Half Moon Run x OSM : entre frissons et frustrations

COMPTE RENDU – Trois soirs à guichets fermés, un orchestre symphonique et les enfants prodiges de Montréal. Retour sur l’un des trois concert d’Half Moon Run avec l’OSM, où la forme n’a pas toujours servi le fond.

Attention, ce compte rendu ne sera pas aussi dithyrambique que certains médias québécois. Soyez avisés.

Une première pour l’antenne montréalaise de Rocknfool : fouler le parquet de la Maison symphonique de la Place des arts. Superbe cocon de bois à 360°, maison de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), qui accompagne Half Moon Run, le temps de trois soirées. Trois concerts complets, modestement intitulés “Le retour de Half Moon Run à l’OSM”. Le groupe montréalais d’adoption récidive donc avec une formule qui avait connu un grand succès en 2017 lors d’une date unique. 

La fusion bancale de la pop et du classique

Commençons par le moins bon de la performance, si vous êtes d’accord. Notons d’abord que tous les univers musicaux ne s’harmonisent pas forcément bien ensemble. Dans le cas d’Half Moon Run, si certaines chansons semblent passer le test de l’arrangement symphonique, d’autres non. Dans le cas des chansons du premier “tableau” musical, constitué de chansons tirées de leur dernier album “Salt”, c’est réussi.

“Moving Out East” qui ouvre la soirée soutenu par des timbales, des cuivres et un chœur de femmes (posté sur un balcon à gauche de la scène) passe le test. Les 4 percussionnistes (est-ce que les maracas, les cloches tubulaires ou le xylophone étaient essentiels ?) qui s’ajoutent à Dylan Philipps à la batterie, ainsi que les violons (déjà présents sur l’album) donnent plus de profondeur à “9beat”. 

En revanche, le deuxième tableau est lui plus plat. Comme si Blair Thompson (l’adaptateur) avait eu ordre d’arranger des titres dont les partitions originales ne se prêtaient pas au pari symphonique. On est donc plus sceptique en découvrant “How Come My Body” ou la théâtrale “Razorblade” et ses “shinanana” chantés, qui dénotent avec l’orchestre et l’accompagnement. Conner Molander le fait d’ailleurs remarquer, soulignant la difficulté de fusionner les deux univers. Oups. 

L’acoustique de la salle, parfaitement pensée pour des instruments non-sonorisés a été un enjeu pour le groupe qui n’a eu que deux répétitions générales avec l’orchestre (trop coûteux) pour tout mettre en place. Le trio a donc travaillé à partir de bandes sonores fournies par Blair Thomson. Ce travail à distance pourrait expliquer un certain déséquilibre sonore. Si la qualité lors des ballades (“Crawl Back In”) est bonne, il est difficile de percevoir les subtilités des instruments symphoniques, autres que les cuivres, l’orgue et les percussions qui ressortaient sans encombres. Le groupe jouait toutefois moins fort que d’habitude apprend-t-on. Peut-être sommes-nous trop puristes d’Half Moon Run, et des concerts de musique classique pour apprécier la fusion des deux. 

Une mise en scène et un public figés

Parlons ensuite des milliers de spectateurs de la Maison symphonique. La fusion des classes sociales et des générations était remarquable. Quelque chose d’inhabituel pour le public habitué de l’OSM autant que pour le public pop’ d’Half Moon Run, plus accoutumé aux concerts debout, aux premières parties, aux bières en main et à la liberté de mouvement dans le noir. Dans les premiers rangs, deux amies gesticulaient sur leur siège et levaient les bras en l’air pendant toute la performance (criant même un “I Love You” très amusant). Malheureusement, elles sont les seules qui briseront ce plafond de verre. Déroger aux règles de l’endroit ne semble pas tout à fait bien vu. Les spectateurs (certains sur leur 31) s’autorisent quelques mouvements de pied et hochements de tête, quelques cris tout au plus lors de crescendo de nuances (habituels en Amérique du Nord).

Car tout concert de musique classique respecte une feuille de route convenue, étonnante pour les non-initiés. Le hautbois donne le la, l’orchestre fait mine de se réaccorder une dernière fois, le chef arrive, salut, le public applaudit, il sert la main du premier violon etc. Il y avait donc quelque chose de déroutant à regarder les trois membres d’Half Moon Run, vêtus de costumes-chemises et placés sur le devant de la scène en ligne, se plier aux règles des solistes.

Le trio paraît coincé derrière ses stands et nombreux instruments (ou derrière la batterie pour le solide Dylan Phillips toujours, qui lui a une bonne excuse, placé en tampon au milieu de Conner Molander et Devon Portielje). Le manque d’interactions entre les membres et envers le public, allié aux quelques allers et venues fugaces au centre de la scène de Devon et Conner avaient quelque chose d’embarrassant. À qui mieux mieux sous le projecteur. 

Des bons moments sur la fin

Néanmoins, ne croyez pas que tout était à jeter. Le plaisir de réentendre, de (re)découvrir et de se faire surprendre par certaines chansons est réel. Pour la première fois, on entend les titres de leur dernier EP, Another Woman, précédant les deux derniers tableaux du spectacle, plus accrocheurs. On apprécie également observer Adam Johnson, le chef d’orchestre, chanter “Grow Into Love” avec le chœur et on se laisse carrément emporter par l’intensité de “Then Again” dont l’arrangement, porté par un soutien massif des cordes, ne dénature pas la version originale.

Le dernier tableau du concert est le plus abouti. C’est le best-of des hits d’Half Moon Run. “Full Circle”, “I Can’t Figure Out What’s Going On” (bémol sur cet ajout de wood blocks importuns), “She Wants To Know” et “You Can Let Go” animent enfin la Maison symphonique. La “tempête d’émotions” vécue par le groupe semble enfin atteindre le public. Leur classique rappel sur “Sun Leads Me On” autour d’un micro commun est également toujours du meilleur effet grâce aux belles harmonies vocales. 

Après trois saluts, dans différentes configurations (avec l’arrangeur, avec le chef, avec les deux…) le groupe sort de scène, poing levé façon Rocky Balboa pour Devon, alors que la Maison symphonique est encore debout. On entend des soupirs de déception lorsque les lumières se rallument. On sort de la salle mitigé. 

Une soirée ambitieuse mais pas inoubliable

Pas parce qu’on en aurait forcément pris plus (1h20 de show sans entracte c’est honorable), mais parce qu’on réfléchit à tout ce qu’on a vu et entendu. L’idée du concert symphonique n’est pas nouvelle et pas offerte à tout le monde. Loin de douter du travail derrière ça, Dylan Phillips confirme que cela a nécessité “cœur, sueur et sang”. Mais on ne peut s’empêcher de penser aux modestes projections visuelles (inutiles), aux canons de fumée qui n’atteignent pas le centre de la scène (on suppose que c’est peu agréable pour les instrumentistes). On se demande aussi si nos espérances en amont n’étaient pas démesurées. Ou alors sommes-nous trop puristes pour apprécier qu’on transforme certaines chansons d’Half Moon Run en vulgaire bande originale de film mainstream ? On exagère, mais vous voyez l’idée ?

Terminons là les justifications, et merci à celles et ceux qui sont allés jusque-là dans leur lecture. En somme, il manquait ce je-ne-sais quoi pour le grand “retour d’Half Moon Run à l’OSM”. L’étincelle à laquelle ils nous ont toujours habitués sur scène. Ce qui nous a fait les aimer il y a plus d’une dizaine d’années. L’exercice est dur, le pari est relevé malgré tout, mais les convictions et les goûts ont la peau dure. 

Photos : Antoine Saito (pour l’OSM)