Ben Mazué, l’artisan des mots à Strasbourg
LIVE REPORT – C’est le mois de février, le mois de l’amour il paraît. Alors quoi de plus normal que d’aller voir l’artiste qui en parle le mieux, Ben Mazué ?
On l’avait déjà vu, Ben Mazué, sur cette tournée Paradis. C’était l’été. C’était dehors. On reprenait la vie. On allait en festival. Ça avait la saveur particulière des jours meilleurs et c’était déjà le bonheur. Ce soir, on est dedans, masqués, assis, et on les attend à nouveau, les jours meilleurs. Non, parce que… janvier 2022… Déjà : janvier. Et puis, 2022… Bref. Quoi pour nous sauver de tout ça ? Février et Ben Mazué.
C’est épatant avec lui, de savoir, et pourtant de s’émouvoir toujours autant. Il y a un truc chez lui qui confine à l’ensorcellement. Parce qu’objectivement, qui est Ben Mazué ? Un mec somme toute assez normal. La quarantaine, divorcé, deux enfants, ancien médecin, des histoires de proprio à raconter, des rides qui apparaissent, un amour de la rando, des voyages, des moments de solitude… Sur le papier, Ben Mazué, c’est un mec comme un autre qui a décidé d’étaler sa vie sur une scène et dans des chansons, finalement. Il y dit tout. On le sait. Il suffit d’écouter. Alors pourquoi va-t-on le voir, le revoir, et pourquoi diable est-on toujours autant remué ? Autant attrapé dès les premières secondes de “Quand je marche” ? Autant gonflé d’émotions quand on finit d’applaudir sur “J’arrive” et que les lumières se rallument ?
Passionné passionnant Ben Mazué
Parce qu’il détient un pouvoir que très peu de gens ont. Celui de façonner la langue. Avec lui, le mot artiste rejoint à nouveau le mot artisan. Le mot artisan lui irait d’ailleurs tellement mieux. Ce n’est pas le beau qui pointe dans ce qu’on entend à un concert de Ben Mazué. On n’en sort pas avec l’impression d’avoir vécu quelque chose d’esthétiquement renversant, non. On en sort impressionné devant sa technique parfaite pour manier les mots, les assembler, les faire sonner. Ça confine au sublime, ce talent-là. Il y a tant de noblesse, à savoir faire cela. Et ça s’entend dans ses chansons autant que dans ses intermèdes parlés.
Il faut l’entendre parler de la charge parentale et des décharges cardiaques qui l’accompagnent. Il faut l’entendre s’élever contre les injonctions au bonheur, et défendre la passion, les passionnés et leurs raisons de vivre. Construire ses horoscopes de fratrie, rendre hommage à son père, chanter sa mère, ses fils, sa vie. Son amour des mots, son talent pour y déceler la moindre force, la moindre vibration, la moindre respiration, et les amplifier pour les faire voler jusqu’à nous… C’est ça qui a poussé tous ces gens ce soir à venir, à chanter en chœur sur “Gaffe aux autres”. À sortir leurs lumières à l’unisson sur “Semaine A/Semaine B”. À taper des mains sur “Nous deux contre le reste du monde”. C’est ça aussi qui laisse sans voix sur “Illusion” ou sur “Des nouvelles”. On reste sans voix face aux mots qui touchent. Coincés dans nos sièges avec un sourire aux lèvres et une larme à l’œil, à les laisser cheminer en nous, tous ces mots, et à y voir la magie.
De l’introspection au partage
C’est là le pouvoir de Ben Mazué. Nous rappeler la force des mots. Le bon mot, accompagné d’autres bons mots, placés dans le bon ordre, au bon moment, bien prononcés, avec une ponctuation fine, portés par les intentions, les émotions. On ne sait plus finalement. Les émotions portées par les mots, les mots portés par les émotions. Et les réflexions qui s’y cachent. L’introspection. Le partage. C’est si utile, finalement, les mots. Si forts quand ils sont bien choisis. Si puissants quand ils sont bien associés. Et quand ils disparaissent, au fond d’une salle qui se rallume…
Ah, ce pouvoir de Ben Mazué que de faire exister les mots bien au-delà du silence…