Fragile Figures et Whispering Sons : bande-son d’une descente aux Enfers
LIVE REPORT – Quand on va en concert pour la première partie, on se tient prêt à être surpris par la suite. C’est gagné avec Whispering Sons.
Aller à un concert sans avoir jamais rien écouté de l’artiste, c’est plus souvent qu’on ne croit une excellente idée (toujours, en fait, non?). C’est ce qu’il s’est passé jeudi soir à La Laiterie Club.
Voyage en deux étapes
Une fois n’est pas coutume (c’est faux), j’y vais pour la première partie Fragile Figures. Duo instrumental guitare/basse, leur post-rock trouve sa poésie dans le fond vidéo qui les accompagne, à défaut de la trouver dans les mots. Oiseaux noirs qui se détachent dans un ciel gris, longues tours d’immeuble qui se découpent en arrière-fond, les paysages en noir et blanc alternent avec la froideur des lignes de machines, comme un écho à leur musique, qui évolue entre lignes de guitare et basses tantôt planantes, tantôt énervées, et sons numériques métalliques. La bande-son semble parfaite pour un voyage immersif entre mélancolie et déchéance, dans un monde pas encore post-apocalyptique mais qui n’a plus rien à offrir. Et cela va représenter la parfaite introduction au concert des Whispering Sons.
Avec “Balm” pour ouverture, je découvre la voix gutturale de Fenne Kuppens, frontwoman du groupe accompagnée des quatre musiciens qui évoluent en périphérie. Le cadre sera très vite posé et peu de titres viendront démentir la suite : un set sombre, profond. Les lumières (majoritairement rouges ou bleues, sans spot sur Fenne), son costume grand et noir, l’utilisation de la grosse caisse et du tom basse, tout vient renforcer une ambiance pesante, tendue, lente. Une vague impression d’être arrivé dans un nouveau monde, suite logique du voyage de Fragile Figures qui se poursuivrait dans les méandres des Enfers.
Sombres Whispering Sons
Qui serait la charismatique Fenne dans ce monde-là ? À mesure que les titres de “The Great Calm”, le dernier album des Whispering Sons, s’égrainent, les réponses possibles se multiplient. Nyx, la déesse originelle ? Non, laissons-cela à Patti Smith, dont le nom nous vient pourtant en tête dans ce concert, qui personnifiera mieux la nuit et la longue descendance de Nyx. Cerbère, gardien à trois têtes ? Non plus, bien que la chanson “Satantango” nous en donne parfois l’envie. Thanatos ? La figure de la mort plane davantage dans le monde de Nick Cave, autre référence qu’on ne peut pas repousser ici. Charon, en revanche… À l’image du passeur, Fenne nous guide sur des eaux troubles, s’éloignant de la “Surface” (“I’ve heard they seldom surface if they’re buried deep enough”), nous tirant irrémédiablement avec elle (“Dragging”) en nous séduisant à coup de saxophone mi-langoureux mi-inquiétant (“Still Disappearing”). On plonge.
Diffiicile, après ce concert, d’identifier tout de suite ce qu’il s’est passé sur ce public fasciné. C’est après un certain temps seulement qu’on prend la mesure de ce groupe-là. Quelque part entre la plus sombre face de Murder Capital et l’intemporalité de Joy Division, la Belgique prouve encore sa capacité à être là où on ne l’attend pas, à créer, mélanger, et s’absoudre des étiquettes et barrières existantes. Une découverte à faire sur scène pour en prendre pleinement la mesure.