale, elle qui semblait être pourtant une des favorites.
L’avantage, c’est que Charlotte est ce genre d’humaine qui voit toujours le beau et le bon dans chaque expérience, réussie ou ratée. Même si tout lui prend beaucoup de temps : le temps d’y réfléchir, le temps de se botter les fesses, le temps de trouver les moyens de ses ambitions, le temps de passer à l’acte.
“J’ai hâte de sortir un album, ça fait un moment que j’y pense.”
Arrive le moment où il faut bien ressortir de la musique. “Il y a toujours derrière, dans ma tête, la hâte de pouvoir sortir un premier album.” Pour ça, il lui faut une équipe. Elle approche de nouveau Antoine Corriveau, un de ses professeurs à Granby dont elle apprécie beaucoup le travail. “On était assez différents dans nos styles musicaux pour que ça me mette au défi et amène ma musique plus loin”, explique-t-elle.
Charlotte me parle de co-réalisation. Antoine Corriveau et elle. Elle vient avec ses idées et une vision de son projet. Lui l’aide avec les musiciens, avec la construction d’un budget, et met “son grain de sel et sa personnalité” dans ses maquettes. Une relation de confiance. Ils se complémentent, ce qui rassure beaucoup Charlotte.
Vient le temps des enregistrements plusieurs mois et plusieurs aller-retours plus tard. Enfin ! Le temps de sortir de la ville (parc du Bic, île d’Orléans notamment), emmener des musiciens, musiciennes et preneurs, preneuses de sons, tout un tas d’instruments (dans le studio montréalais d’Antoine Corriveau entre autres) et se mettre dans une bulle pour travailler. “C’est rare que je me ferme à des idées, surtout quand je collabore. J’aime mieux essayer les idées que de regretter et que ça me travaille pendant des mois. On ne sait jamais ce qui peut arriver.”
“Je me sens comme une exploratrice, j’essaie de rester ouverte à tout, ou presque…”
L’avantage donc, c’est que Charlotte est ouverte à tout. Au fil des collaborations (des back vocals pour Malaimé Soleil, Matt Vezio…) et des rencontres professionnelles par-ci, par-là se développent des amitiés. “Les liens que tu tisses avec d’autres artistes peuvent devenir forts rapidement car on s’ouvre dans nos chansons. Ça peut donner l’impression de se connaître plus que ça ne l’est réellement.”
“Je commence à avoir une petite bulle de personnes avec qui je joue, mais j’ai l’impression que tout bouge tout le temps, chaque personne a sa vie personnelle et artistique donc c’est difficile de prévoir. On y va au feeling.”
C’est un peu le mot d’ordre de Charlotte : y aller au feeling et faire preuve de patience. Elle a ainsi profité de l’été 2023 et de l’aide du Conseil des arts et des lettres du Québec pour enregistrer son album. Puis, elle est partie en résidence en France en prologeant un peu son séjour. Cela lui a permis de prendre du recul sur les 12 chansons que devraient compter son premier album. “Je ne veux pas non plus laisser traîner ça. J’aimerais le sortir quelque part en 2024 si tout se passe bien.” La prochaine étape à cocher ? Le mixage.
“Je ne sais pas toujours où je m’en vais, mais je laisse les choses venir à moi.”
On pourra y retrouver beaucoup d’elle-même, bien qu’après l’école, elle ait changé sa façon d’écrire. Elle a tout déstructuré, et donne des exemples. “Parfois les rimes c’est vraiment payant, mais ça ne m’en prend pas tant que ça. Parfois, je pense que je suis contente d’un texte, puis en le chantant, je me demande ce que je voulais dire avec telle phrase. Je me questionne aussi plus sur mon interprétation : chanter plus fort, plus doucement, regarder les gens, fermer les yeux… Je suis plus sensible à ça qu’avant, pour réussir à transmettre plus d’émotions.”
Désormais, Charlotte Brousseau veut surprendre le plus possible et “faire vivre différentes émotions aux gens”. Mais pour surprendre, il faut d’abord se surprendre soi-même. Exit les intuitions, exit la pudeur de son premier EP qui se dissipe tranquillement. Place à la Charlotte pro-active : celle qui prend son destin en main. Celle qui fait aboutir ses projets et s’entoure de personnes bienveillantes qui l’aident et la font avancer. Sans précipitation et toujours avec cette énergie créative qui l’habite et la fait vivre.
Propos recueillis et photos par Emma Shindo.
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