Max Jury : “Si j’étais né dans les années 1960, je n’aurais pas internet, Instagram, tout ça…”

Max Jury c’est ce genre de personne que tu apprécies dès que tu croises ses yeux rieurs. C’est ce genre de personne que tu aimeras avoir comme ami dès le moment où tu commences à lui parler de tout et de rien. Ce genre de jeune talent qui a 100 ans d’âge intérieurement et qui sait tout aussi bien te bluffer musicalement que te faire rire. Rendez-vous avec Max dans un hôtel parisien en tout début d’après-midi : on a commencé par trinquer à l’eau minérale pour finir par parler doigts de pied. Une interview tout à fait conventionnelle, vous en conviendrez.

[TO READ THIS INTERVIEW IN ENGLISH, CLICK HERE/ LIRE L’INTERVIEW EN ANGLAIS ICI]

Max Jury

Rocknfool : Si je devais te décrire pour un entretien d’embauche, est-ce que tu me donnerais ton accord pour la description qui suit ? “Max aurait pu être le meilleur ami de Kobe Bryant et de LeBron James s’il ne s’était pas cassé la cheville. À la place, il a suivi son cœur et son affection pour Fame puisqu’il a rencontré ses amis-musiciens pendant ses études de musique à Boston au Berklee College. Il a été vendeur de CDs, il a nettoyé des toilettes, il a sorti 2 EPs, il a signé chez un label indépendant, et a dès lors commencé doucement à conquérir le monde”.
Max : (rires) La dernière partie est encore à déterminer ! Mais sinon c’est ça oui ! J’ai commencé par jouer au basket quand j’étais petit, c’était ce que je voulais faire, mais je me suis cassé la cheville et le genou, le désastre… Je me suis tourné vers la musique, je suis allé à l’université, et voilà où j’en suis.

Quelque chose à ajouter sur ta conquête du monde ?
Waoh… Je crois que j’aurais aucune objection si ça arrivait… (sourire)

À LIRE AUSSI >> Soul rétro et studio coloré dans “Numb” le premier single de Max Jury

Si on ne te connaît pas et qu’on écouté ton premier album, on a l’impression de l’avoir découvert dans le grenier de notre grand-mère. Est-ce que tu penses que tu viens du passé et que tu as été envoyé par le Dieu de la bonne musique pour contrebalancer la musique qu’on doit se farcir tous les jours à la radio ?
Je ne sais pas, ça saurait une attente un peu trop ambitieuse… à part pour le Dieu de la bonne musique (rires). En fait, simplement, c’est le genre de musique que j’ai toujours écouté dans mon enfance, celle que je continue d’écouter, celle des artistes que je vénère. Je ne voulais pas imiter à proprement parler, mais faire un disque avec cette vision en tête. Comme y ajouter des influences plus modernes, plus contemporaines que j’aime. C’est vraiment juste un reflet de la musique que j’aime, de la musique dont j’ai toujours été fan toutes ces années ! Mais c’est vrai que je me sens parfois un peu comme une vieille âme dans la mesure où bizarrement, j’ai toujours été attiré par ce genre de musique rétro, de la fin des années 1960 au début des années 1970. Je ne sais pas pourquoi… mais c’est la musique qui me parle.

Est-ce que tu crois que tu es né à la mauvaise époque ?
Je ne crois pas ! Je suis content d’être en vie à notre époque actuelle : internet c’est sympa, Instagram c’est marrant… j’adore tout ça ! (sourire) Si j’étais né dans les années 1960 je ne pourrais pas avoir tout ça… Donc je ne pense pas être né à la mauvaise époque non. Je suis content d’être là, maintenant tout de suite, 2016 !

Si on devait résumer ton album, peut-on dire qu’il parle surtout de chagrin, de regrets et de reproches ?
Oui, on pourrait le résumer de cette façon… mais quand tu le dis comme ça c’est plutôt triste non ? (sourire) Mais oui, c’est tout à fait ça. Quand j’écrivais cet album, je me raccrochais beaucoup au passé, ces choses que je regrettais, toutes les choses auxquelles je pensais, ces choses que j’aurais aimé faire différemment… Il y avait du chagrin associé à ça, ce sentiment d’avoir gâché intentionnellement certaines choses de ta vie, que tu finis par regretter… Avec un peu de chance le prochain album sera bien plus joyeux !

J’ai une grande admiration pour les personnes qui savent raconter les histoires des autres.

Tes chansons sont toutes écrites à la première personne. Sont-elles toutes à propos de toi, ou est-ce que parfois tu utilises les histoires d’autres personnes ?
Elles sont majoritairement à propos de moi : certaines histoires sont légèrement adaptées des histoires d’amis, de ma famille… mais elles sont surtout adaptées de ma vie, de ce que j’ai vécu, donc c’est autobiographique dans ce sens là. J’ai toujours écrit mes chansons de cette façon, à la première personne, je crois que je trouve ça plus facile. J’ai une grande admiration pour les personnes qui savent raconter les histoires des autres, en les rendant captivantes, que ce soit par les paroles ou par les émotions…

Tu crois que les gens peuvent se retrouver dans ton album ?
Je crois bien oui, car mes paroles sont des sortes de conversations, et les sujets que j’aborde sont plutôt ordinaires : les relations, le sentiment d’être seul au monde, le mal du pays, ou autre… J’espère vraiment que tout le monde peut se retrouver dans ce genre de thèmes, trouver du réconfort dans mes chansons, dans la mesure où nous passons tous par là, à un moment ou un autre…

Dans ta chanson “Love That Grows Old” tu dis : ce n’est pas de l’amour si tu ne dois pas lutter [struggle] et si cela ne te cause pas de problème. Tu as 24 ans, mais quand on lit tes paroles on a le sentiment que tu as vécu 1001 vies en amour.
Je ressens ça un petit peu quelque fois c’est vrai…  (sourire) Je crois que je n’ai jamais eu de relation parfaitement heureuse, je ne sais pas si je m’impose ça volontairement, si c’est de la malchance, si c’est ce qui m’attire, si j’aime que ça soit difficile comme ça ou si j’aime les drames… (sourire) Mais c’est ce que je ressens aussi, et j’y pense beaucoup, j’ai l’impression de vivre une double vie, car je passe beaucoup trop de temps à réfléchir.

Une relation qui ne devrait pas mal se terminer – on croise les doigts – est celle que tu as avec Marathon, puisqu’il est écrit sur leur site qu’ils s’investissent toujours dans des relations à long-terme. Comment en es-tu venu à travailler avec un label aussi cool ?
En fait quand j’avais à peu près 18 ans, j’étais jeune, naïf, un gars est venu parler à mon manager alors que nous étions à Londres pour ma toute première tournée de concerts avec mes premières démos… je n’étais pas très bon d’ailleurs. Mais quelques années plus tard, ce homme a fait écouter ma musique à Philippe Ascoli qui est le directeur de Marathon, alors que j’étais à la fac à Boston à l’époque. On s’est skypés, on a parlé de travailler ensemble, j’ai enregistré un deuxième EP, ils l’ont écouté… Je les aime beaucoup car ils tiennent à moi, et ils se soucient vraiment de ce que je fais… Ils m’aident à me sentir plus confiant… Je ne pourrais pas être ce genre de mec qui n’en a rien à faire des gens avec qui il travaille fréquemment. C’est comme ma famille, on dîne ensemble, on rit, et ils ont vraiment de bons goûts musicaux. Ce qui est plutôt très agréable comme entourage !

C’était un de tes buts de signer chez un label indé ?
Carrément ! C’est compliqué car certains labels indé fonctionnent comme de grosses majors et vice-versa. Il faut juste trouver le bon endroit.

Je suis obsédée par “Princess”, les chœurs, le solo de guitare… Peux-tu me parler de l’histoire de cette chanson ?
Bien sûr ! Bon ça ne pas être gai, je préfère de prévenir… Au niveau des paroles je parle d’un membre de ma famille qui s’est fait agresser sexuellement. Et en gros je parle d’elle, et du fait qu’elle ne parvienne pas à s’en sortir après. Et de moi qui me sent horrible pour elle, elle qui ne parvient pas à tourner la page, du manque de soutien de sa famille, qui est aussi ma famille… Et en même temps je me pose beaucoup de questions pour l’aider, qu’est-ce que je peux faire ? Je ne fais rien alors que je suis très contrarié et touché pour elle… Je ne fais rien alors et je me dis que je devrais l’aider… Je me suis senti très mal et c’est pour cela que j’ai écrit cette chanson, sur la façon de gérer ce problème, ce que moi je devais faire, ce que ma famille devait faire… Au niveau de la musique, ça a commencé avec juste un peu de piano, puis à la guitare acoustique, puis on a fini avec des cordes et un chœur, ça donnait plus de force… Pour le solo de guitare on voulait quelque chose de différent : quelque chose de puissant mais à sa façon, pas forcément très mélodique mais émotionnellement fort, qui exprime quelque chose… C’est ma chanson préférée de l’album, car je crois que j’ai passé le plus de temps dessus, c’était un gros travail.

Je n’ai jamais vraiment eu le budget pour me permettre des cordes donc pour cet album je me suis dit : “ok allez, soyons fous !”

Il y a justement beaucoup de cordes sur ton album, ça apporte un côté tragique et lyrique à ta musique. Qu’est-ce qui a justifié ce choix ?
Il n’y a pas de raison particulières… Ce sont des instruments très mélodieux, et il y a beaucoup de beauté dans les cordes, même dans un simple quatuor, le son est magnifique. Et comme tu as dit, il y a aussi cet côté tragique, mélancolique, planant. Pour les chansons au piano, je trouvais que ça offrait un bon équivalent sonore au chant, ça ajoutait de la profondeur également. Tu sais, je n’ai jamais vraiment eu le budget pour me permettre des cordes jusqu’à cet album là, donc je me suis dit : “ok allez, soyons fous !”.

Tu as travaillé dans deux studios pour cet album après trois mois d’écriture. Quelle était ta ligne directrice pour l’album ? Est-ce que tu as aimé passer du temps en studio ou est-ce que tu préfères être sur scène et jouer simplement ?
J’aime bien les deux équitablement ! J’aime le ying et le yang du studio, j’aime me produire en live aussi… Etre sur scène c’est réellement une expérience pour moi, comment être à l’aise, comment bien jouer… J’enregistre de la musique depuis que je suis jeune, du coup je crois que je me sens très à mon aise en studio, enfin initialement je m’y sentais mieux que sur scène, juste parce que j’aimais beaucoup jouer avec les sons ! Quand nous sommes allés à New-York pour l’enregistrement, je ne savais pas du tout ce que j’allais faire : j’avais des chansons et je me suis dit qu’on verrait ce que l’on ferait une fois sur place. On avait réservé le studio pour 3 jours, et j’ai vraiment compris ce que je voulais en terme de son une fois là-bas : j’avais quand même en tête l’idée d’apporter des éléments très expressifs, presque du gospel dans l’album… Le studio te prend beaucoup d’énergie. Mais bon, je vais commencer à travailler sur un deuxième album en octobre, donc çe laisse du temps !

À LIRE AUSSI >> On y était : Max Jury + Norma à la Gaîté Lyrique

Tu es de l’Iowa, tu as étudié à Boston, tu vis à Londres, tu as enregistré ton album à New-York et en Caroline du Nord, actuellement tu es en tournée… Est-ce que tu as prévu de te poser à un moment ?
C’est une bonne question, car j’y pense très souvent ! J’aimerais bien me poser. J’ai l’impression que j’ai vécu une vie de nomade ces quatre dernières années. Je n’ai jamais vraiment eu de maison : Des Moines est ce que je considère le plus comme mon chez moi. Mais même là, je n’y vais pas fréquemment. Je crois qu’une fois que la tournée sera un peu passée et après le deuxième album, ce serait agréable de me poser pendant 2-3 ans et retrouver un semblant de réalité. J’aimerais bien ça ! Londres probablement, New York, l’Iowa… Paris pourquoi pas ?

Et pour finir, une question que je ne t’ai pas posée que tu aurais aimé que je te pose ?
Non c’était cool comme conversation ! Je ne sais pas ce que je peux ajouter… Tu veux une anecdote à la place ? Une anecdote bizarre ? Deux de mes doigts de pieds… sont joints.

C’est cool ! Est-ce que tu nages mieux ?
Je crois bien que oui ! (sourire)

Propos recueillis par Emma Shindo (19 avril 2016, Paris).

Merci à Max et à Marine.