Morgane Imbeaud : “Parfois on a besoin de se débarrasser du passé”
INTERVIEW – À l’occasion de la sortie de son deuxième album The Lake, nous avons rencontré Morgane Imbeaud.
À l’aube de la sortie de son deuxième opus, nous avons rencontré Morgane Imbeaud. L’artiste auvergnate revient après Amazone dans un style musical tout en douceur, agrémenté de montées sonores, de vagues hypnotiques et de guitare électrique. Douze titres co-composés avec Robin Foster, qui nous font voyager dans des paysages aquatiques auvergnats et dont les thématiques parleront à beaucoup d’auditeurs. Mais n’en disons pas plus et découvrons tout cela avec Morgane.
Une incitation au voyage
Pour ton premier album Amazone, tu étais allée en Norvège. Là, tu es revenue chez toi, en Auvergne. Est-ce que tu vois des différences entre ces deux régions ?
Il n’y en a pas tant que ça. En Norvège, je me rends compte qu’à part l’eau, que nous n’avons bien évidemment pas ici, les paysages sont assez similaires. Ce qui m’a inspiré le nom de ce nouvel album, c’est le lac de Servières, qui reste mon préféré de tous en Auvergne. Les autres sont très beaux, mais celui-là est comme un refuge pour moi. Sinon, en Norvège je trouve qu’il y a des couleurs froides et tu as aussi une lumière particulière que l’on ne retrouve pas forcément ici.
Musicalement, qu’est-ce que cela t’a apporté ?
Ça m’a tellement soulagée d’être dans le Nord. J’ai toujours eu peur d’être seule. Quand je suis partie en Norvège, c’était un peu l’accomplissement : “ça y est, c’est bon, je peux y arriver”. Et puis la Norvège est un pays hyper respectueux. En tant que femme par exemple, tu ne te poses aucune question. Quand je me suis arrêtée toute seule, sur une île du fjord Gressholmen, à aucun moment je n’ai été angoissée.
Après, musicalement, la Norvège est très métal. Pour le folk, il y a plus de choses en Suède. D’ailleurs les Norvégiens vont souvent en Suède. Par exemple Aurora, que j’avais découverte sur scène a Europavox, j’adore. Sa façon de bouger avec ses mains. Elle a quelque chose d’atypique qui te donne envie de l’accompagner tout le temps.
Dans The Lake, je trouve qu’il y a des inspirations nordiques. Ce côté rêveur, ode au voyage et dreampop.
Oui, exactement. Il y a un côté “invitation au voyage” et j’avais vraiment envie de ça. Pour The Lake j’étais pas mal entre l’Auvergne et Camaret-sur-Mer, là où vit Robin Foster. Et à chaque fois qu’on enregistrait une chanson, on partait ensuite en voiture. C’est comme ça qu’on les testait. On ne parlait pas trop et on se laissait porter. Dès qu’on passait une chanson, je disais “non, ce n’est pas bon, celle-là, il faut l’enlever, ça ne suffit pas”. Je vois les chansons de cet album comme de grands espaces qui feraient sortir plein d’émotions. Je trouve que parfois je manque de mots, justement. Tu sais, je n’arrive pas à trouver le mot juste pour décrire exactement ce que je ressens. Mais j’ai toujours pu le faire en musique.
Un album thérapie…
Justement dans ton nouvel album, tu écris sans tabou sur les événements qui te sont arrivés, notamment le burn-out. Est-ce que, se mettre à nu comme tu le fais, c’est plus facile de le faire quand on est musicienne plutôt que dans la vie courante ?
C’est complètement différent. Je pense que dans la musique je n’ai pas de mal à me livrer là-dessus, parce que ce sont des sujets importants. Quand j’étais plus jeune, c’était hyper tabou. Désormais ça me parait hyper important d’en parler. Surtout qu’aujourd’hui, depuis le Covid, les jeunes ne vont pas bien du tout. Donc, c’est plus une volonté de dire “regardez, on se sort de tout”. Mais au niveau de l’album et de la musique, il y a ce côté un peu pudique. J’ai toujours voulu que les gens s’attachent à ma musique et se l’approprient afin d’y mettre leurs histoires, leurs émotions. Pour chaque chanson, j’ai voulu décrire une émotion particulière, que je n’arrive pas forcément à formuler avec des mots.
Tu dis que tu as du mal à trouver les mots. Pourtant, dans cet album, il y a des titres écrits en français et dont les paroles sont très directes.
Là j’y arrive, car il y a une part secrète. Dans “Sage”, par exemple, c’est un peu ça. Quand je l’ai écrite, c’était comme une provocation, car on m’a toujours donné une image de femme fragile, même de petite fille au final. Je vais avoir 37 ans, j’ai grandi et je me suis dit : “en fait j’en ai marre”.
… et famillial
Ce nouvel album, tu l’as composé avec Robin Foster. Est-ce que tu peux nous le présenter ?
En fait, c’est un artiste qui a son projet solo instrumental (Peninsular). C’est sa base. Il fait aussi beaucoup de collaborations et il a un projet avec Dave Pen (chanteur d’Archive) qui s’appelle We Are Bodies. On s’est connu avec mon ancien tourneur qui nous avait dit “vous allez super bien vous entendre”. Et il a eu raison. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un avec qui ça se passe aussi bien musicalement et humainement. Il a un peu toutes les montées musicales à la Archive que j’adore et c’est un peu ce que je voulais depuis super longtemps.
Donc il a été présent pour t’accompagner dans les arrangements et la musicalité que tu voulais pour cet album ?
Exactement. On est hyper complémentaire. Il y a des chansons qu’on a même co-composées, car il a fait tellement d’arrangements que pour moi ça fait partie de la composition. Et puis parfois, il est arrivé avec des chansons sur lesquelles j’ai posé des mélodies, des textes. Donc on ne sait plus qui a fait quoi. Et c’est génial. Je le souhaite à n’importe quel artiste.
En plus de Robin, on retrouve aussi des duos. Tu avais déjà fait un projet duo avec Elias Dris (un album de reprises de Simon & Garfunkel). Là, pour The Lake on retrouve Lonny sur “Fire” et Chris Garneau pour “Nothings Real”. Personnellement, je ne les connaissais pas.
Alors, Chris Garneau c’est mon chouchou. En fait, il a sorti un album en 2007 et à l’époque, on se croisait souvent avec Cocoon. Je suis tellement fan de sa voix. Je me souviens qu’on l’avait emmené sur quelques premières parties avec nous et j’étais comme une dingue. Tu sais quand tu es fan d’un artiste à ce point, mais que tu te rapproches de lui naturellement. On est toujours resté en contact. À chaque fois je voulais travailler avec lui. Je lui ai présenté la chanson. Il a vachement aimé tout de suite. Donc, c’était trop bien. D’habitude il chante plus aigu. Là je le fais chanter un peu grave, d’adore. Ensuite pour Lonny, c’est ma copine Louise. Elle a son projet projet solo. Je la connais par Elias. Et j’adore sa voix, hyper particulière.
Avant tout, tu as cherché une voix avec Chris et Lonny ?
J’ai cherché une voix, mais aussi des affinités. Pour cet album je voulais rester dans un côté famille. J’aurais pu demander à n’importe quel artiste que j’aime bien, mais que je ne connais pas. Mais là, je n’avais pas envie. Je voulais cette deuxième famille. Par exemple pour le côté visuel c’est Biscuit Production, mes meilleurs amis depuis 15 ans.
L’image et la musique
Ça tombe bien que tu parles visuel. Tu fais souvent le lien entre musique et art visuel (tableaux, photos, vidéos). On retrouvait déjà les polaroids dans Cocoon. Qu’est-ce qui t’inspire dans l’art visuel pour ensuite faire de la musique ?
Pour moi, ça vient de la photo. Parfois, j’ai une mémoire de merde. Du coup, j’ai peur d’oublier des choses. Ça a commencé comme ça : je voulais plein de souvenirs. Et quand il y a des moments où je n’arrive pas à composer, je fais plein de photos. Comme si c’était une recherche de la beauté. Ce que je dis souvent, c’est que j’ai besoin de trouver la beauté partout. Je la retrouve très fortement dans des moments un peu sombres, mais sans que cela soit glauque ou triste. C’est plus que je vais puiser cette inspiration-là, qui provoque ces fameuses émotions que je n’arrive pas toujours à décrire. J’essaie de me plonger dedans, comme si le temps s’arrêtait. Je trouve qu’on est trop speed en permanence. On nous demande toujours d’être au top pour quoi que ce soit. Et la photo, ça te calme vachement.
Toujours dans le visuel, les clips de cet album racontent des histoires. C’est toi aussi qui imagine les clips, les histoires, le concept ?
Pas forcément. C’est Alexis Magand, qui bosse chez Biscuit Production et qui me connaît par cœur. Par exemple pour le premier clip, “No Rising Sun”, on était en vacances tous ensemble sur la plage, dans les Landes. On ne savait pas trop quoi faire. Je m’étais dit : tiens on peut faire un clip un peu planant, avec ma caméra super 8. Et finalement, Alex me dit : “Mélanie (une amie) pourrait se débattre avec les vagues.” Et je me suis dit : ouais, ça peut coller complètement avec la chanson. Ce côté, tu as envie de passer à autre chose. La première fois que j’ai vu ce clip, j’en ai pleuré. Je trouvais que Mélanie dégageait un truc qui collait parfaitement avec ce titre. Pareil pour “Seul”. Là, c’est moi en scène, au lac de Servières. Donc, à chaque fois dans les clips, on cherche cette volonté de décrire une émotion.
The lake, it swallows me, I’m drowning!
Revenons sur l’album et sa musicalité. Comme le titre l’indique, ce deuxième album parle d’eau. Mais, en écoutant The Lake, on ressent cette eau. Comment tu as fait pour qu’on ressente cet environnement via la musique ?
Ça vient surtout de Robin. Il y avait toujours un peu cette volonté de vagues, où l’on ne sait pas où l’on va. Et Robin a pu apporter avec ses guitares très planantes et un peu tendues ce côté vagues. Moi, c’est plus le côté lac, donc c’est très calme où tu ne sais pas ce qu’il se passe au fond. Et puis, le côté vagues vient de Robin.
L’eau un vrai fil rouge tout au long de cet album.
Pour moi l’eau a quelque chose de fascinant et de terriblement angoissant en même temps. Je me suis dit que c’était marrant de parler de quelque chose qui nous fait trop peur et qu’on fuit au final. J’aimerais vaincre cette peur de l’eau. Je me suis dit : comment apprivoiser cette peur ? Et si je la mettais en musique.
Est-ce que tu connais les derniers mots de l’album ?
Les derniers ? The lake, it swallows me, I’m drowning. Ah oui, je me noie. C’est horrible, tu as raison. Mais c’est totalement inconscient.
Quand j’ai entendu ces mots, je me suis posé la question de l’harmonie de l’album et l’ordre des titres. Comment as-tu fait cette setlist, sachant que l’album se termine par “je me noie”, en fondu.
En fait, je n’ai pas fait exprès. Pour moi, c’était évident qu’elle termine l’album, tout comme pour Robin. Et “Nothing’s Real”, pareil, évident qu’elle soit la première. J’imaginais un tableau, depuis super longtemps, avec quelqu’un qui était au milieu d’une maison en pierre, un truc tout simple comme on dessine les maisons quand on est enfant, avec plein d’objets tout autour. Ensuite, cette personne était en lévitation dans la maison. Et j’avais cette idée : “parfois on a besoin de se débarrasser de tout le passé, pour dire, bon là je recommence et après ça va faire du bien”. Donc j’imaginais ça. Et à la limite, le lac où je me noie, ça peut-être le côté : j’ai apprivoisé l’eau, ça y est, je n’en ai plus peur, c’est bon. On passe à autre chose.
L’instant reco
Pour finir, j’aime bien connaître les dernières découvertes culturelles des artistes. Aurais-tu des livres, films ou album à nous recommander ?
En livre, je dirais par rapport à cet album, parce que je le cite souvent et c’est en le lisant que j’ai écrit “Patineuse” : Devotion de Patti Smith.
En groupes, j’ai découvert plein de choses récemment : Mount Kimbie, je ne connaissais absolument pas, j’avoue. C’est hyper bien, on reste dans un son un peu shoegaze. Il y a Widowspeak aussi, qui est super. Ah si, Margaret Glaspy, j’aime ses albums, ça reste du rock assez classique, mais franchement c’est super.
Et en lieu pour écouter ton nouvel album, tu recommanderais quoi (hors lac de Servières) à un touriste lambda qui viendrait en Auvergne ?
En haut du Puy-de-Dôme, franchement. À un moment, avec mes amis, on y allait énormément. Tu sais, tu prends un peu de hauteur, quand tu n’as pas le moral ou quoi que ce soit, tu vas là-haut. Ce que j’adorais, c’est me dire, ce moment-là que je vis et qui est trop beau, personne ne peut me le prendre. Personne. J’avais fait du parapente aussi, en haut, c’était génial. Et pareil, personne ne peut te prendre ce moment-là.
Morgane Imbeaud, The Lake, sortie le 10 mai
1. Nothings Real
2. No Rising Sun
3. Patineuse
4. Forgiveness
5. Dive Head First
6. Fire
7. Seven Lies
8. Seule
9. Catch a Flame
10. Sage
11. Conquer
12. The Lake
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