Sirāt : entre raves et cauchemars
CINÉMA – Certains films se doivent d’être vus dans une salle obscure, sur écran géant. Le prix du jury 2025 Sirāt est de ceux-là. Attention spoilers.
Quatrième long métrage du Franco-espagnol Oliver Laxe, Sirāt est récompensé par le prix du jury à Cannes en 2025. Et c’est amplement mérité ! Qu’on se le dise, on est loin du film “feel good”. N’allez pas le voir si vous comptez sortir sourire aux lèvres…
Le contexte et le prétexte
Le film s’ouvre sur un fond noir sur lequel s’écrit en blanc : “Le Sirāt est un pont entre le paradis et l’enfer. Il est plus étroit qu’un cheveu et plus tranchant qu’une épée.” Le ton est donné, et pourtant très vite notre esprit passe à autre chose : la beauté vertigineuse du désert marocain où des mains burinées installent un gigantesque mur de son. Le premier personnage entre alors en scène : la musique. Un son électro, puissant, pulsant, qui fait vibrer la première couche de sable.
Face à ce son, on s’attend presque à voir les immenses falaises de grès ocre s’effondrer. Ces falaises forment en fait une arène en arrière plan de raveurs qui laissent leur corps se faire porter par le rythme. Arrivent alors deux personnages, qui tranchent totalement avec le reste des présents. Un père Luis, (incarné par le remarquable Sergi Lopes), et son fils Esteban, 12 ans, (joué par Bruno Nùñez). Dans la tempête sonore, nous n’entendons pas ce que demande Luis aux participants, mais on comprend vite qu’ils cherchent quelqu’un, car pendant qu’il parle, le jeune Esteban tend des photos. Le duo est à la recherche de Mar, fille et sœur. Personne ne semble reconnaître la jeune femme.

Ils tombent alors sur un groupe légèrement à part, Jade, Stef, Tonin, Bigui et Josh (choisis d’ailleurs par casting sauvage dans des raves par le réalisateur). Le petit groupe explique que la jeune fille recherchée sera peut-être présente à la prochaine rave, dans le sud à la frontière de la Mauritanie. La fête se fait interrompre et déloger par des militaires, et s’ensuit un départ précipité du groupe. Le film prend alors une autre tournure, entre le road-trip et le voyage initiatique. Et la quête initiale, bien qu’en toile de fond, devient bien secondaire face aux péripéties rencontrées par notre caravane.
Absurde, vous avez dit absurde ?
L’absurdité de la vie se retrouve alors confrontée à la réalité de l’immensité des paysages. Qu’est-ce qui est le plus absurde ? Vivre et s’abimer dans des raves parties ou chercher un fantôme au prix des vivants ? La troisième guerre mondiale évoquée à la radio avant le retour des beats ? Ou encore les derniers mots prononcés avant la mort ? Oliver Laxe réussit le tour de force de nous amener dans les tréfonds des questionnements philosophiques sur le sens de la vie, la place de la mort dans nos sociétés… Le tout sur fond sonore électro, comme autant de battements de cœur nous maintenant dans une réalité purement organique.
Le film est mal-aimable, c’est une vraie claque qui nous confronte crescendo à nos cauchemars. Au choix : la noyade dans un espace clos, la chute mortelle, l’épuisement en plein désert, l’agonie immobile… Oliver Laxe nous montre le chemin étroit, dangereux, l’équilibre instable entre le paradis et l’enfer. Si l’enfer est
fortement palpable, le côté paradisiaque est plus ténu. Quelques moments de rire et de légèreté, des corps infiniment libres qui dansent en rythme, le bonheur de se sentir en famille, celle dans laquelle on naît ou celle que l’on choisit.
Je parlais au début du premier personnage de cette parabole, la musique. Elle est d’abord omniprésente,
assourdissante, vrombissante, puissamment vivante. Puis elle semble se calmer et se faire plus discrète quand les drames frappent de plein fouet. Dans un dernier sursaut, le son électro envahit encore la salle de cinéma, avant le dernier acte macabre. Mais le plan final nous montre les deux baffles, abandonnés et muets dans le désert au milieu des débris de civilisation.
Pourquoi aller voir Sirāt ?
Sirāt est un grand film de salle de cinéma, à voir sur grand écran avec un son de qualité. Les images sont à couper le souffle, et la musique électro n’est jamais étouffante. J’ai littéralement été scotchée par ce film. J’ai eu du mal à en sortir, et je pense que c’est la signature des œuvres qui valent le coup. De celles qui laissent une trace durable. L’art est aussi là pour bousculer et de ce point de vue, le film fera l’unanimité ! J’ai aimé l’idée de ce groupe formé par des entités qui auraient pu ne jamais se croiser. Les motivations et les préoccupations sont d’abord diamétralement opposées et petit à petit, chacune des parties déteint sur l’autre, sans jamais tomber ni dans le pathos ni dans le cliché.

Les seuls acteurs de carrière sont Sergi Lopes et Bruno Nùñez. Et même si le travail des acteurs est justement d’entrer dans des rôles, le fait que le reste de la troupe soit fait de raveurs repérés par le réalisateur ancre le film dans une réalité. Deux des personnages, Tonin et Bigui ont des membres amputés, ça ne sera jamais un sujet, juste un fait. Bien entendu, le film n’est pas parfait. Quelques longueurs sont à notées, et je trouve que le fond de troisième guerre mondiale, juste suggérée, n’était pas forcément nécessaire. Le film a un coté intemporel, sans drones, sans téléphones portables qui permet justement de rappeler le côté universel des questions posées, sans avoir besoin de connaître le monde des raves ou le désert marocain.
Je vous recommande donc vivement ce film, qui vient gratouiller dans des endroits inattendus, imprime des paysages incroyables sur la rétine et des beats dans les tympans.
Article écrit par Flo
